vendredi 7 janvier 2011

«L’Etat palestinien est devenu un projet mort-né»

06.01.11
Ziyad Clot, jeune avocat franco-palestinien, a publié aux éditions Max-Milo, un livre au titre sonnant comme un constat cinglant que n’apprécieraient pas les «Palestino-optimistes». Il n’y aura pas d’Etat Palestinien retrace son expérience de conseiller juridique de l’OLP à Ramallah. L’auteur, dont la famille maternelle est originaire de Palestine, a vécu de l’intérieur le dernier épisode du processus de paix (Annapolis 2007).
-Votre soutenez dans votre livre que les négociations, reportées en raison surtout de l’intransigeance de la partie israélienne, ne conduiront jamais à la création à terme d’un Etat palestinien. Pourquoi ce constat pessimiste de la part de celui qui a participé de l’intérieur à ces pourparlers ?
Ce que certains appellent encore «le processus de paix», héritier des Accords d’Oslo, est devenu au fil des années une entreprise de contrôle de la partie palestinienne, qui a, avant tout, vocation à assurer la sécurité d’Israël et la pérennité de ses intérêts. Il faut ajouter à cela que depuis les élections palestiniennes de 2006 et le refus d’accepter le Hamas au sein d’un gouvernement national palestinien, «le processus de paix» est venu cristalliser le schisme au sein du mouvement national palestinien (Hamas/Fatah). Aujourd’hui, il faut bien reconnaître que les Palestiniens ne sont plus en position de négocier grand-chose, d’autant plus que l’Autorité palestinienne connaît une grave crise de légitimité et ne rend plus de comptes à son peuple.
Il n’y a donc plus rien à espérer des négociations telles qu’elles sont encore agencées, bien au contraire : elles sont devenues un spectacle, une farce, un jeu de rôles qui s’auto entretient, alors que l’objet des négociations disparaît à vue d’œil (le territoire palestinien, Jérusalem comme possible capitale de l’Etat palestinien, etc.). Bien plus, le «processus de paix» est devenu une entreprise criminelle censée justifier le blocus et les privations subies par Gaza et qui masque mal la poursuite de la colonisation de la Cisjordanie et les nombreuses discriminations subies par les Palestiniens.
-Vous êtes favorable à une solution qui ne fait toujours pas l’unanimité : un Etat unique binational où pourraient vivre à l’intérieur des mêmes frontières les Palestiniens et les Israéliens. Pourquoi un tel choix ?
C’est une analyse pragmatique de la situation qui m’amène à ce constat : les communautés palestiniennes et israéliennes sont trop imbriquées en Israël et dans les territoires palestiniens pour être séparées. Aussi, une fois constaté l’impossibilité de la création de l’Etat palestinien, l’Etat binational redevient le seul horizon humainement acceptable en vue d’une résolution durable et pacifique du confit israélo-palestinien : le statu quo est inacceptable (c’est bien un apartheid que subissent les Palestiniens) et il faut prévenir le risque de voir le gouvernement israélien recourir à de nouvelles expulsions des Palestiniens d’Israël ou des territoires dans le futur. Reste donc l’Etat binational, la cohabitation en terre sainte, où chaque citoyen bénéficierait de droits et d’obligations égales qu’il soit juif, chrétien ou musulman. Ce vaste et périlleux projet est loin de faire l’unanimité au niveau des directions politiques des parties prenantes au conflit (Israël, OLP, Hamas, Etats-Unis, UE), car le «processus de paix» agit encore en trompe-l’œil.
-Des Etats d’Amérique latine ont décidé de reconnaître «l’Etat palestinien indépendant».Cette nouvelle donne permettra-t-elle d’infléchir votre position sur l’impossibilité de mettre en place un Etat palestinien viable ?
La question n’est pas de savoir si la communauté internationale est prête à accueillir un Etat palestinien. Le Brésil, l’Argentine, la Bolivie et l’Equateur, qui ont effectivement récemment annoncé qu’ils reconnaissaient, ou qu’ils sont prêts à reconnaître l’Etat palestinien dans les frontières de 1967, ne font que s’ajouter à près de cent Etats qui ont franchi ce pas depuis la déclaration d’Alger de 1988.
