dimanche 31 octobre 2010

“Puisqu’il faut vous "provoquer", Monsieur le Ministre”. Lettre à Bernard Kouchner

publié le dimanche 31 octobre 2010
JC Lefort

 
Le 28 octobre, Jean-Claude Lefort, en tant que député honoraire, a écrit une nouvelle fois à Bernard Kouchner. Il lui demande, "encore et encore, que la justice soit appliquée et exigée pour ce citoyen Français comme pour tous les autres."
M. Bernard Kouchner
Ministre des Affaires étrangères
37, quai d’Orsay 75007 Paris
Monsieur le Ministre,
Depuis votre passage à Jérusalem, au printemps 2008, votre action a abouti à ce que Salah Hamouri soit condamné à 7 ans de prison, au terme d’un chantage qui n’a rien à voir avec un « plaider coupable ». Le « choix » étant 7 ans ou 14 ans mais en aucun cas la liberté. Un tribunal digne d’un Etat de droit et conforme aux Conventions internationales laisse ouverte la porte du « plaider non-coupable » et donc celle de la liberté. Lui, il a été condamné d’avance, par principe, et ceci par un tribunal militaire d’occupation. Sa culpabilité n’étant pas à démontrer puisqu’elle était acquise pour ce tribunal militaire, hors preuves, avant tout procès et avant toute plaidoirie. Coupable par « définition », il ne pouvait en aucun cas être déclaré « innocent ». C’est ainsi que les choses se passent devant un tribunal militaire d’occupation.
Accepter 7 ans, dans ces conditions, ce n’est pas reconnaître quoi que ce soit. C’est tout simplement éviter le pire, c’est-à-dire 14 ans de prison. Vous auriez préféré qu’il choisisse 14 ans en plaidant « non-coupable » made in un tribunal militaire d’occupation israélien ? Cela vous aurait conforté ou fait je ne sais quelque plaisir ? Je n’ose y croire.
Depuis le début vous avez accepté la thèse selon laquelle Israël était un Etat de droit tandis que Salah était aux mains d’une force occupante condamnée par l’ONU, et donc aussi condamnée par la France. Théoriquement. Je ne dis pas, ici, de sottise, Monsieur le Ministre ? Or jamais vous n’avez demandé la libération de Salah Hamouri pas plus que le Président de la République qui, de surcroît, n’a même pas daigné recevoir la famille de Salah. Pourquoi cette discrimination flagrante qui touche cette famille et uniquement cette famille ? Je suis outré par cette attitude qui n’est pas conforme aux engagements présidentiels mais plus encore à l’idée que je me fais de la République. Je vous tiens pour co-responsable et de ce mépris inhumain et du sort de Salah qui a déjà effectué plus de 5 ans et demi de prison.
Depuis le début vous avez admis incroyablement ce que l’ONU a condamné, : Jérusalem n’est pas la capitale « éternelle » de l’Etat israélien mais la partie située à l’Est n’est, ni plus ni moins, qu’illégalement occupée. Occupée.
Salah est un prisonnier politique et uniquement politique. Vous le savez parfaitement bien : son dossier est totalement vide. Une « intention » supposée, voilà son délit qui lui vaut cet emprisonnement qui n’en finit pas.
Dans ces conditions demander « la clémence », comme l’a fait le Président de la République il y a quelque temps sans agir effectivement et fermement, c’était pour lui une façon de faire « bonne figure » pour tenter d’apaiser les esprits épris de « liberté sans frontières ». Mais pis : c’était surtout admettre purement et simplement les vues israéliennes et donc s’exposer au sec refus de Netanyahu. Ce dernier n’a pas le droit avec lui dans cette affaire non plus or vous le lui avez reconnu, vous le lui avez même accordé et même offert. C’est intolérable.
Salah est Français et uniquement Français de jure puisqu’Israël lui refuse sa bi-nationalité du fait qu’il habite Jérusalem-Est occupée. Occupée.
Actuellement, c’est le seul Français au monde ayant fait plus de 5 ans de prison pour des raisons uniquement politiques.
