Marion Guénard, collaboration spéciale
La Presse
(Rafah) À Gaza, l'économie des tunnels fournit les produits de consommation de base à la population. Mais les effets du blocus restent réels. Reportage.
Accoudé sur un parapet, Ahmed, cigarette à la main, scrute l'horizon depuis son toit. Enfin, ce qu'il y a d'horizon. Sous ses yeux, des maisons en ruine, des tas de terre, de larges tentes couleur poussière et plus loin derrière, à quelques mètres, un gigantesque mur, gris et laid.
Ahmed, 21 ans, est un enfant de Rafah, ville la plus au sud de la bande de Gaza, frontalière avec l'Égypte. C'est d'ici, sous les bâches de toile, que partent tous les tunnels de contrebande qui alimentent l'enclave palestinienne depuis la mise en place du blocus israélien en 2007, après la prise de pouvoir du Hamas.
«Au début, il n'y avait qu'une centaine de tunnels. Maintenant, il y en a plus de 1000!», raconte Ahmed, en montrant du doigt le va-et-vient des bulldozers.
«Tout passe par là. Des réfrigérateurs, des vaches, des ordinateurs... même des voitures, achetées en Libye. On les démonte et on les réassemble ici», poursuit le jeune homme, qui, comme la majorité des jeunes de Rafah, travaille comme ouvrier dans les tunnels.
Depuis la révolution égyptienne du 25 janvier et la fin des contrôles de ce côté-ci de la frontière, le sous-sol entre Gaza et l'Égypte est plus poreux que jamais. «Aujourd'hui il y a trop de tunnels, alors les prix s'effondrent. Avant la guerre de Gaza en 2009, je pouvais gagner 1000 dollars en transportant 35 kilos de cigarettes. Maintenant, c'est trois ou quatre dollars», confie Ahmed.
Si, grâce aux tunnels, les Gazaouis peuvent avoir accès plus facilement aux produits de consommation, leur quotidien reste celui d'un territoire sous occupation.
«On manque de matériel médical, de médicaments contre le cancer», raconte Islam, père de famille à Rafah. Selon le ministère gazaoui de la santé, médecins et hôpitaux disposent seulement de 60% des médicaments essentiels pour traiter les malades. Une pénurie due selon l'OCHA, organisme chargé des affaires humanitaires de l'ONU, à une mauvaise coordination entre la bande de Gaza et la Cisjordanie, chargée de fournir les médicaments à l'enclave palestinienne.
Vie difficile
«Comment vivre une vie normale avec les coupures quotidiennes de courant?», continue Islam. Elles ont lieu au minimum quatre heures par jour, car la seule centrale électrique de Gaza n'a pas les capacités suffisantes pour fournir en électricité les 1,6 million de Gazaouis.
De son côté, Israël s'est engagé à assouplir le blocus depuis le scandale de la flottille turque en juin 2010. Mais, selon l'OCHA, seulement 916 camions, chargés de denrées, entrent dans Gaza chaque semaine depuis janvier 2011. Contre une moyenne de 2807 camions par semaine sur la même période en 2007.
Et la liste des produits interdits reste longue. Papier A4, brosses à cheveux et instruments de musique côtoient le ciment et le fer, matériaux dont Israël redoute l'utilisation par le Hamas pour la confection de bombes.
C'est pour attirer l'attention sur la bande de Gaza et dénoncer le blocus toujours en vigueur qu'une centaine d'activistes se mobilisaient récemment pour atteindre Gaza en flottille par voie de mer.
Danger sous terre
Ahmed, lui, espère quitter Gaza dans les prochains jours, via Rafah. Pourtant interdit de passage, comme tous les Gazaouis âgés de 18 à 40 ans, il s'est payé une autorisation au marché noir à 200 dollars.
«Normalement, un policier égyptien doit fermer les yeux et me laisser passer», confie-t-il. Une fois de retour, Ahmed prévoit travailler dans un magasin ou dans un café. «J'arrête les tunnels. Ca ne rapporte plus rien et c'est dangereux!» Car contourner le blocus a un coût humain: l'année dernière, sept de ses collègues sont morts, asphyxiés par des vapeurs d'essence.
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