Christian Piquet
OPINION :
Par la vitalité de l’aspiration démocratique qu’il manifeste, le cycle des révolutions arabes a commencé de bouleverser la donne planétaire. Et, en dissipant le fantasme, brandi en toute occasion, de l’islamisme et du « choc des civilisations », il a profondément changé les paramètres du conflit israélo-palestinien.
J’imagine sans peine ce que certains d’entre vous me diront en prenant connaissance des faits relatés par cette note : tout ce qui est insignifiant ne mérite que mépris. C’est parfaitement exact… À cette nuance près que, à ne pas réagir aux pires abjections dont on peut être l’objet, on court toujours (je dis bien toujours) le risque de les voir se répandre et, pire, se banaliser. Chacun connaît la célèbre maxime de Sir Francis Bacon : « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose… » Aussi ne peut-on, de nos jours, impunément jouer avec certaines questions, telles les références au génocide hitlérien ou les accusations d’antisémitisme. En l’occurrence, le site Internet de l’association Europe-Israël, vient de mettre en ligne un texte sobrement intitulé : « Comme sous Pétain, des collabos français pour une nouvelle extermination des Juifs. » Il est assorti d’une liste, numérotée et classée par ordre alphabétique, d’élus et responsables politiques nationaux dont le point commun est d’avoir parrainé la campagne « Un bateau pour Gaza. »
J’y figure… dans une liste de 88 noms… En bonne compagnie… Celles, entre autres, de Pierre Laurent et Jean-Luc Mélenchon, de nombreux parlementaires ou maires PCF, de dirigeants socialistes (comme Pouria Amirshahi, Kader Arif, François Castex, Monique Cerisier Ben Guiga, Henri Emmanuelli, Martine Faure, Serge Janquin, Louis Mermaz…), de figures d’Europe écologie-Les Verts (de Cécile Duflot à Dominique Voynet), sans compter deux députés UMP, Étienne Pinte et Jean-Luc Reitzer. Un « recensement » auquel il convient d’ajouter l’énumération, encore plus longue, d’élus et responsables locaux, parmi lesquels figurent mes amis Jacques Lerichomme et Nicole Taquet-Leroy, conseillers régionaux Gauche unitaire de Provence-Alpes-Côte-d’Azur et du Nord-Pas-de-Calais…
Le texte, dont l’auteur est un dénommé Jean-Patrick Grumberg, qui se présente lui-même comme ayant été « responsable de la communication à la Chambre de commerce et d’industrie Israël-France », ne s’embarrasse pas de nuances : « Je veux dire les choses clairement : les soutiens du bateau français pour Gaza sont aussi informés du sort réservé aux Juifs israéliens par les auteurs de cette campagne, que l’étaient les collabos qui allaient chercher les Juifs français pour les envoyer en Allemagne, et ils visent le même objectif macabre. (…) S’ils réussissent, Hamas recevra des armes, beaucoup d’armes, et des missiles. Ce faisant, ceux qui soutiennent cette action collaborent, comme sous Pétain, à la tentative d’extermination du peuple juif d’Israël par les nouveaux nazis, le Hamas. »
LE « PRINTEMPS ARABE » A TOUT CHANGÉ
Je ne compte pas, ici, chercher à répondre sur le fond (enfin, quand je dis « le fond », c’est une façon de parler…) à l’énergumène auteur de ces propos délirants. La réalité du combat n’ayant pas cessé d’être le mien contre le racisme, et spécifiquement contre la haine des Juifs, parle pour moi. Toute ma vie publique aussi. Ainsi, si sept ans durant j’ai présidé aux destinées d’une structure de coordination de dizaines d’associations, syndicats et partis agissant sur la question du Proche-Orient, avais-je personnellement tenu à ce qu’elle s’intitulât : « Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens. » Ce qui se voulait le résumé fidèle de la démarche entreprise avec sa constitution ! Je parle naturellement de mes propres « états de service », mes « co-accusés » en auraient autant à faire valoir pour ce qui les concerne.
