Budour Youssef Hassan - The Electronic Intifada
Le 1er octobre, des milliers de Palestiniens ont manifesté à
Sakhnin pour commémorer le onzième anniversaire du soulèvement du 20
octobre durant lequel les forces policières israéliennes ont massacré 13
Palestiniens, citoyens d’Israël, désarmés pendant 8 jours.
Manifestant
chaque annéet à Sakhnin, les familles continuent à demander des comptes
aux forces israéliennes pour la mort de 13 Palestiniens en octobre 2000
- Photo : Oren Ziv/ActiveStills
Aucun des manifestants ne constituait une menace pour la
vie des policiers ou d’autres personnes et la plupart d’entre eux ont
été abattus à bout portant dans la poitrine. Les massacres ont eu lieu à
Ummal-Fahm, Jatt, Arrabeh, Sakhnin, Nazareth, Kufr Kanna et Kud Manda
entre les 1-8 octobre.
« Onze ans plus tard la blessure saigne encore, »
raconte à l’Intifada électronique Ibrahim Siyam, père du martyr Ahmad
Siyam et porte-parole des familles des martyrs. « Ahmed fut le premier
martyr des manifestations d’octobre 2000. » Il avait juste 18 ans et se
préparait à aller à l’université prochainement » a ajouté Siyam.
Les 13 martyrs étaient tous de jeunes hommes débordant
d’espoir et de vie. Parmi les tentatives de la propagande israélienne
pour déshumaniser les Palestiniens, les familles des martyrs insistent
pour rappeler à chacun les rêves et aspirations de leurs proches.
L’une des images les plus poignantes de la manifestation
d’octobre 2000 est celle d’Aseel Assieh d’Arrabeh, âgé de 17 ans,
portant un T-shirt avec le logo de Semences de Paix - un groupe
pacifique palestino-israélien - sa tête enterrée dans une oliveraie
après avoir été abattu à bout portant dans la nuque. Aseel était un
étudiant remarquablement intelligent qui croyait en la résistance non
violente et dont la conscience politique dépassait son âge de loin.
Dans une interview téléphonique, le père d’Aseel, Hassan
Assleh raconte « Aseel débordait d’énergie...même en se rendant à la
manifestation d’Arrabeh le 2 octobre, il chantait. Ses yeux brillaient
d’espoir et de joie de vivre. »
Contester le mythe de « l’amour de la mort »
Hassan Assleh est particulièrement préoccupé, dans les
grands médias israéliens et occidentaux, par la stigmatisation des
Palestiniens présentés comme un peuple « amoureux de la mort » et
obsédés par la recherche du martyre. « Ceci est un stéréotype simpliste
et faux » dit-il. Aseel était brûlant de passion et s’est agrippé à la
vie jusqu’à son dernier souffle. Tous les Palestiniens sont comme
cela. Ne pensez pas que n’importe quel martyre choisit de mourir ou a
le martyre comme but. Néanmoins nous sommes conscients que la liberté
exige des sacrifices et c’est le besoin constant de liberté et de
justice qui pousse ces jeunes femmes et hommes à se sacrifier. Le
martyre n’est pas notre but, mais c’est le coût à payer pour libérer
notre pays et regagner notre dignité. »
Quand je lui ai demandé s’il regrettait d’avoir autorisé
son fils à participer à la manifestation, son long soupir résumait ses
sentiments de manière aussi expressive que ses mots éloquents. « Non,
même si j’avais connu les conséquences je ne l’aurais jamais empêché de
participer à la protestation. J’ai toujours enseigné à mes enfants à ne
pas se taire et à lutter contre l’injustice, et empêcher Aseel de
participer à la manifestation irait à l’encontre des valeurs que Jamila
et moi défendons » répondit-il.
« Cependant, il y a des moments difficiles où je me sens
trahi par nos dirigeants politiques qui n’ont pas fait grand chose pour
demander des comptes. » Néanmoins sa mémoire et le courage de mon
épouse me donnent de la force.
