La perspective de débourser à nouveau plusieurs millions laisse aux bailleurs de fonds internationaux participant à une réunion majeure au Caire, sur la reconstruction de Gaza après les bombardements par Israël au cours de l’été, un sentiment frustrant de déjà vu. Ils se sont en effet trouvés dans cette même situation en 2009 et en 2012.
- Deux Palestiniens s’étreignent après avoir vu leurs maisons détruites, pendant un cessez-le-feu de 12 heures dans le quartier de Shijaiyah dans la ville de Gaza, le samedi 26 juillet 2014 - Photo : AP/Khalil Hamra
Les deux camps ne semblent rien vouloir céder sur les questions clés. Les promesses de dons attendues lors de la conférence du 12 octobre au Caire – à laquelle assisteront des personnalités de premier plan, dont le secrétaire d’État américain John Kerry – pourraient donc être bien en deçà des 4 à 5 milliards de dollars estimés nécessaires pour la reconstruction de Gaza.
Les diplomates occidentaux se disent réticents à réinvestir de l’argent si les négociations ne prennent pas un nouvel élan. « En l’absence de [percée politique], je pense que nous finirons par donner [au Caire], mais il s’agira ni plus ni moins de l’aide que nous avons déjà allouée, sous un nouvel emballage. En réalité, aucun nouveau financement ne sera accordé », a dit à IRIN un haut fonctionnaire européen sous couvert d’anonymat. « Il y a très peu d’engagement politique et d’espoir ».
Selon Johan Schaar, directeur de la coopération au service du développement du consulat général suédois dans le Territoire palestinien occupé, les bailleurs de fonds occidentaux seront confrontés à un problème de redevabilité si de nouveaux projets sont financés sans garantie qu’Israël ne bombardera pas à nouveau Gaza. Les bailleurs de fonds ne promettront pas beaucoup d’aide, a-t-il dit, s’ils ne croient pas en une paix durable. « Personne ne peut attendre de nous que nous demandions pour la troisième fois à nos contribuables de participer financièrement à la reconstruction si c’est pour revenir ensuite au point de départ. C’est hors de question. »
Assouplissement du blocus
L’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) estime qu’au moins 60 000 habitations ont été endommagées ou détruites dans les bombardements aériens de Gaza par Israël. Sur ces logements, 20 000 ne sont plus du tout habitables. Quelque 110 000 Gazaouis, majoritairement des enfants, sont désormais sans domicile. Dans un nouveau document, le gouvernement palestinien à Ramallah estime le coût de la reconstruction à 4 à 5 milliards de dollars.
Parmi les infrastructures clés détruites, on compte des dizaines de projets financés par des bailleurs de fonds internationaux. Les bombardements aériens effectués par Israël ont par exemple touché sept fois des écoles de l’UNRWA. À Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza, un pont aurait été construit grâce à des financements internationaux et détruit quatre fois pendant les récents conflits. Le réseau électrique, les hôpitaux et les centres médicaux de la bande de Gaza doivent tous être restaurés une fois de plus.
D’après les experts et les bailleurs de fonds, si l’on veut que la paix actuelle ne soit pas que provisoire, il faut résoudre la question essentielle des restrictions imposées par Israël et l’Égypte sur l’accès à l’enclave. Les deux pays maintiennent un blocus économique rédhibitoire qu’ils défendent par la nécessité d’empêcher certains produits de tomber entre les mains du Hamas, la faction armée palestinienne qui contrôle Gaza depuis 2007 et qui est considérée comme une organisation terroriste par Israël et de nombreux pays occidentaux. Parmi ces biens à « double usage », Israël limite notamment l’entrée de l’engrais, du ciment et des câbles d’acier, qui sont pourtant essentiels à la reconstruction.