Le problème est ailleurs : l’objectif de l’Etat palestinien est devenu hors d’atteinte, au vu de l’évolution de la situation sur le terrain. La colonisation israélienne  (plus de 500 000 colons désormais en Cisjordanie incluant Jérusalem-Est) a mangé le territoire sur lequel le petit Etat devait se construire.
La Cisjordanie est durablement séparée de la bande de Gaza en raison de la lutte fratricide que se livrent le Fatah et le Hamas appuyés par des alliances concurrentes (Israël, Etats-Unis, UE d’un côté, Iran et Syrie de l’autre). Et le rapport de force entre Israël et les Palestiniens, extraordinairement divisés et affaiblis, est tel qu’il est utopique de penser que ceux-ci seraient en mesure d’obtenir d’Israël quelque chose qui ressemble à un Etat viable, souverain et indépendant en Cisjordanie et dans la bande Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale, en complément d’un règlement juste du sort des réfugiés palestiniens.
Je persiste donc à penser que l’Etat palestinien est devenu un projet mort-né. Ceci dit, j’espère très sincèrement me tromper : la réalisation de la solution des deux Etats reste sans doute la plus à même de contenter les parties prenantes à ce conflit et à prévenir de nouvelles effusions de sang.
-Vous vous êtes occupé d’une question cruciale, celle des réfugiés. Les Israéliens trouvent que cette exigence conduit toujours à l’impasse, alors que l’Autorité palestinienne n’en fait pas, semble-t-il, une priorité. Pourquoi cette situation ?
Les Israéliens n’arrivent toujours pas à faire face à leur responsabilité en ce qui concerne le problème des réfugiés palestiniens, car ils perçoivent la reconnaissance du drame palestinien (la Nakba) comme une négation de leur histoire propre, puisqu’ils conçoivent les événements de 1947-1948 comme leur «guerre d’indépendance». Aujourd’hui, leur stratégie consiste à tenter d’imposer un règlement du problème des réfugiés par la partie palestinienne avec le soutien de la communauté internationale et des Etats arabes.
Pour ce qui est de l’Autorité palestinienne, son quotidien kafkaïen la conduit inéluctablement à perdre de vue le sort des réfugiés résidant notamment au Liban, en Syrie et en Jordanie.
Le quotidien de l’Autorité, c’est tenter d’administrer des territoires dont elle n’a pas véritablement le contrôle, l’occupation, la colonisation, les check points, etc. La question du droit au retour, les droits des réfugiés -qui restent pourtant au centre du problème israélo-arabe et de l’identité palestinienne- sont donc peu à peu perdus de vue par la direction de Ramallah. Et les Israéliens, soutenus par les Etats-Unis, pressent l’OLP pour qu’elle se montre toujours plus conciliante sur cette question en agitant la carotte de l’Etat…
-Le personnel politique palestinien n’est-il pas pour quelque chose dans le désastre que vit son peuple ? L’arrivée de nouveaux acteurs peut-elle constituer une solution ?
Certainement. Le choix de la négociation à tout prix de l’OLP a, depuis longtemps, montré ses limites. L’Autorité de Ramallah souffre aussi d’une trop grande collusion avec Israël et les Etats-Unis. Le Hamas, de son côté, porte également une responsabilité lourde dans la guerre de Gaza, même si elle n’a pas été déclenchée par lui.
Ceci dit, après la Nakba, 45 ans d’occupation, et une politique de liquidation des dirigeants palestiniens menée de manière continue par Israël, les Palestiniens ont aussi les leaders politiques qu’on a bien voulu leur laisser…
Pour ce qui est des nouveaux acteurs, il est difficile d’identifier qui que ce soit de crédible, d’autant qu’une bonne partie des leaders palestiniens sont en prison.Cependant, il y a fort à parier que deux mouvements de fond vont continuer à aller en croissant : au niveau régional, l’islamisme politique a le vent en poupe ; au niveau international, les mouvements de solidarité avec le peuple palestinien gagnent en influence.
Nadir Iddir
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