Roger Sheety - Palestine chronicle
Les nations qui se sont construites en dépouillant,
emprisonnant et assassinant les populations d’origine ont deux problèmes
avec l’Histoire :
1. Son horreur est difficile à justifier.
2. Sa brièveté sape la validité des arguments selon lesquels cette terre est "la nôtre".
Paul Woodward, American and Israeli Exceptionalism (WarInContext.org)
1. Son horreur est difficile à justifier.
2. Sa brièveté sape la validité des arguments selon lesquels cette terre est "la nôtre".
Paul Woodward, American and Israeli Exceptionalism (WarInContext.org)
Répression menée par les troupes anglaises contre des manifestants palestiniens à l’époque de l’occupation britannique
L’expression "mandat britannique de Palestine" est si
courante chez les experts occidentaux et sionistes de la Palestine
qu’elle en paraît inoffensive et par conséquent on ne l’approfondit pas.
De fait, si l’on se livre sur Internet à une recherche sur ce terme
apparemment sans problème on trouve deux millions de résultats de
qualité et d’utilité extrêmement variées.
En réalité, il n’y a jamais eu de "mandat britannique"
de Palestine ; cela a été et demeure une pure construction coloniale
européo-occidentale, une abstraction aux conséquences, elles, aussi
concrètes que désastreuses. En réalité, le peuple palestinien n’a jamais
accepté d’être occupé par des colons britanniques, il n’a jamais
accepté de voir sa terre ancestrale partagée pour être donnée à d’autres
européens et il n’a jamais demandé à être "civilisé" par un
gouvernement impérial complètement ignorant de sa langue, de sa culture
et de son histoire. On peut dire la même chose du "Mandat français" en
Syrie et au Liban et du "Mandat britannique" en Irak.
Le terme "Mandat britannique" a eu son utilité,
cependant. Il a permis aux historiens coloniaux et autres partisans de
la colonisation de croire que la Palestine était en somme destinée à la
partition, ce qui l’a "légalisée" et partant sanctifiée. Vous comprenez,
la Société des Nations a donné mandat à l’Angleterre en 1922 et donc
l’Angleterre, la nation plus grande de la terre, la plus éclairée et la
plus progressiste a été obligée de remplir sa mission —c’est du moins
l’argumentaire qui a servi de justification. Et qu’en était-il du peuple
autochtone de la Palestine ? Comme l’a résumé Lord Balfour en 1917,
leurs aspirations, leurs droits et leur existence même n’avaient que peu
d’importance :
"Le sionisme, qu’il ait tort ou raison, qu’il soit
mauvais ou bon, est enraciné dans une longue tradition, dans des besoins
actuels et des espoirs d’avenir d’une importance infiniment supérieure
aux désirs des 700 000 Arabes qui habitent aujourd’hui cette terre
ancienne et aux préjudices qu’ils subiront."
Il importait peu que les Palestiniens soient encore
majoritaires en 1948 en dépit des décennies de soutien britannique à
l’immigration des Juifs d’Europe et de Russie. Et il n’importait pas
davantage que les Palestiniens possèdent encore la plus grande partie de
la terre de Palestine en dépit du demi-siècle d’efforts acharnés du
Fond National Juif fondé en 1901, à Bâle en Suisse, pour acheter de la
terre en Palestine et construire des colonies réservées exclusivement
aux colons juifs. Dans la vision coloniale en général et dans
l’idéologie sioniste en particulier, la "tradition ancestrale"
mythologique qui va de soi ainsi que les élans de rhétorique
grandiloquente ont toujours plus de valeur que les faits et la réalité.
On retrouve toujours la même vision coloniale/raciste
dans la plupart des discours sur la Palestine en Occident. On y assume,
par exemple, que seuls les Etats-Unis peuvent résoudre le "problème" de
la Palestine. Il va de soi que seule la dernière superpuissance mondiale
a la capacité de jouer le rôle d’arbitre et de médiateur impartial
entre deux camps (soit disant) intransigeants. Pourquoi ? Parce que
l’Amérique est exceptionnelle bien sûr, parce que l’Amérique est unique,
une ville lumineuse dressée sur une colline, un modèle de démocratie
—ou du moins c’est l’argumentaire utilisé. Peu importe que le
gouvernement des Etats-Unis donne à Israël des milliards de dollars
chaque année, lui fournisse les armes les plus avancées qu’on puisse se
payer et couvre ses crimes répétés contre l’humanité par son soutien
diplomatique et inconditionnel. Exactement comme dans les paroles de
Balfour en 1917 les faits sont écartés au profit des discours
incantatoires et magiques.
