Denis Sieffert
Reprise de la colonisation, affirmation du caractère juif de l’État, le gouvernement israélien cède sur toute la ligne aux plus extrémistes.
Ironie de l’histoire : au moment où, en France, des procès sont en cours contre des associations ou des personnalités accusées de « provocation à la discrimination raciale » pour avoir appelé au boycott des produits venus d’Israël [1], le gouvernement israélien renforce les aspects les plus discriminatoires de sa politique. Non seulement il vient de donner son feu vert à la poursuite de la colonisation de Jérusalem-Est, mais il vient également d’avaliser le principe d’une allégeance à Israël en tant qu’État juif de tous les non-juifs qui postulent à la nationalité. Cette disposition vise évidemment les musulmans, mais frappe aussi les chrétiens. Elle soulève l’indignation des Palestiniens, qui représentent 20 % de la population israélienne. Elle interdit de fait toute possibilité de retour de Palestiniens contraints à l’exil en 1947-1948, ou à leurs descendants.
Sur le principe, la définition d’une nationalité par l’allégeance à une religion défie évidemment les règles de la laïcité. C’est un pas de plus vers une situation d’apartheid à la sud-africaine, c’est-à-dire l’inscription d’une discrimination dans la loi israélienne. Quelque 63 % de la population israélienne approuveraient cette mesure, selon un sondage publié le 15 octobre par le principal quotidien du pays, Yedioth Aharonot, et 36 % seraient même favorables à une interdiction de vote pour les non-juifs. Les dirigeants israéliens voudraient donner raison à ceux qui, en France et dans le monde, appellent au boycott d’un pays qu’ils jugent en permanente infraction avec les droits de l’homme qu’ils ne s’y prendraient pas autrement.
En attendant que ce texte très polémique soit adopté, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou vient de fermer la porte à toute relance des négociations directes avec l’Autorité palestinienne en autorisant la construction de 238 logements réservés aux juifs de Jérusalem-Est. Le prolongement du moratoire de dix mois gelant la colonisation en Cisjordanie était la condition posée par l’Autorité palestinienne à la reprise d’un dialogue. À l’annonce de cette décision, le Département d’État américain s’est déclaré « déçu » par une décision « contraire à [ses] efforts ». Pour l’Autorité palestinienne, Saëb Erekat a condamné « fermement cette décision », et appelé l’administration américaine « à tenir le gouvernement israélien pour responsable de l’effondrement du processus de paix ».
Auparavant, l’Autorité palestinienne avait officiellement demandé à l’administration américaine et au gouvernement israélien qu’ils lui fournissent une « carte de l’État juif », en échange d’une reconnaissance de celui-ci. Une « contre-proposition » qui avait été jugée positive à Washington, mais avait été ignorée par Israël. Et pour cause ! Puisque l’on sait qu’Israël, dans le rêve des ultrasionistes, veut non seulement être reconnu comme État juif, mais aussi pouvoir continuer de coloniser jusqu’au Jourdain, qui sépare le territoire palestinien du royaume jordanien.
Devant cette situation de blocage, la Ligue arabe a accordé un mois à Washington pour régler ce différend. Au-delà de cette échéance, elle pourrait être amenée, selon le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit, à demander à l’ONU de « reconnaître un État palestinien ». Ce qui poserait autrement la question des frontières du nouvel État palestinien. Derrière ces grandes et petites manœuvres, on pressent que le conflit israélo-palestinien est en train de changer de nature. Avec, en toile de fond, l’évolution du conflit vers une autre configuration dans laquelle les enjeux démographiques seront prédominants.