Rami Almeghari - E.I
Très tard dans la nuit du lundi 27 septembre, trois palestiniens ont été tués par un drone israélien, pas très loin de la frontière entre Gaza et Israël, à proximité du camp de réfugiés d’Al-Bureij au cœur de la Bande de Gaza.
Muhammad avec sa soeur - janvier 2009 - Photo : Matthew Cassel
Depuis janvier 2009, date qui a marqué le fin des trois semaines de l’offensive inhumaine israélienne sur Gaza, Israël a repris ses attaques fréquentes sur le territoire côtier. Cette fois-ci, il prétend que les trois victimes étaient en train de préparer des tirs de projectiles en direction d’Israël au moment où ils ont été tués.
Des sentiments confus m’ont traversé lorsque j’étais à l’hôpital Shuhada al-Aqsa qui se trouve dans la ville de Deir al-Balah. Il était environ 10h30 du matin quand le médecin, debout en face de moi, suturait les lèvres de mon petit garçon Mohammed, blessé à la suite d’une chute pendant qu’il jouait avec sa sœur à la maison.
Soudainement, une grande foule fit irruption dans le service où mon fils recevait des soins. Les individus portaient les trois victimes du drone. Tout d’un coup, le calme régnant céda la place aux hurlements qui ont brisé le silence et ont poussé le médecin à quitter Mohammed pour se précipiter vers la foule et tenter d’apporter des soins et de secourir les victimes palestiniennes.
Devant cette scène, le premier instinct que j’ai eu était celui d’un père qui voulait tirer les rideaux sur le lit de Mohammed pour l’empêcher de voir le sang et les corps démembrés sous ses yeux.
En fait, j’étais face à un dilemme. D’un côté, je tenais à protéger mon fils en lui épargnant cette scène macabre où sang et pleurs se mélangent. De l’autre, mon travail en tant que journaliste me dictait d’observer tout ce qui se passait et m’imposait de scruter les moindres détails autour de moi, tout en tenant mon fils serré dans mes bras.
Au fur et à mesure que la tension augmentait avec l’affluence d’une foule qui s’entassait dans les petites salles d’admission de l’hôpital, ma préoccupation à l’égard de mon enfant et de ma profession grandissait aussi. Pourtant, ma décision ne s’était pas fait attendre : l’intérêt de mon fils, dont la lèvre saignait encore, passe avant tout.
Je n’ai pu retourner chez le même médecin que quelques minutes plus tard, quand les martyrs ont été évacués vers les morgues. Au moment où il a repris avec Mohammed pour lui suturer la lèvre, trois autres personnes ont été admises près du lit de mon fils. Manifestement, il s’agissait des frères et amis des victimes du bombardement qui pleuraient et hurlaient à haute voix. D’ailleurs, l’une d’elles a perdu connaissance pas très loin du lit de mon enfant.
« Quoi qu’il arrive, je dois finir la suture » me dit le médecin pendant que Mohammed, en pleurs, criait assez, je n’en veux plus ». Le « assez » de mon fils ne se référait-il pas à la situation dont il était témoin ? Comme pour dire qu’il a vu et entendu assez ? Dans moins d’une semaine, c’est-à-dire le 3 octobre, Mohammed soufflera sa quatrième bougie.
Mon cher enfant, je ne pense pas que cela soit « assez ». Je crains que ce ne soit que le commencement dans ta vie de Palestinien, contraint de vivre et de témoigner d’une violence continue et sans répit.
Ce jour-là, en me voyant porter mon fils, un ami à moi, cameraman de Reuters à Gaza m’a interrogé au sujet de Mohammed pendant qu’il photographiait les parents et les amis affligés et peinés des défunts.
Quel mélange de sentiments ! Ni le journalisme, ni la paternité ne sont faciles à exercer quand on est citoyen de Gaza, dont la vie est constamment perturbée du fait du blocus sévère et de la violence continue imposés par Israël.
* Rami Almeghari est journaliste et conférencier universitaire vivant dans la bande de Gaza.
Vous pouvez le contacter à : rami_almeghari@hotmail.com.