Sylviane de Wangen
Il n’y a pas de moratoire qui tienne. Il faut exercer des pressions sur Israël pour l’obliger à arrêter les constructions d’appartements réservés aux Juifs dans le territoire palestinien occupé avant de harceler le président palestinien pour l’obliger à parler à quelqu’un qui refuse d’être un interlocuteur sérieux.
Un moratoire sur la colonisation israélienne en Palestine (occupée) est arrivé à échéance le 27 septembre dernier et la colonisation a repris. Les jours précédents ont été traversés par une terrible interrogation : la colonisation allait-elle reprendre ? A rythme soutenu ? Modérément ? Le moratoire serait-il reconduit ? La réponse à cette terrible question devait conditionner la poursuite des négociations ! L’important est pour les pays occidentaux de maintenir à tout prix le dialogue entre le Premier ministre israélien et le Président palestinien. Celui-ci, soucieux de ne pas déplaire au Président américain qui lui-même s’efforce de ménager le Premier ministre israélien pour des raisons internes, ne voulait surtout pas apparaître comme responsable de la rupture des négociations et a accepté de s’exprimer au sujet de la poursuite ou non du moratoire, n’exigeant plus qu’une prolongation de ce moratoire et non plus d’un arrêt de la colonisation.
Encore une fois, l’ordre des facteurs est totalement inversé. Il suffit à Israël de faire dévier le débat sur un terrain émotionnel – la sécurité d’Israël, la colère des colons, les pressions subies par le Premier ministre de la part de ses alliés de l’extrême droite – et le monde institutionnel oublie l’essentiel en se tenant prêt à accepter l’inacceptable. On promet des récompenses aux Israéliens s’ils acceptent des concessions (cesser de violer le droit international), et on soumet les Palestiniens à des pressions allant jusqu’à des menaces voilées de sanctions pour qu’ils acceptent de continuer des pourparlers directs avec un interlocuteur qui n’en veut pas. Et, comme d’habitude, grâce à la redoutable machine de guerre de l’information israélienne, les médias, les commentateurs, les politiques du monde entier utilisent la logique et le langage israéliens. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou appelle les colons à la retenue et le Président français trouve que cet appel « va dans le bon sens ».
Qu’en est-il en réalité ? La colonisation n’a jamais cessé, même en Cisjordanie où des « programmes de construction » en cours se sont toujours poursuivis. À Jérusalem-Est – dont l’annexion n’a jamais été reconnue au niveau international – les destructions de maisons palestiniennes et les constructions israéliennes se sont même accélérées à un rythme effréné pendant ce moratoire. Parler d’application d’un moratoire depuis 9 ou 10 mois relève donc, simplement au regard des faits, de la mystification, même si en matière de constructions on peut toujours en faire plus.
Sur un autre registre, celui de la sémantique, le constat n’est pas moins affligeant. Depuis 1967, l’occupation par Israël de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est est dénoncée par l’ensemble de la communauté internationale et les colonies construites en territoire palestinien occupé sont toujours considérées comme illicites par les Nations unies, y compris par son Conseil de sécurité, car elles violent le droit international humanitaire (conventions de Genève de 1949). Par conséquent que signifie un moratoire dans de telles conditions ? Puisque la colonisation est illégale il faut, dans un premier temps, qu’Israël arrête purement et simplement la construction des colonies. Au lieu de cela, on a commencé à parler de « gel » (un gel n’est pas un arrêt définitif mais peut à la rigueur le précéder)... Et, plus récemment, on y a ajouté ou substitué le terme « moratoire », qui implique l’idée d’une reprise. Dans le monde entier on a répété moratoire, moratoire et on a discuté du fait que les constructions allaient reprendre immédiatement ou plus tard ou reprendre modérément dans un premier temps à l’issue d’un compromis.
Voilà donc la stratégie israélienne à l’égard des Palestiniens de nouveau étalée au grand jour de façon transparente sans que cela semble choquer les commentateurs professionnels qui ont été progressivement accoutumés à ces simagrées des pourparlers directs ; on acceptera des négociations qui peuvent durer mille ans comme l’a dit cyniquement avant la conférence de Madrid de 1992 le Premier ministre israélien d’alors, Itzhak Shamir. Mille ans ou en tout cas le temps de créer une situation irréversible à partir de faits accomplis sur le terrain... Telle est la stratégie israélienne. Le monde informé sait cela. Mais il ne faut pas tuer l’espoir. Alors on fait semblant. Pourtant cette stratégie, après de si longues années, n’a jusqu’à présent apporté à Israël ni paix ni sécurité mais de plus en plus d’hostilité dans le monde.
Il n’y a pas de moratoire qui tienne. Il faut exercer des pressions sur Israël pour l’obliger à arrêter les constructions d’appartements réservés aux Juifs dans le territoire palestinien occupé avant de harceler le président palestinien pour l’obliger à parler à quelqu’un qui refuse d’être un interlocuteur sérieux. Cela est valable pour l’ensemble de la communauté internationale, notamment l’Union européenne, les Etats-Unis, et les pays arabes qui se réunissent lundi prochain. Et arrêter la comédie des négociations directes entre deux parties de forces si inégales mais convoquer une conférence internationale qui s’empare de la question. Il n’y a guère d’autre voie pour avancer, du moins si l’on veut vraiment parvenir à une paix réelle dans la région, une paix basée sur le droit, une paix dans la sécurité pour tous, Israël compris, car la colonisation ne doit pas être un sujet de négociations.