Les Israéliens la surnomment «la barrière de sécurité». Les Palestiniens l'ont plutôt baptisée «le mur de la honte» ou «le mur de l'apartheid». Mais qu'importe le nom donné à l'imposante structure surgie entre Israël et la Cisjordanie. Sa construction marque le triomphe du grand sentiment partagé par les deux peuples : la peur.
Le mur est né du vent de folie qui souffle sur Israël et sur les territoires palestiniens occupés, au tournant des années 2000.
Du côté palestinien, la population vit dans la terreur des raids de l'armée israélienne. Le comble de l'absurde est atteint dans la ville d'Hébron, en Cisjordanie. Des dizaines de milliers de Palestiniens doivent y observer un couvre-feu quasi perpétuel. Parfois, il leur est interdit de sortir de chez eux, durant plusieurs jours consécutifs. Tout cela pour assurer la sécurité de quelques centaines de colons, installés sur le tombeau (présumé) d'Abraham.
La peur est aussi omniprésente chez les Israéliens, terrorisés par les attaques suicide. À Jérusalem, les kamikazes palestiniens ont un faible pour le tracé de l'autobus no 18, qui serpente l'ouest de la ville. Après une série d'attentats sanglants, le parcours a été rebaptisé le «sentier des bombes». Plusieurs jours après un attentat, on voit encore des rabbins chercher des petits morceaux de chair humaine dans les interstices des murs et du trottoir.
Au début de 2002, la ville semble au bord de la crise de nerfs. Sur la grande rue Ben Yehuda, au coeur d'un quartier piétonnier, les commerçants sont aux abois. La peur des attentats fait péricliter le commerce. Une immense banderole a été déployée pour détourner les mots d'une célèbre chanson pacifiste de John Lennon : «All we are saying, is give war a chance».
Charmante ambiance.
Ligne très élastique
Plus tard, les historiens diront que la construction du mur a débuté durant l'été 2003. Sans trop faire de vagues. Au début, la «barrière» est même présentée comme un ouvrage purement défensif, pour empêcher les attentats suicides. Qui aurait osé désapprouver un objectif aussi raisonnable? Disons, à part de parfaits sans coeur?
Très vite, les observateurs constatent pourtant qu'une grande partie du tracé se trouve en territoire palestinien. Au nom de la «sécurité nationale», le mur englobe de nombreuses colonies juives bâties en Cisjordanie. Quitte à faire une boucle de 25 kilomètres. L'objectif principal consiste soudain à rendre Israël plus «défendable».
À la fin, le mur «confisque» 9,4 % de la Cisjordanie.
Pour le construire, l'armée israélienne détruit des maisons. Elle rase des champs d'oliviers. Elle coupe en deux des terres agricoles. Quelques agriculteurs malchanceux doivent même obtenir un permis pour se rendre sur leur champ, de l'autre côté.
Dans son ouvrage The Iron Wall (Norton, 2014), le célèbre historien Avi Shlaim avance que le mur a chamboulé la vie d'au moins 200 000 Palestiniens. Il résume : «Les Israéliens se justifiaient en disant que les bonnes clôtures font les bons voisins. Les Arabes leur répondaient que les bonnes clôtures font les bons voisins, à condition que les clôtures soient érigées sur votre terrain, et non pas sur celui du voisin.»
Barrière hideuse
Même chez les alliés inconditionnels d'Israël, le mur est accueilli avec consternation. Dans ses mémoires, publiées en 2011, l'ancienne secrétaire d'État de George W. Bush, Condoleezza Rice, revient sur le sujet. «Même si l'objectif officiel était d'empêcher l'infiltration de terroristes en Israël, nous savions que la construction du mur (appelé «barrière» par les Israéliens) serait interprétée comme une tentative de préserver le statu quo et de fixer à l'avance les frontières d'un éventuel état palestinien, écrit-elle. Le symbole est dévastateur. Une barrière hideuse, érigée entre deux peuples qui auraient dû trouver un moyen de faire la paix.»
Dès le mois d'avril 2004, la Cour internationale de justice demande à Israël le démantèlement de la barrière et le versement d'une compensation aux individus dont les propriétés ont été détruites. Peine perdue. La construction se poursuit. En 10 ans, elle va s'étendre sur 400 kilomètres. En attendant les 700 kilomètres promis. Un peu plus que la distance entre Québec et Boston.
Une échelle de 51 pieds
Avec le recul, les partisans du mur font valoir que les attentats ont considérablement diminué. Mais ils oublient que le nombre d'attaques avait commencé à chuter avant même le début de la construction. À certains endroits, le mur n'est d'ailleurs qu'une double barrière, surmontée de détecteurs électriques. Des milliers de Palestiniens continuent à le franchir chaque jour, souvent pour travailler illégalement en Israël.
Vrai qu'il n'existe pas de barrière totalement infranchissable. L'ancienne secrétaire américaine à la Sécurité intérieure, Janet Napolitano, avait même pris l'habitude de répéter : «montrez-moi un mur de 50 pieds, et je vous trouverai une échelle de 51 pieds.»
Il n'empêche. Dans sa version de béton, le mur bâti par Israël est spectaculaire. Intimidant. Au point où il est devenu symbole de notre époque, comme le défunt mur de Berlin, il y a une génération. De nombreux artistes y signent des oeuvres. Tout cela au milieu d'un fouillis de messages personnels, de publicités et de slogans politiques.
En mai, le pape a soulevé la controverse en se recueillant au pied du mur, près de Bethléem. Juste au-dessus de lui, on lisait un graffiti provocateur qui comparait le drame des Palestiniens et celui des juifs exterminés dans le ghetto de Varsovie, durant la Deuxième Guerre mondiale.
Dans les circonstances, il faut pourtant constater que le pape l'a échappé belle. Un pas de plus, et il se recueillait au-dessous d'une annonce érotique. Quelques mètres de plus, et il priait au-dessous d'une longue recette de... falafel.
Même quand vous êtes pape, la seule chose qui soit certaine, à la frontière entre Israël et la Cisjordanie, c'est que vous allez frapper un mur...
400 kilomètres = Portion du mur complétée, en janvier 2014
85 % = Proportion du tracé qui se situe à l'intérieur des territoires occupés
2 milliards $ = Coût de la construction [janvier 2014]