Cela dit, j’entends profiter de l’occasion que ledit M. Grumberg me fournit pour revenir sur un sujet qui me tient à cœur depuis toujours. À mon sens, démocrates et militants de la paix se doivent, en cet instant précis, de retourner dans l’arène. Par la vitalité de l’aspiration démocratique qu’il manifeste, le cycle des révolutions arabes a commencé de bouleverser la donne planétaire. Et, en dissipant le fantasme, brandi en toute occasion, de l’islamisme et du « choc des civilisations », il a profondément changé les paramètres du conflit israélo-palestinien. Le recours permanent à la force ouverte et à la guerre, le torpillage cynique des négociations ouvertes à partir du processus d’Oslo, la négation des droits fondamentaux d’un peuple entier habillée de l’exigence incongrue que les Palestiniens reconnaissent non seulement l’existence de l’État d’Israël mais son caractère « juif », la colonisation accélérée dans la dernière période de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est en violation de toutes les résolutions des Nations unies, le blocus ayant transformé Gaza en gigantesque prison à ciel ouvert se retrouvent soudainement privés d’alibis. Ces alibis que les partisans les plus fanatisés de l’action des derniers gouvernements israéliens ont répétés, jusqu’à la nausée, par le passé.
Dans le mouvement national palestinien, le nouveau contexte régional a salutairement réactivé les réflexions sur la nécessité d’une nouvelle stratégie, démilitarisée et fondée sur l’appel à des luttes de masse pour faire triompher l’exigence de justice. Par-delà des antagonismes qui demeurent aigus, Fatah et Hamas ont engagé un processus de rapprochement, lequel pourrait amener la constitution d’un gouvernement unique, au terme d’une longue période d’affrontements aussi fratricides que déstabilisateurs pour un peuple n’ayant que trop souffert et, au-delà, pour toute la région. En Israël même, le mouvement de paix vient de connaître un spectaculaire réveil, avec la manifestation de Tel-Aviv, le 4 juin, ayant rassemblé autour de 20 000 personnes pour exiger des autorités en place qu’elles acceptent la création d’un État palestinien dans les frontières antérieures à la guerre des Six-Jours. Je partage, à ce propos, l’analyse du journaliste israélien Marius Schattner, dont je viens de prendre connaissance grâce à la dernière livraison de La Presse nouvelle, le mensuel de l’Union des Juifs pour la Résistance et l’entraide (la qualité de ce petit journal fait, à chaque fois que je le reçois, mon admiration, et il mérite vraiment qu’on le soutienne) : « Pour la première fois, les Israéliens assistent dans le monde arabe à une contestation qui n’est pas anti-israélienne en soi. Pour la première fois, aux yeux des Israéliens, le monde arabe offre quelque chose d’attrayant, ou du moins d’intrigant. »
Cela explique que le mouvement s’accélère, à l’ONU, en vue de la reconnaissance de l’État de Palestine, aux côtés de l’État d’Israël, à l’occasion de l’Assemblée générale de septembre prochain. Nombreuses sont d’ores et déjà les nations qui ont annoncé qu’elles se prononceraient en ce sens, quelques voix seulement manquant encore à un vote majoritaire. Certes, on ne connaît pas les termes exacts d’une future résolution, mais, d’évidence, un tel événement, s’il se produisait, apparaîtrait comme une sanction de la politique mise en œuvre par le pouvoir israélien. C’est d’ailleurs ce que redoute une administration américaine qui, ayant échoué à convaincre M. Netanyahou et sa coalition ultraréactionnaire d’assouplir sa position belliqueuse, voudrait à présent que cet allié des États-Unis ne se retrouvât pas au ban de la communauté internationale. Un vote des Nations unies en faveur d’une solution de partage juste serait pourtant la meilleure manière de freiner la terrible spirale qui ne cesse d’approfondir le fossé de sang séparant les deux peuples présents sur la même terre et appelés, par l’histoire, à y coexister... et, du moins veut-on l’espérer, à y coopérer un jour.