« La [priorité], c’est la levée du blocus par Israël, qui devrait donner à Gaza la possibilité de rétablir des relations normales, économiques et autres, avec la Cisjordanie et le Moyen-Orient », a dit M. Schaar, dont le gouvernement a annoncé qu’il serait le premier État de l’Union européenne à reconnaître officiellement l’État palestinien. « Si vous parlez avec l’Union européenne et les Nations Unies, [vous remarquerez qu’elles sont] prêtes à étudier des mécanismes réels et crédibles de contrôle [pour donner confiance aux Israéliens pour que] l’ouverture [de la frontière] soit un succès. »
Des progrès ont déjà été faits. Le 16 septembre, l’envoyé des Nations Unies au Moyen-Orient, Robert Serry, a annoncé un accord temporaire censé faciliter l’accès à Gaza tout en dissipant les craintes d’Israël en matière de sécurité.
Peu de détails ont été communiqués concernant ce mécanisme, mais il devrait permettre aux projets des Nations Unies de commencer relativement rapidement. Il devrait également accélérer le processus pour les Palestiniens, qui enregistreront les produits à « double usage » – dont le ciment que les Israéliens estiment avoir servi à construire des tunnels – dans une base de données pour qu’ils puissent être tracés une fois entrés dans la bande de Gaza. Les petits projets tels que les rénovations de maisons tout comme les projets de plus grande ampleur seront supervisés par des contrôleurs des Nations Unies.
Cet accord ne va cependant pas jusqu’à ouvrir entièrement les frontières et, selon certains diplomates, il n’aurait qu’un impact marginal sur la souffrance humanitaire à Gaza. Le processus de paix au point mort, certains craignent que ce mécanisme temporaire finisse par devenir permanent.
« Des solutions d’appoint comme le mécanisme de reconstruction risquent de faire plus de mal que de bien à long terme », a dit un autre diplomate européen à IRIN. D’après lui, cela a déjà freiné l’élan observé dans les cercles diplomatiques pour inciter les Israéliens à négocier une plus grande ouverture des frontières.
La disposition des Israéliens à une telle ouverture est mitigée. Récemment, le chef d’état-major des Forces de défense israéliennes, le lieutenant-général Benny Gantz, a dit au journal local Haaretz qu’Israël devait maintenir un contrôle strict de la bande de Gaza. Il a cependant ajouté : « nous devons agir de manière rationnelle. La bande [de Gaza] doit être ouverte aux biens - 1,8 million de personnes sont là, coincées entre Israël, l’Égypte et la mer. Ces personnes doivent pouvoir vivre leur vie. »
Paul Hirschson, porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien a en revanche dit à IRIN que le récent conflit prouvait qu’Israël s’était montré « bien trop libéral » en permettant l’entrée de matériaux de construction sur le territoire après la guerre de 2012. Selon lui, une grande partie de ces produits s’était retrouvée entre les mains du Hamas.
« Nous encourageons la communauté internationale à investir, mais à investir de manière responsable – à [exiger] la redevabilité et la transparence pour savoir où vont leurs dollars », a-t-il dit.
Mohammad Shtayyeh, directeur du Conseil économique palestinien pour le développement et la reconstruction et membre du Comité central du Fatah – le courant du président Mahmoud Abbas – a fait part de ses inquiétudes quant à un mécanisme permettant un maintien du contrôle d’Israël sur les importations.
« S’il faut l’accord d’Israël pour tout, rien ne sera jamais fait à temps », a-t-il dit à IRIN en faisant remarquer qu’à l’approche de l’hiver, le besoin de logements va devenir de plus en plus urgent. « Si la procédure israélienne doit être suivie comme la Bible [...] et bien je crois que personne ne va au paradis avec cette Bible. »
Le deuxième diplomate européen s’est lui aussi montré inquiet. Selon lui, par manque de perspicacité, certains vont déclarer mission accomplie et ignorer le conflit israélo-palestinien et, ce faisant, attiser les flammes de la discorde.
