Il semble que le fait d’être un enfant rende la mort d’une victime israélienne plus digne d’être annoncée - mais si les victimes palestiniennes sont des enfants, on aurait tendance à moins rapporter leur mort.
- Été 2014 - L’armée israélienne a massacré plus de 2100 Palestiniens dans la bande de Gaza, dont des centaines d’enfants - Photo : AFP
Imaginez un instant quelle image ce titre évoque pour vous … Cette image change-t-elle quand vous lisez la deuxième phrase du titre ?
… « Une porte-parole de l’hôpital a déclaré que le Palestinien était un garçon de 10 ans ».
En fait, très peu de gens lisent le texte entier de chaque article de journal, donc en tant que rédacteur vous devez vous demander ce que fait passer la une par elle-même. J’imagine que la plupart des gens qui ne lisent que ce gros titre supposeront que le Palestinien évoqué était un adulte – et que les lecteurs auront par conséquent une réaction différente à l’histoire.
Mais par ailleurs, ils seront sans doute moins disposés à lire l’article – à l’opposé de l’effet qu’on recherche habituellement par le titre. On peut donc s’étonner que le Times néglige cet élément capital. Manque de place, peut-être ?
Mais : « Un garçon gazaoui abattu par des soldats israéliens à la frontière » n’aurait pas pris davantage d’espace.
Ou « Un enfant abattu par l’armée israélienne à la frontière de Gaza », car la nationalité probable de la victime des tirs serait évidente d’après le contexte ; il n’y a pas tellement d’enfants israéliens près de la frontière avec Gaza. Et de toute façon, l’âge de la victime est sans doute un fait plus important que son appartenance ethnique.
Alors … ? les éditeurs ont-ils omis de leur titre le fait que c’est un enfant qui a été abattu parce qu’ils ne voulaient pas que les lecteurs s’indignent de ce qu’Israël soit responsable du tir ? Ils diraient certainement que non – mais rappelons qu’un article du New York Times *, titré avec précision : « Quatre jeunes garçons tués alors qu’ils jouaient sur la plage de Gaza », a été re-titré pour l’édition imprimée : « Garçons noyés sur la plage, au centre de la bande de Gaza » ("Boys Drawn to Gaza Beach, and Into Center of Mideast Strife"). Ici les garçons sont restés des garçons, mais leurs morts ont disparu.
Quand la rédactrice de l’édition publique du Times, Margaret Sullivan (22/7/14) a demandé pourquoi son titre avait été modifié, son rédacteur en chef Dean Baquet a prétendu que les gros-titres de l’édition imprimée cherchaient à être « quelque peu poétiques ». Du Lamartine, n’est-ce pas.
Pour avoir une idée quantitative de ce phénomène, passons du New York Times à un média qui se veut le New York Times des ondes hertziennes : NPR. Seth Ackerman, de FAIR ** a étudié quelles morts ce média a rapportées pendant le conflit israélo-palestinien, sur une période de six mois.
Il a découvert que NPR a rapporté 81 % des morts israéliennes et 89 % des morts d’enfants israéliens pendant cette période – mais seulement 34 % des morts palestiniennes, et 26 % des morts d’enfants palestiniens.
Donc NPR a cru - à juste titre – qu’être un enfant rendait la mort d’une victime israélienne plus digne d’être annoncée, par contre si les victimes palestiniennes étaient des enfants, NPR avait tendance à moins rapporter leur mort.
C’est une étrange manière d’évaluer les nouvelles – sauf si le but n’est pas de maximiser l’intérêt humain, mais de le réduire au minimum.
* (7/16/14 ; FAIR Blog, 7/17/14)
* Jim Naureckas est un journaliste d’investigation américain, actuellement responsable du mensuel critique « Extra ! » de l’observatoire des médias "FAIR" (Fairness and Accuracy In Reporting). [http://fair.org/blog/]. Il est co-auteur de « The Way Things Aren’t : Rush Limbaugh’s Reign of Error ». Sur Twitter : @JNaureckas.