Nora Barrows-Friedman
The Electronic Intifada
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« Nous sommes des enfants, tout comme vous. Nous avons le droit de jouer, d’aller librement. Je veux dire au monde qu’il y a tant d’enfants dans les prisons israéliennes. Nous voulons juste la liberté de bouger, la liberté de jouer. »
Amir et sa mère, quelques heures seulement avant son enlèvement
(Nora Barrows-Friedman)
Amir al-Mohtaseb a souri tendrement quand je lui ai demandé de me dire quelle était la couleur qu’il préférait. Assis dans le salon familial, cet après-midi de jeudi dernier, 5 mars, dans la vieille ville d’Hébron, le garçonnet de 10 ans, avec ses taches de rousseur et ses longs cils, m’a répondu, le « vert ». Puis, il a poursuivi en me racontant, en détail et péniblement, son arrestation et sa détention, et l’emprisonnement de son grand frère de 12 ans, Hasan, par les soldats de l’occupation israélienne, le dimanche 28 février.
Quelques heures après cet entretien, à 2 h du matin, les soldats israéliens ont fait irruption dans sa maison, ils ont arraché Amir de son lit, menacé ses parents de les tuer si jamais ils tentaient de le protéger, ils l’ont descendu au rez-de-chaussée, sous la cage d’escalier. Là, ils l’ont roué de coups si méchamment qu’il a fait une hémorragie, dans le ventre, et il fallut l’hospitaliser dans la nuit. En état de choc et en plein désarroi, Amir restera pendant un jour et demi sans pouvoir ouvrir la bouche ni s’exprimer.
Lors de notre entretien de cet après-midi qui précède cette violente agression, Amir m’a raconté que le dimanche 28, il jouait dans la rue, près de la mosquée Ibrahimi, tout en allant avec Hasan voir leur tante.
« Deux soldats nous ont arrêtés et menottés » dit Amir. « Ils nous ont conduits vers deux jeeps séparées. Ils m’ont emmené dans la colonie et m’ont mis dans un coin. J’avais toujours les menottes. Ils ont mis un chien à côté de moi. J’ai dit que je voulais rentrer à la maison. Ils ont répondu non, et ils m’ont dit que j’allais rester là toujours. Ils ont refusé que j’aille aux cabinets. Ils ne m’ont pas laissé appeler ma mère. Ils m’ont bandé les yeux et je suis resté comme ça jusqu’à ce que mon père puisse venir me chercher, tard le soir. »
La détention d’Amir, dans la colonie, a duré près de dix heures. « Je ne pensais qu’à une chose, c’était à quel point j’avais peur, surtout avec le chien tout près de moi. Je voulais m’enfuir et retourner chez moi », dit-il.
La mère d’Amir et d’Hasan, Mukarrem, m’a dit qu’Amir avait manifesté des signes de traumatisme, dès son retour à la maison. « Il essayait de blaguer, et de rire. Mais ce n’était pas un rire normal. Il était content et terrifié en même temps, ». « Il avait uriné sur lui à un moment pendant sa détention. Il était vraiment effrayé. »
Amir a confié que les nuits qui ont suivi sa première détention, il n’a pas pu dormir, malade d’inquiétude pour son frère en prison, et effrayé à l’idée que les soldats puissent revenir (ce qu’effectivement, ils ont fait). Actuellement, il y a environ 350 enfants qui croupissent dans les prisons et les camps de détention israéliens, subissant des interrogatoires, des tortures et des condamnations interminables, quelquefois sans inculpation. Leur nombre varie constamment, mais des milliers d’enfants palestiniens, entre 12 et 16 ans, sont passés par le système judiciaire militaire israélien au cours de la décennie passée, depuis le déclanchement de la deuxième Intifada palestinienne. Israël a fixé l’âge adulte pour ses propres citoyens à 18 ans, mais par ordre de l’armée, et en violation du droit international, il a décidé que pour les Palestiniens, ce serait 16 ans. De plus, des ordres militaires spéciaux d’Israël (n° 1644 et 132) permettent d’arrêter et de juger les enfants palestiniens - désignés sous le nom de « délinquants juvéniles » - dès l’âge de 12 ans.
« De cette façon, ils ont une couverture "légale" pour agir comme ils le font, même si c’est contraire aux lois internationales, » dit Abel Jamal, chercheur à Défense de l’Enfance internationale - section Palestine, (DCI-PS), à son bureau d’Hébron. « Cependant, dans le cas d’Amir, ils ont même violé leurs propres lois en l’arrêtant et en le mettant en détention alors qu’il n’a que dix ans. Ces lois sont manifestement extensibles au bon vouloir d’Israël. Nous n’avons jamais vu qu’il y ait des poursuites pour de tels crimes ».
