Sur le modèle du Tribunal
Russell sur le Vietnam, le Tribunal Russell sur la Palestine s’est
constitué à l’initiative d’un groupe d’intellectuels européens, réunis
au sein d’un Comité Organisateur International. Ken Coates, Président de
la Fondation Russell , Leïla Shahid, Déléguée Générale de la Palestine
en Europe, et Nurit Peled, Professeur à l’Université Hébraïque de
Jérusalem, titulaire du Prix Sakharov, ont lancé un appel à parrainer
cette initiative. Plus de cent-vingt personnalités éminentes à travers
le monde y ont répondu.
Le Tribunal, au vu de l’empêchement persistant du peuple
palestinien à exercer son droit à l’autodétermination, droit inscrit
dans la charte des Nations Unies, se propose d’en rechercher les causes
et d’identifier les Etats ou les organisations qui concourent à cet
empêchement.
En la matière, le droit a été dit. De nombreuses
résolutions des Nations Unies (181,194, 242, 338, 1322, 1397, 1435)
appellent de manière explicite à l’établissement d’un Etat palestinien.
De plus, le 9 juillet 2004, la Cour Internationale de Justice de La Haye
a émis un Avis qui, au-delà de l’appel au démantèlement du Mur, résume
l’ensemble des violations du droit dont sont victimes les Palestiniens.
Le 20 juillet 2004, l’Assemblée Générale des Nations Unies a intégré cet
Avis dans la résolution ES-10/15, résolution qui fait obligation aux
Etats d’agir pour faire cesser ces violations. Tout cela est resté
lettre morte.
Récemment, l’Autorité Palestinienne a adressé au Conseil
de Sécurité des Nations Unies une demande de reconnaissance et
d’admission d’un État Palestinien. Cette demande a été accueilli, au
mieux avec scepticisme dans le cas de l’Europe, au pire avec hostilité
dans le cas des États-Unis qui ont annoncé qu’ils y opposeraient leur
veto si elle recueillait 9 voix sur les 15 membres du Conseil. L’Europe
et les États-Unis ne manquent aucune occasion de proclamer la nécessité
d’un État Palestinien. Leur attitude vis-à-vis de la demande raisonnable
de l’Autorité Palestinienne est donc tout sauf cohérente.
Au vu de l’ampleur de l’arsenal juridique pertinent, au
vu du peu d’empressement des pays développés de contraindre les acteurs à
se plier aux règles du droit international, il est apparu que la vraie
question est celle de la complicité d’acteurs politiques et économiques
qui ont permis à Israël de persister dans son refus de se soumettre au
droit sans qu’il encoure les sanctions que cette attitude aurait dû lui
valoir.
Une première session du Tribunal s’est tenue à Barcelone
en mars 2010 sur les responsabilités de l’UE et de ses Etats membres
dans la situation faite aux Palestiniens. Le jury a conclu à leur
complicité dans les infractions au droit commises par Israël dans les
Territoires Occupés et les appelle à y mettre un terme.
Une deuxième session s’est tenue à Londres en novembre
2010 sur la responsabilité des sociétés multinationales dans le
développement de la colonisation. Le jury a reconnu un certain nombre
d’entre elles coupables de soutien à cette entreprise. Il a aussi émis
la possibilité d’appeler à leur traduction devant les juridictions
nationales d’Etats dont elles relèvent.
La troisième session se tiendra au Cap, en Afrique du
Sud, en novembre 2011. Elle sera centrée sur le thème du crime
d’apartheid, reconnu comme crime contre l’humanité par la Convention sur
l’élimination et la répression du crime d’apartheid adoptée par
l’Assemblée Générale des Nations Unies le 30 novembre 1973, entrée en
vigueur le 18 juillet 1976. Le jury étudiera l’éventuelle culpabilité
des dirigeants israéliens et, en fonction des témoignages et des
éléments recueillis, livrera ses conclusions à l’opinion internationale.
Il examinera l’ensemble des pratiques susceptibles de relever de ce
chef d’accusation et livrera ses conclusions sur l’influence de ces
pratiques sur le tissu même de la société palestinienne, influence
pouvant être de nature à contrarier la construction d’un État.
Le but du Tribunal est de contribuer à l’établissement
d’une paix fondée exclusivement sur le droit, donc à faire cesser le
déni que subit le peuple palestinien, tout en le soutenant dans la
réalisation de ses droits nationaux.
Bien que la violence en Palestine soit quotidienne, il
est vrai que le conflit qui s’y déroule n’est pas, loin s’en faut, le
plus meurtrier de la planète. A cet égard, les massacres en Afrique ou
en Tchétchénie sont beaucoup plus sanglants. Pourtant, le monde a les
yeux rivés sur cette région…
Lieu de naissance des trois monothéismes, elle est le
théâtre d’une confrontation directe, physique, entre le Nord et le Sud.
Des Etats occidentaux, si prompts à bombarder, voire à investir des pays
jugés coupables d’infractions au droit, se montrent étonnamment
bienveillants envers un Etat qui refuse depuis des décennies de
respecter la loi. Cette situation symbolise la perpétuation d’un ordre
mondial injuste. Le message adressé aux peuples du monde, en particulier
ceux du Sud, est catastrophique. Il alimente la frustration et la
haine. Il met en place les conditions de l’autoréalisation de la
prophétie de Huntington sur le "choc des civilisations".
Le Nord a pu compter sur la collaboration complaisante
de dictateurs arabes pour maintenir son primat. Bientôt, il ne le pourra
plus. Il lui faudra cohabiter avec des dirigeants issus de sociétés
affranchies, aspirant à la justice et l’égalité, ayant la volonté de
contribuer à la marche du monde. Choisira-t-il de composer avec cette
nouvelle réalité ou de l’ignorer ? Son attitude vis-à-vis de la
Palestine donnera une indication importante de la voie qu’il choisira,
celle du dialogue ou celle de la force.
La philosophie du Tribunal Russell s’inscrit dans la
première voie. Que justice soit rendue aux Palestiniens n’est pas
seulement affaire de morale. C’est aussi d’une préfiguration du monde de
demain qu’il s’agit.
Stéphane Hessel, Edgar Morin,
Mohamed Harbi, Etienne Balibar, Marcel-Francis Kahn, François Maspéro,
Albert Jacquard, Raymond Aubrac, Jacques-Alain de Sédouy, Pierre Hunt,
Jean-Louis Lucet, Brahim Senouci