« Une approche sécuritaire bornée cherchant à ce que [les violences] ne se reprodui[sent] pas en désarmant les factions présentes à Gaza ou en mettant en place des mécanismes de sécurité concernant les matériaux de reconstruction et en limitant les déplacements ne résoudra pas le problème. Cela ne fait qu’alimenter le cycle de l’attaque et de la résistance ».
Mettre les Palestiniens devant leurs responsabilités
Si les concessions d’Israël concernant le blocus sont un point essentiel pour les bailleurs de fonds, ils tiennent aussi fortement à voir progresser la réconciliation naissante entre les deux factions palestiniennes les plus puissantes, à savoir le Fatah et le Hamas.
Créé en juin à la suite d’un accord entre les deux factions rivales, le gouvernement de technocrates de M. Abbas n’avait pas encore eu le temps de faire ses preuves lorsque les combats ont éclaté un mois plus tard. Israël a violemment critiqué ce gouvernement, car il considère le Hamas comme une organisation terroriste.
Jusqu’à récemment, le gouvernement d’unité nationale ne l’était que de nom, car la guerre a déclenché une nouvelle série de querelles entre les deux partis. Les pourparlers relatifs à la reconstruction ont cependant eu le mérite d’encourager les responsables politiques à s’engager vers plus de coopération. M. Shtayyeh a d’ailleurs dit à IRIN que les deux groupes devaient provisoirement mettre de côté leurs divergences. « Nous n’attachons pas la reconstruction à la réconciliation, nous devons aider notre peuple et cela indépendamment des [différends] entre nous [le Fatah] et le Hamas », a-t-il dit.
Fin septembre, les deux factions rivales ont en effet annoncé un accord permettant au nouveau gouvernement de M. Abbas d’exercer son autorité sur la bande de Gaza, qui était sous le contrôle du Hamas depuis 2007. Mais l’Autorité palestinienne n’a pas encore pris le contrôle de Gaza et les fonctionnaires du territoire n’ont pas encore reçu leurs salaires qui demeurent depuis longtemps impayés et constituent l’un des principaux points de frictions entre les deux factions.
Si la réconciliation parvient à durer, cela redonnerait probablement confiance aux bailleurs de fonds. Le premier ministre palestinien, Rami Hamdallah, a récemment dit que le Qatar allait payer les salaires dus par le biais d’un fonds spécial établi avec l’accord des Nations Unies.
John Gatt-Rutter, représentant de l’Union européenne dans le Territoire palestinien, a dit à IRIN que l’Union européenne attend, avant la conférence du Caire, « d’observer des progrès [de la part des Israéliens] en matière de déplacement et d’accès et dans la capacité de l’Autorité palestinienne à exercer son autorité dans la bande de Gaza [...] certaines choses doivent devenir claires. »
Si les deux factions parviennent à travailler ensemble, l’après-guerre pourrait bénéficier au gouvernement de M. Abbas, car il cherche à obtenir un vote du Conseil de sécurité des Nations Unies sur l’accession de la Palestine au statut d’État. Peu avant l’annonce de l’accord de Gaza, Sultan Barakat, directeur de recherche à la Brookings Institution de Doha et fondateur de l’Unité de reconstruction et de développement d’après-guerre de l’Université de York, avait dit à IRIN que « ce cycle de reconstruction donn[ait] l’occasion au [nouveau gouvernement] de jouer un rôle plus important allant au-delà de l’assemblage de briques et de mortier pour aider à réunifier les Palestiniens. »
Lois antiterroristes
Autre complication, le gouvernement d’unité pourrait entraîner une baisse de l’aide en raison de lois antiterroristes. Bien qu’il soit soutenu à la fois par le Fatah et par le Hamas, il ne comprend aucun membre officiel de ce dernier groupe. Cela devrait permettre à la plupart des pays qui considèrent le Hamas comme un mouvement terroriste de trouver une manière de traiter directement avec le gouvernement.