Je ne vous demande donc pas, à l’instar du « Comité national de soutien » qui rassemble des femmes et des hommes politiques de tous horizons, un passe-droit. Non. Je vous demande seulement, encore et encore, que la justice soit appliquée et exigée pour ce citoyen Français comme pour tous les autres. Salah n’a rien à faire en prison. Pas plus que Clothilde Reiss sortie des griffes du régime iranien au terme d’un procès que vous avez qualifié vous-même de « truqué » en parlant d’« aveux extorqués ». C’est exactement le cas de Salah, sauf que Salah est toujours en prison bien qu’Israël ne soit pas l’Iran. Salah n’a tué personne. Il n’a volé personne. Il n’a menacé personne. Il n’a brandi aucune arme contre personne. Il n‘a rien fait. Il est victime de l’occupation et on lui demande en plus aujourd’hui de s’excuser d’être hostile à celle-ci ! Refuser une occupation étrangère est un honneur, Monsieur le Ministre.
Je ne parviens pas – pour parler vite - à imaginer que vous puissiez penser un seul instant que le fait de passer en voiture devant le domicile du rabbin Yossef Ovadia, un extrémiste notoire, constitue la preuve « d’intentions » irréfutablement négatives que Salah aurait nourries contre ce dernier.
Vous savez ce qu’une situation d’occupation militaire veut dire, Monsieur le Ministre ?
Si vous aviez dépensé pour Salah un centième des efforts que vous avez justement consentis pour Guilad Shalit – dont la libération a encore été demandée hier par Stéphane Hessel et Régis Debray à Gaza devant Ismail Hanihey – Salah serait déjà libre. Vous ne l’avez pas fait. Non seulement vous ne l’avez pas fait pour Salah mais vous avez donné crédit aux Israéliens et attenté à la dignité des membres de sa famille en les mettant à l’index comme des pestiférés infréquentables.
Vous l’avez rencontrée quelques minutes à Jérusalem et vous allez partout répétant ou écrivant : « J’ai reçu la famille » ! Bah voyons : 5 minutes ! Une rencontre pour vous…
Par contre, alors que le temps vous manquait paraît-il, vous êtes allé récemment à la rencontre de la famille de Guilad Shalit, sur place, en Israël ? Très bien. Mais l’idée de recevoir et de rencontrer aussi dignement sur place la famille Hamouri ne vous a même pas traversé la tête ? Pas une seconde ? C’est à vomir. Pour la France.
La question aujourd’hui est simple : une remise de peine déposée légalement a été refusée à Salah. Il n’ya donc pas d’autre solution maintenant que d’obtenir une libération sans condition. Israël libère des prisonniers autrement plus « significatifs » que Salah. C’est un choix politique, bien sûr.
La balle est donc toujours dans votre camp et je ne saurais accepter que vous me disiez, encore et encore, que vous faites tout ce que vous pouvez pour Salah. C’est faux. Totalement faux. Les preuves abondent. Si jamais…
Salah devrait être dans sa maison depuis longtemps. Il n’y est pas. Il est dans une prison à Guilboa, une prison que vous ne connaissez pas alors qu’il vous est possible de vous y rendre. Déjà plus de 5 ans de sa vie en prison, lui qui avait 20 ans quand il y est entré. Vous imaginez ? En prison pour « rien » ? Cela ne vous émeut pas ? Cela ne touche pas le « French Doctor » partisan ardent de « l’ingérence humanitaire » ? Non ? Vous avez dit qu’il fallait vous « provoquer » s’agissant de cas qui touchent aux droits humains. Vous avez déclaré cela en remettant un prix de la République française à une ONG palestinienne (le PNGO).
Monsieur le Ministre : sachez que je suis prêt à tout pour cela, sans me défaire de mon esprit démocratique.
Car je viens quant à moi de rencontrer Salah Hamouri dans sa prison de Guilboa le 5 octobre dernier. Et je vous le dis tout net : on est plus qu’en train de « casser » ce jeune homme. Mentalement. Humainement. On le casse.
Il m’est impossible d’imaginer que sa libération ne soit envisageable qu’en novembre 2011, selon les volontés des juges militaires qui sont, évidemment, hors de tout soupçon certainement selon vous. Pour vous : car votre silence assourdissant vaut approbation.
A bon entendeur !
Je vous suggère de me croire et je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, en ma détermination et mes républicaines salutations.
Jean-Claude Lefort
Député honoraire
titre et choix de photo de Une : C. Léostic, Afps