FRANCE ET EUROPE DOIVENT RECONNAÎTRE L’ÉTAT DE PALESTINE
C’est manifestement ce que tentent d’empêcher les dirigeants israéliens actuels et leur relais ici. La « flottille de la paix », qui doit appareiller dans les prochains jours, n’est pour eux qu’un prétexte, nul ne pouvant sérieusement croire qu’elle eût pour finalité d’équiper le Hamas en engins aptes à détruire Israël. S’ils en redoutent la portée symbolique, dès lors qu’elle va replacer en pleine lumière le sort réservé à toute une population au motif que ses représentants - quoi que l’on puisse penser de leurs références idéologiques pour le moins réactionnaires - déplaisent à MM. Netanyahou et Liberman, c’est principalement la décision onusienne qu’ils entendent à tout prix contrecarrer, en organisant une phénoménale pression sur les autorités françaises et, au-delà, sur l’Union européenne. Leur objectif consiste à dissuader celles-ci de se joindre à la reconnaissance d’un État de Palestine.
Ils s’emploient, pour y parvenir, à susciter la mobilisation d’une partie au moins de la communauté juive de France, en encourageant en son sein des réactions de peur et en agitant l’épouvantail d’une nouvelle vague d’antisémitisme qui viendrait des forces engagées dans la solidarité avec le peuple palestinien. D’où la virulence de la charge dont nous sommes l’objet, la menace d’assimiler au pire des terrorismes quiconque ose plaider en faveur du droit international, l’argumentation selon laquelle un nouveau génocide menacerait les Juifs israéliens.
Tout cela n’a pas la moindre consistance, mais entretient un climat nauséabond de nature à détourner une partie de l’opinion des véritables menaces qui pèsent sur la démocratie comme des pulsions discriminatoires qui agitent une société dont l’extrême droite travaille habilement les angoisses. La meilleure réponse, celle du moins dont je n’entends pas m’écarter pour ma part, consiste à poursuivre tranquillement, quoique avec détermination, sur le chemin que nous avons choisi d’emprunter voilà déjà bien des années.
La paix pour toute la région, autant que la sécurité même de la population israélienne, passent par la justice et la reconnaissance de la double réalité nationale caractérisant la terre de Palestine. Autrement dit, par la possibilité que le peuple jusqu’alors spolié puisse enfin disposer d’un État à la souveraineté et à la continuité territoriale assurées, dans les frontières d’avant l’occupation de 1967, aux côtés de l’État d’Israël. Les droits nationaux des deux peuples, palestinien et israélien, se trouvant alors garantis, une nouvelle ère de coopération pourra s’ouvrir à terme, à rebours des entreprises sans issue d’annexion et d’édification d’un véritable Mur de la honte éventrant la Cisjordanie, d’ouverture incessante de nouvelles colonies qui n’ont d’autre visée que de priver les Palestiniens d’une grande partie de leur terre, rendant définitivement inatteignable leur autodétermination.
L’apartheid sud-africain a dû, un beau jour, rendre les armes. Ben Ali et Moubarak se sont vus contraints de plier bagages, les jours de leurs semblables semblant pour le moins comptés. M. Grumberg et ses compères extrémistes perdront tôt ou tard la partie, car l’expérience humaine prouve que l’on ne peut indéfiniment faire obstacle à l’amitié entre les peuples. Je ne me suis jamais voulu un « pro-Palestiniens » exclusif, me revendiquant tel par hostilité à la nation israélienne. Je suis, et je resterai, un militant d’une solution de partage respectueuse des droits fondamentaux de chacun des intéressés. Et ce sont, à l’inverse, les pousse-au-crime, les jusqu’au-boutistes guerriers, les fous d’une loi divine dont ils se croient autorisés à exiger le respect par l’humanité entière qui interdisent au peuple israélien de trouver la paix à laquelle il aspire.
La feuille de route est toute tracée : ignorer les imprécateurs sans jamais tolérer l’infamie, abattre tous les murs de haine que d’aucuns s’efforcent de bâtir pour rendre immuable l’ordre injuste de ce monde, se placer aux côtés des forces démocratiques de Palestine et d’Israël. Avec pour prochain objectif de faire monter la pression en faveur de la reconnaissance d’un État palestinien par l’ONU…