Rasmea Odeh vient d’être jugée coupable par un tribunal fédéral de Détroit (Michigan) d’avoir menti il y a 9 ans lors de son obtention de la naturalisation américaine, et vient d’être emprisonnée à Détroit. Une vengeance du lobby israélien contre cette militante palestinienne qui avait passé 10 ans dans les geôles de l’occupant, avant d’être libérée dans le cadre d’un échange de prisonniers.
Rasmea Odeh a 67 ans et vit à Chicago depuis une vingtaine d’années. Elle est née près de Jérusalem, à Lifta, un village détruit par Israël en 1948 et dont tous les habitants ont dû fuir. Elle a grandi en tant que réfugiée à Ramallah en Cisjordanie, qu’elle a vu passer sous occupation par l’armée israélienne en 1967.
A l’âge de 21 ans, en 1969, elle a été arrêtée au milieu de la nuit par des soldats israéliens à son domicile, et pendant 25 jours, ses interrogateurs l’ont torturée. Elle a été battue de la tête aux pieds avec des bâtons et des barres de métal ; son corps, y compris les organes génitaux et les seins, ont été soumis à des chocs électriques après qu’elle ait été forcée de regarder un prisonnier torturé à mort de cette même façon. Pendant tout ce temps, on lui a dit qu’elle allait mourir si elle n’avouait pas. Mais ce n’est que lorsqu’ils ont ramené son père, menaçant de le forcer à la violer, qu’elle a accepté de signer une confession déclarant qu’elle avait aidé à orchestrer deux explosions à Jérusalem-Ouest qui avait tué deux civils. Même alors, ses tortionnaires l’ont violée avec un bâton de bois épais.
Debout devant un tribunal militaire moins d’un mois plus tard, Odeh est revenue sur sa confession. Mais les juges l’ont ignorée et condamnée à la prison à vie dont 10 de sureté. 10 ans plus tard elle a été libérée lors d’un échange de prisonniers avec 75 autres Palestiniens. Cette même année, en 1979, Odeh s’est rendue à Genève, où elle décrit à l’ONU précisément comment elle est venue à être reconnue coupable de terrorisme par Israël. Dans les années suivantes, Odeh a vécu au Liban et en Jordanie, où elle a obtenu un diplôme en droit. En 1995, elle a immigré aux États-Unis, pour rejoindre son frère et son père, tous deux citoyens américains, et les grandes communautés arabo-américaines de Détroit et, plus tard, de Chicago.
C’est là que Rasmea Odeh a continué le travail qu’elle avait entrepris plus jeune : travailler avec d’autres femmes arabes à s’organiser autour des principes de justice sociale et économique. Elle est devenue le directeur associé de l’ Arab American Action Network (AAAN) en 2007, après avoir établi l’année précédente, la commission de la femme arabe, à travers laquelle elle a aidé les immigrants de langue arabe à apprendre l’anglais et à s’acclimater à leur vie dans le Midwest américain. En mai 2013, à 66 ans, Odeh a reçu le Prix mosaïque pour l’excellence de son aide communautaire par l’Alliance culturelle de Chicago, une association de centres culturels et musées ethniques dans la région de Chicago.
Aux USA, Rasmea Odeh a évoqué publiquement à plusieurs reprises son traitement en détention israélienne avant et après sa condamnation. Mais quand elle a rempli son N-400 de demande de naturalisation en 2004, après avoir vécu et travaillé pendant une décennie aux États-Unis, elle n’a pas divulgué ces éléments.
En Octobre 2013, les agents du ministère de la Sécurité intérieure sont venus au domicile d’Odeh dans la banlieue de Chicago et l’ont arrêtée sur l’accusation d’obtention illégale de naturalisation, un délit passible d’une peine allant de probation à dix ans de prison. Odeh a été libérée sous caution de 15 000 $ et à passé l’année à se préparer à aller au procès.
Comment se fait-il que ses réponses erronées sur les papiers de naturalisation qui sont vieux de neuf ans, soient mises en cause aussi tard ? En fait, l’acte d’accusation d’Odeh est le seul fruit que le gouvernement a réussi à récolter à partir d’une enquête sur un groupe de militants de la solidarité avec la Palestine débutée en Janvier 2010 dans la région de Chicago . En Septembre de cette année, le FBI a mené des raids simultanés sur les maisons de sept militants communautaires et politiques de la région de Chicago, a saisi leurs ordinateurs avec des mandats de perquisition comme étant des « soutiens matériels au terrorisme." Le raid a conduit à l’assignation de vingt-trois autres militants devant un grand jury, ainsi qu’à l’assignation des dossiers de l’AAAN.
Le « soutien matériel » est une disposition de la Loi antiterroriste de 1996 qui a été interprétée de façon large par les tribunaux leur permettant - entre autres attaques ruineuses contre les citoyens américains descendants de Palestiniens ou d’autres pays du Moyen-Orient- la poursuite des personnes ayant seulement un semblant de proximité avec une organisation étrangère, classée "terroriste".
Par exemple, en 2003, le procureur général John Ashcroft a inculpé le professeur et activiste palestinien-américain Sami Al-Arian pour conspiration en vue de faciliter le Jihad islamique. Malgré les dossiers de surveillance volumineux, la preuve du gouvernement était si fragile qu’il n’a pas pu convaincre un jury de sa culpabilité. Pourtant, le gouvernement a prolongé sa poursuite d’Al-Arian, en le gardant emprisonné ou dans un état permanent de criminel jusqu’à juin dernier, quand toutes les charges ont finalement été rejetées. Même alors, il a été placé en procédure d’expulsion.