« La trahison des dirigeants politiques » est un
sentiment fréquemment exprimé par les familles des martyrs. Même si
c’est le Haut Comité de Suivi pour les Citoyens Arabes en Israël qui a
appelé a des manifestations de masse et à des grèves publiques le 1er
octobre 2000, en réaction à la visite provocatrice d’Ariel Sharon à la
mosquée Al Aqsa à Jérusalem et le meurtre de Mohammad Al Durra, âgé de
12 ans, un jour plus tard à Gaza, les parents des martyres pensent que
le Haut Comité de Suivi et les partis palestiniens de la Knesset
(parlement israélien) les ont laissés tomber depuis lors.
« Je pense que depuis l’établissement de la Commission
Or (la commission mise sur pied par le gouvernement pour enquêter sur
les meurtres suite à la pression de la minorité palestinienne), le Haut
Comité de Suivi et tous les partis palestiniens n’ont exercé aucune
pression » dit Ibrahim Siyam. « La Commission a désespérément essayé
d’absoudre le gouvernement de toute responsabilité et, en de nombreuses
occasions, elle a refusé un procès équitable aux Palestiniens et n’a pas
respecté les normes légales, mais ceci aurait pu être évité si une
pression constante avait été exercée. »
Siyam est d’accord avec Assleh : « Chaque année qui
passe marginalise plus le soulèvement d’octobre 2000. Cette année le
Haut Comité de Suivi n’a pas appelé à une grève publique mais s’est
contenté d’organiser une marche centrale qui, au cours des années, se
transforme en festival. »
Protection contre l’amnésie
« Il est important d’internationaliser le massacre
d’octobre 2000, » dit Assleh, « Mais ce qui est plus important est
d’empêcher son oubli en Palestine. Comme le massacre de Qassem et la
Journée de la Terre, octobre 2000 est un jalon dans la lutte de la
minorité palestinienne en Israël contre l’entité sioniste et chaque
citoyen palestinien en Israël devrait être conscient de sa signification
et de ses implications. »
Cependant garder octobre 2000 présent dans le discours
local est un défi énorme. Et tandis que les représentants politiques
palestiniens sont en partie responsables, l’Etat d’Israël essaye
également de contrôler la mémoire collective des Palestiniens en
interdisant aux écoles de commémorer les massacres d’octobre 2000 et en
persécutant et terrorisant ceux qui le font. Par exemple, le directeur
de l’école secondaire à Arrabeh a été convoqué pour une audience au
Ministère israélien de l’Education car il avait organisé un débat sur
les massacres d’octobre 2000. De telles mesures ainsi que la loi Nakbar
et la censure imposée sur l’enseignement de l’histoire palestinienne
ridiculisent la revendication d’Israël d’être « l’unique démocratie au
Moyen Orient. »
Une autre accusation accablante à l’encontre
d’Israël est le fait que les massacres d’octobre 2000 n’ont donné lieu à
aucune enquête et qu’aucun des policiers impliqués dans les massacres
n’a été tenu responsable. Dans son rapport final, publié en septembre
2003, la Commission Or, dirigée par le juge Théodore Or, a conclu que
des balles en caoutchouc et des balles réelles avaient été utilisées
contre des manifestants désarmés et a ordonné au Département d’enquêtes
criminelles Mahash de recommencer l’enquête des cas. Deux ans plus
tard, Mahash, en contradiction avec les constatations de la Commission
Or, concluait qu’il n’y avait pas assez de preuves pour justifier une
investigation criminelle des cas. En examinant le rapport Mahash, le
Ministre de la Justice de l’époque, Menachem Mazuz, décida de soutenir
Mahash et de clôturer les 13 cas en février 2008.
« Nous n’avons jamais fait confiance à l’état raciste
d’Israël pour nous rendre justice » dit Assleh. Et il a raison. Dans
ce pays qui se proclame fièrement la seule démocratie au Moyen-Orient,
les crimes d’état contre les Palestiniens sont toujours restés impunis.
Ibrahim Siyam se demande : « Si un citoyen juif avait
été tué par la police, pensez-vous qu’on aurait autorisé le tueur à
échapper à ses responsabilités ? En Israël, il semble que les vies
Palestiniennes ne valent pas grand chose. »
* Budour Youssef Hassan,
originaire de Nazareth, est militant socialiste palestinien et étudiant
en troisième année de droit à l’université hébraïque à Jérusalem. A
suivre sur son twitter : twitter.com/budouraddick
19 octobre 2011 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction de l’anglais : Lisette Cammaertshttp://electronicintifada.net/conte...