J’ai demandé au père d’Amir et d’Hasan, Fadel, de me dire comment on pouvait être parents, sous un tel siège permanent. « Ce n’est pas sans danger pour les enfants d’aller à l’extérieur, car nous sommes confrontés constamment aux agressions des colons et des soldats, » explique-t-il. « En soi, c’est inimaginable pour nous. Et maintenant, nous avons un fils qui est en prison et un autre qui est traumatisé... ils sont si jeunes. »
Le dimanche 7 mars, exactement une semaine après l’arrestation d’Hasan et la détention d’Amir, la famille et des journalistes de la presse locale, tôt dans la matinée, se sont rendus à la prison d’Ofer où Hasan est détenu depuis son arrestation du 28. Après un long cheminement, le juge militaire israélien a reconnu que le garçon était trop jeune pour rester en prison, Hasan a été relâché mais à la condition de revenir au tribunal, à une date ultérieure, pour finir la procédure judiciaire. Ce procès faisait suite à la première audience de mercredi dernier, à Ofer, où Maan News Agency rapporte que le juge a exigé que Fadel verse au tribunal 2 000 shekels (390 €) pour la caution d’Hasan. D’après Maan, Fadel a alors demandé, publiquement, au tribunal, « Quelle est la loi qui permet qu’un enfant soit jugé devant un tribunal et que l’on exige de son père de payer une amende ? Je ne paierai pas l’amende, et vous devez libérer mon enfant... c’est la loi de l’occupation d’Israël. »
Tenaillés par les situations de leurs fils, Mukarrem et Fadel disent qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour leur famille sous l’agression israélienne. « Que pouvons-nous faire ? » demande Fadel. « Nous verrouillons les portes. Nous verrouillons les fenêtres. Nous n’avons rien pour protéger notre famille et nos voisins contre les soldats et les colons. Si c’était un Palestinien qui enlevait, frappait et emprisonnait un enfant israélien, le monde entier se mettrait en rébellion contre cela. On le verrait partout dans les médias. Mais les Israéliens rentrent dans nos communautés, avec des jeeps, des chars d’assaut et des bulldozers, ils prennent nos enfants et les jettent en prison, et personne ne s’en soucie. »
Jamal, de DCI-PS, redonne son opinion sur le droit international qui est fait pour protéger les enfants sous occupation militaire, et qui est ignoré par Israël depuis le début de l’occupation en 1967. « La plupart du temps, nous utilisons, autant que nous le pouvons, la loi, les Conventions de Genève, la Convention des Nations-Unies pour les droits de l’Enfance contre cette violence, » dit Jamal. « Toutes ces lois existent, mais Israël se sert de ses propres lois militaires comme excuses pour défier le droit international. Nous, Palestiniens, devons travailler ensemble à la création d’une solidarité contre cette brutalité. En oeuvrant ainsi, nous disons à la communauté internationale, voilà ce qui se passe avec les enfants palestiniens, ceci afin d’acquérir une large base de soutien contre cette situation. Nous croyons que la seule façon d’arrêter cela, c’est par le soutien de la communauté internationale. »
Amir commence doucement à parler, 36 heures après les coups des soldats israéliens. Selon Zahira Meshaal, travailleuse sociale à Bethléhem, spécialisée dans les effets du traumatisme chez l’enfant, « le mutisme électif » d’Amir, symptôme d’un choc psychologique extrême et provoqué par les coups et sa détention, est une réaction courante, mais le fait qu’il ait commencé à parler est un bon signe. « Il s’agit d’une réaction de peur à beaucoup de niveaux. La maison d’Amir et sa famille représentent sa seule source de sécurité, » dit Meshaal. « Tout cela lui a été enlevé quand les soldats ont envahi sa maison. Il est aisé de suivre son trauma immédiat, mais les conséquences à long terme seront sans aucun doute difficiles à traiter. Il aura besoin de beaucoup de soins psychologiques, en commençant maintenant. »
Meshaal commente la nature de cette agression dans le contexte de la situation telle qu’elle se développe dans Hébron. « Nous parlons d’un endroit qui se trouve en première ligne pour le traumatisme, » dit-elle. « C’est un mal permanent et qui empire pour la communauté tout entière. Les parents doivent être au centre de la sécurité pour leurs enfants, mais cela leur est ôté. Spécialement à Hébron, et les colons et les soldats israéliens le savent, ils se servent de cette tactique pour obliger les gens à partir d’ici. C’est une guerre psychologique. Il s’agit d’un acte délibéré pour effrayer les enfants et obliger les gens à partir ailleurs, où leurs enfants se sentiront plus en sécurité. »
Au terme de notre entretien du jeudi 5 mars, Amir avait envoyé un message aux enfants d’Amérique. « Nous sommes des enfants, tout comme vous. Nous avons le droit de jouer, d’aller librement. Je veux dire au monde qu’il y a tant d’enfants dans les prisons israéliennes. Nous voulons juste la liberté de bouger, la liberté de jouer. »
Amir a dit qu’il sera cardiologue plus tard, quand il aura grandi. Sa mère et son père, eux, espèrent que le propre cœur d’Amir - et le leur - guérira du trauma répétitif et cumulatif de la semaine dernière, aux mains d’une occupation israélienne interminable.
* Nora Barrows-Friedman est co-animatrice et principale productrice de Flashpoints, magasine quotidien d’investigations sur Radio Pacifique. Elle est aussi correspondante d’Inter Press Service. Elle écrit régulièrement depuis la Palestine où elle dirige aussi des ateliers de communication pour les jeunes du camp de réfugiés de Deishé, près de Betléhem, en Cisjordanie occupée.
L’auteur, en Palestine.
Hébron, le 8 mars 2010 - Live from Palestine - The Electronic Intifada - traduction : JPP