Il y a deux ans, cinq hommes ont épuisé toutes les procédures d’appel face à une condamnation de soutien matériel en 2008, et la Cour suprême a refusé d’entendre leur cause. Les hommes, connus sous le nom des "Cinq de Terre Sainte", avaient été reconnus coupables de l’accusation de terrorisme et condamné à jusqu’à 65 années de prison pour avoir fourni une aide humanitaire aux comités Zakat qui sont soupçonnés d’être affiliés au Hamas. La charité des hommes avait été jugée criminelle en dépit du fait que l’USAIDavait donné de l’argent à certains des mêmes comités, dont aucun n’a jamais été mis à l’index.
Dans ces deux cas, le gouvernement a utilisé des témoins et des experts israéliens et dans le cas des Cinq de Terre Sainte, a créé un précédent en permettant que la preuve émanant d’un officier du renseignement israélien anonyme soit tenue secrète.
Le gouvernement aurait soupçonné l’AAAN d’être une vitrine du Front Populaire pour la Libération de la Palestine, qui, comme le Hamas, a été désigné par le gouvernement des États-Unis comme une organisation terroriste. Et tandis que le gouvernement n’a jamais trouvé de preuve de soutien pour le FPLP quand il jette son filet large sur les militants palestiniens, elle a trouvé Rasmea Odeh.
Odeh n’était pas la cible de ces investigations mais l’enquête menée sur ses collègues de l’AAAN a recueilli des milliers de documents de la part du gouvernement israélien, dont un rapport vieux de 45 ans qui a été déterré par Israel.
Ceci est la raison pour laquelle l’avocat d’Odeh, Michael Deutsch, a décrit l’opération du gouvernement contre elle comme le produit d’une « expédition de pêche » et a fait valoir que l’accusation devait être rejetée, comme un exemple de « l’utilisation sélective de la loi pénale pour cibler le travail politique protégé."
Au procès qui vient de se dérouler à Détroit, ses avocats ont admis qu’elle a effectivement été arrêtée, condamnée et emprisonnée pour une infraction pénale qu’elle a indéniablement omis de divulguer sur sa demande de citoyenneté. Mais ils ont fait valoir que la condamnation d’Odeh a été rendue par un régime illégitime et obtenue suite à une confession obtenue sous la torture. Par conséquent, soutiennent-ils, la condamnation ne doit pas être acceptée dans un tribunal américain, qui respecte les normes de procédure et d’équité fondamentale, ce qui n’a pas été le cas dans le processus judiciaire subi par Odeh.
Le système judiciaire militaire d’Israël est entré en vigueur sous l’occupation israélienne après la guerre de Juin 1967. Opérant sous l’autorité de l’armée en Cisjordanie, il donnait un verdict de culpabilité à 99,74 pour cent des cas !
Dans ce système, la plupart des Palestiniens choisissent d’accepter une sorte de négociation de plaidoyer, mais pour ceux qui ne vont pas au procès, l’accusation repose presque entièrement sur les aveux signés. Ces aveux sont garantis pendant un processus d’interrogation qui comprend souvent le genre de torture qu’Odeh a enduré, comme cela a été documenté au cours des quatre dernières décennies, non seulement par les organisations des droits humains, dont Human Rights Watch et le Comité public contre la torture en Israël, mais aussi par une commission convoquée par le gouvernement israélien et la Haute Cour de Justice d’Israël.
La défense d’Odeh avait espéré ici faire un procès politique, en utilisant son cas comme une occasion d’examiner l’illégitimité du régime juridique militaire d’Israël. Toutefois, dans une décision cruciale rendue juste une semaine avant le début du procès, le juge Gershwin Drain a refusé de permettre à la défense d’inclure la majeure partie de la preuve dont il a besoin pour construire une défense solide pour Odeh.
Le juge Drain a restreint étroitement les conclusions que le jury devrait rendre : Odeh a-t-elle sciemment menti sur ses demandes de Visa et de naturalisation et aurait-elle été admissible à la naturalisation si elle avait répondu différemment.
Malgré sa déclaration du 27 Octobre selon laquelle il trouve les revendications de torture "crédibles", le juge Drain ne permettra pas au jury d’entendre ses récits effrayants ou même le fait qu’elle a été torturée. La défense ne sera pas en mesure d’apporter leur témoin expert à témoigner qu’Odeh souffre du syndrome de stress post-traumatique, ce qui affecte son état d’esprit quand on lui demande de se rappeler l’expérience qu’elle a vécu. La défense ne sera pas autorisée à expliquer la nature du compromis du tribunal militaire qui l’a reconnue coupable.
Toutefois, le juge permettra aux jurys l’accès à plus de 100 documents israéliens qui indiquent que Rasmea Odeh a avoué avoir aider à coordonner les deux attentats à la bombe en 1969. Le juge Drain a statué en faveur de la position du gouvernement qui se base sur les crimes pour lesquels elle a été condamnée, mais comment cette conviction a été obtenue est sans importance. De l’avis écrit du juge, « La validité de la condamnation de la défenderesse n’est pas un problème pour la détermination du jury."
Rasmea Odeh, qui a refusé de plaider coupable pour obtenir une réduction de peine, devra attendre plusieurs semaines, en prison, pour savoir si elle doit purger une partie de dix ans de prison auxquels elle fait face, avant d’être dépouillée de sa citoyenneté et expulsée. Elle doit également faire face à 250.000 dollars d’amende.
(Traduit par AMM)