Mais la réconciliation pourrait représenter un problème pour les États-Unis, l’une des principales sources de financements de l’Autorité palestinienne et des précédents efforts de reconstructions à Gaza. Les conditions juridiques américaines sont en effet très strictes pour éviter que les fonds tombent entre les mains du Hamas.
Des membres du Congrès américain ont laissé entendre que l’absence de représentants du Hamas n’était pas une garantie suffisante pour prouver que le Hamas ne tire pas les ficelles. Ileana Ros-Lehtinen, présidente de la sous-commission sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à la Chambre des représentants américaine a déclaré début juin que l’inclusion de technocrates apolitiques était un « subterfuge » : « Le fait que l’Autorité palestinienne décide de s’associer avec un groupe qualifié d’organisation terroriste étrangère montre à nouveau que [M. Abbas] n’est pas un véritable partenaire pour la paix et les États-Unis doivent réagir en interrompant leur aide à tout gouvernement d’unité soutenu par le Hamas. »
Malgré ces inquiétudes, les États-Unis ont jusqu’à présent continué à offrir une aide d’urgence à Gaza, dont 71 millions de dollars alloués fin septembre.
Cette aide pourrait permettre aux États-Unis, proches alliés d’Israël, d’interférer dans les manœuvres politiques de M. Abbas. Le président palestinien, qui a accusé Israël d’avoir commis un « génocide » à Gaza, a juré qu’il saisirait la Cour pénale internationale si son recours au Conseil de sécurité des Nations Unies pour obliger Israël à se retirer du Territoire occupé se soldait par un échec.
Rejoindre la Cour ou tenter de devenir membre de tout autre organe des Nations Unies pourrait pousser les États-Unis à appliquer sa législation de manière à interdire toute aide à l’Autorité palestinienne. Le robinet de l’aide sera également coupé si l’Autorité palestinienne saisit ou soutient activement une enquête de la Cour pénale internationale « soumettant des citoyens israéliens à une enquête pour crimes contre des Palestiniens. »
M. Abbas a lui-même commenté ce mois-ci que les Palestiniens risquaient de perdre près de 700 millions de dollars s’il poursuivait son plan de devenir membre des Nations Unies. Les Américains ne sont cependant pas les seuls à avoir encore des cartes à jouer dans le jeu de l’aide humanitaire. Malgré une certaine lassitude de la part des bailleurs de fonds et de faibles attentes à l’approche de la conférence du Caire, le haut fonctionnaire européen a dit à IRIN que les Israéliens craignent que le montant des dons engagés à l’occasion soit décevant. Israël étant considéré par les Nations Unies comme une puissance occupante à Gaza, le pays est tenu pour premier responsable de la reconstruction dans la région.
« [Les Israéliens] aimeraient bien sûr que les bailleurs de fonds viennent faire des promesses de dons. Il est de leur intérêt de s’assurer d’un certain afflux de fonds à Gaza », a-t-il dit. « Mais leur intérêt, je pense, est de s’assurer que l’argent arrive à Gaza pour que les gens commencent à se sentir un peu plus à l’aise pour que l’attrait des armes et de la violence soit moindre. »
Certains ont cependant le sentiment que finalement, l’importance particulière de la crise la plus controversée du Moyen-Orient signifie que malgré des mots durs, les bailleurs de fonds finiront par céder et financer la reconstruction, même en l’absence de garanties. Selon M. Barakat, les bailleurs de fonds vont vraisemblablement mettre la main à la poche, car c’est bien plus simple que de résoudre les causes sous-jacentes au conflit israélo-palestinien et de trouver des solutions.
« Nous acceptons de payer encore et encore », a-t-il dit. « Une grande partie des infrastructures détruites en 2014 avaient été payées par l’Union européenne et les pays du Golfe seulement quelques années [auparavant]. Le problème de la Palestine est unique en ce sens qu’il n’y a que pour Gaza qu’ils vont probablement bien vouloir mettre la main à la poche, car cela leur permet de se déresponsabiliser et de déresponsabiliser Israël. »