Pour de nombreux Israéliens, Yasser Arafat, coiffé de son éternel keffieh à damier noir et blanc, reste l'incarnation du "terroriste". Une minorité d'entre eux salue quand même celui qui a osé conclure les premiers accords avec l'entité sioniste.
Pendant des décennies, tout contact avec l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) dirigée par Yasser Arafat était passible de prison en "Israël".
Ce n'est qu'en 1993 lorsque, à la surprise générale, a été annoncée la conclusion des accords sur l'autonomie palestinienne négociés en secret à Oslo, qu'il s'est mué en un interlocuteur légitime.
Le déclenchement de la deuxième Intifada en 2000 l'a de nouveau fait apparaître aux yeux des Israéliens comme un ennemi décidément irréductible.
"Une grande majorité d'Israéliens pense qu'Arafat est le grand responsable des violences et qu'il a sapé toute confiance qu'ils pouvaient avoir dans le désir de paix des Palestiniens", constate Anat Kurz, de l'Institut des études pour la sécurité nationale de Tel-Aviv.
Pour Uzi Dayan, général de réserve et ancien conseiller à la sécurité nationale à l'époque d'Arafat, le leader palestinien était un "terroriste" et un "escroc" qui n'a "en fait jamais été prêt à conclure un accord qui mettrait un point final au conflit" israélo-palestinien qui dure depuis 66 ans maintenant.
Cette vision n'est pas unanimement partagée. "Contrairement à beaucoup d'Israéliens, je considère Arafat comme un grand leader, un véritable révolutionnaire qui est parvenu à rendre incontournable la question palestinienne sur la scène moyen-orientale et mondiale", affirme Anat Kurz. "Il n'a aucun successeur crédible, capable de faire la paix, mais c'est aussi le cas du côté israélien", poursuit cette universitaire.
'Il n'a pas compris le danger du Hamas'
Uri Savir, co-fondateur du centre Shimon Peres, l'ancien président israélien co-lauréat du prix Nobel de la paix avec Arafat et ancien négociateur en chef des accords de 1993, a rencontré Arafat à de multiples reprises.
"Je suis un des rares Israéliens qui n'aient pas une image négative d'Arafat, ce qui ne me rend pas très populaire, mais peu m'importe", dit-il.
"Arafat est une icône de la révolution, il n'avait aucun tabou", affirme Uri Savir. Il lui reconnaît d'avoir "très bien su s'entourer". Mais il a aussi commis des erreurs, dit-il. "Il était meilleur comme leader et négociateur que comme bâtisseur d'Etat et d'institutions modernes", regrette-t-il.
Sa deuxième critique porte sur le Hamas...
"Il n'a pas compris le danger stratégique que représentait le Hamas. J'ai eu de longues conversations avec lui sur ce sujet et à chaque fois il me disait: ne vous inquiétez pas. Il avait tort, la suite l'a prouvé".
Arafat reste néanmoins celui qui a "réalisé une percée dans les relations avec Israël" et permis qu'un jour peut-être la solution de deux Etats pour deux peuples devienne réalité, dit-il.
Mais Uri Savir comme Uzi Dayan ne placent pas de grands espoirs dans son successeur, Mahmoud Abbas. "Il n'a pas le caractère d'unificateur d'Arafat. C'est une figure plus occidentale, plus modérée, et en fin de compte plus crédible qu'Arafat, mais il n'a pas la capacité de décider", estime Uri Savir.
Pour Uzi Dayan, Mahmoud Abbas "n'est pas un terroriste. Mais il est trop faible pour détruire le terrorisme".
A la mort d'Arafat en 2004, les Israéliens annonçaient que l'obstacle à la paix avait disparu avec lui. Dix ans plus tard, ils accusent Mahmoud Abbas de ne "pas être un homme de paix" et lui reprochent sa réconciliation récente avec le Hamas.
"C'est précisément cette peur du Hamas qui le rend encore moins souple qu'Arafat", accuse Uzi Dayan.
La paix israélo-palestinienne reste hors de portée
Les Etats-Unis avaient fait de Yasser Arafat un obstacle à la paix avec "Israël". Mais dix ans après la mort du chef palestinien, un accord historique reste hors de portée.
"La réalité avec Arafat est qu'on ne pouvait pas conclure d'accord de paix avec lui, mais qu'on n'a pas non plus réussi sans lui", résume Aaron David Miller, expert du centre d'études Woodrow Wilson à Washington et ex-conseiller de six secrétaires d'Etat américains sur ce dossier qui empoissonne la communauté internationale depuis près de sept décennies.
A partir de la seconde Intifada en septembre 2000, le président palestinien est ostracisé par les Etats-Unis, l'administration du président républicain George W. Bush, qui prend ses fonctions en janvier 2001, jugeant qu'il est un obstacle à la paix avec Israël.
Mais avec le recul historique, des experts contestent cette lecture du conflit.
"Arafat a créé les conditions d'un accord. Il a été le premier à accepter une solution à deux Etats, il a changé la dynamique palestinienne", défend M. Ibish.
Pour Khaled Elgindy, du Brookings Center for Middle East Policy, "Arafat n'était clairement pas le problème". L'analyste accuse plutôt "l'establishment à Washington et l'administration Bush" d'avoir "sur-personnalisé le conflit" sur la figure d'Arafat pour "mettre sous le tapis les causes profondes" du contentieux entre Israël et les Palestiniens.
M. Miller reconnaît aussi que le chef palestinien, mort près de Paris le 11 novembre 2004, "avait la crédibilité, l'autorité, la légitimité pour garder le contrôle sur le mouvement palestinien (...) et pour, s'il l'avait voulu, sceller un accord" avec Israël.
Rien de tel avec son successeur, le président Mahmoud Abbas, qui n'a, selon M. Miller, "ni l'autorité, ni la légitimité de la rue". Il est de surcroît contesté par le Hamas dans la bande de Gaza.
Le président Abbas reste cependant le partenaire privilégié des Etats-Unis en vue d'un règlement avec "Israël", Washington considérant le Hamas comme une "organisation terroriste".
Mais de l'aveu même des Américains, le processus de paix est totalement au point mort.