Mais comme pour le soi disant Mandat Britannique et
l’exception américaine, le langage et le discours coloniaux sont
étroitement liées à des actes injustes, immoraux et violents. Prenez par
exemple le dernier projet d’Israël qui prévoit le nettoyage ethnique de
30 000 Bédouins palestiniens de leurs terres ancestrales du Naqab
(Negev). Voilà comment un grand titre de la seconde édition de juin de
Haaretz, un journal israélien influent qui fait partie des médias
dominants, présente la chose : "Un projet visant à améliorer les
conditions de vie des Bédouins habitant actuellement dans des villages
non reconnus dont le manque d’infrastructures de base cause des
problèmes environnementaux et autres."
Un projet de dépossession et de nettoyage ethnique
devient donc une "promotion" et une "relocalisation" pour de meilleures
conditions de vie dans un plus grand souci de l’environnement. Mais ce
qui se cache entre les lignes, c’est que les Bédouins sont les
propriétaires de la terre sur laquelle ils vivent, un titre de propriété
antérieur à la création de l’état d’Israël, mais même ce fait essentiel
est qualifié ici de simple "revendication". Nulle part dans l’article
on ne trouve un mot sur ce que sont vraiment les Bédouins, à savoir une
composante du peuple autochtone de Palestine.
Puisque les Bédouins ne sont pas des Palestiniens pour
Haaretz ni pour aucun média dominant, mais seulement des "Arabes" on
peut donc les relocaliser (c’est du nettoyage ethnique) là où l’état
d’Israël le désire ; en d’autres termes, ils n’ont pas d’histoire, ni de
lien avec la terre, ni de relation avec les autres Palestiniens en
Palestine historique ou dans la Diaspora. Grâce à ce seul mot "Arabes",
on fait disparaître toutes ces réalités.
Ce déni constant de l’identité palestinienne et de
l’histoire des Bédouins fait en réalité écho à l’affirmation raciste de
Golda Meir selon laquelle "le peuple palestinien n’existe pas" et à la
manière tout aussi odieuse dont Balfour a décrit les Palestiniens en
1917 comme étant seulement "les habitants actuels du pays". De la même
manière les Bédouins du Naqab sont arrachés à leur contexte historique
et séparés des autres Palestiniens. D’ailleurs en quoi l’expulsion et la
dépossession des Bédouins palestiniens est-elle différente de
l’expulsion de la majorité des Palestiniens de Haïfa, Saint Jean
d’Acres, Jaffa, Safed, Jérusalem ou Beer Sheva (pour ne prendre que
quelques exemples) en 1948 ? La réponse est simple : il n’y a pas de
différence.
En fait l’ombre de la Nakba, l’expulsion originelle de 1947-48, n’a jamais cessé de planer.
Ecoutez par exemple, Yosef Weitz, un des architectes du
plan Dalet, réfléchir en 1941 à la manière de "se débarrasser" du peuple
autochtone de Palestine et de s’approprier des pans significatifs du
Liban et de la Syrie :
"La terre d’Israël n’est pas du tout petite, à condition
d’en faire partir tous les Arabes et d’élargir un peu les frontières ;
au nord il faudrait aller jusqu’à la Litani [rivière libanaise] et à
l’est inclure le plateau du Golan.... et il faudrait transférer les
Arabes au nord de la Syrie et en Irak" (Nur Masalha, Expulsion of the
Palestinians, 134).
Notez bien que, comme pour Balfour, les peuples de
Palestine, du Liban et de Syrie ne comptent pas dans l’esprit de Weitz ;
ce ne sont pas des personnes, ce sont des objets qu’on peut mettre ici
ou là selon les caprices des dirigeants sionistes. Notez aussi la
manière cavalière dont Weitz envisage de dessiner les frontières de son
futur état sans aucune considération pour les peuples de la région,
comme un enfant qui dessine au hasard des lignes sur une feuille de
papier.
Maintenant écoutez Tzipi Livni (une des personnes qui
est derrière l’opération Cast Lead), une voix soi-disant modérée et
progressiste de la scène politique israélienne ; en 2008, elle a fait un
discours à des étudiants du supérieur sur ce qui pourrait arriver aux
citoyens palestiniens d’Israël au cas où la solution de deux-états
serait mise en place :
"Ma solution pour maintenir un état d’Israël juif et
démocratique est de constituer deux états-nations avec certaines
concessions et des lignes rouges claires... Et entre autres, je veux
pouvoir dire aux Palestiniens qui habitent en Israël, ceux que nous
appelons les Arabes israéliens* que "leur solution nationale se trouve
ailleurs". (Jerusalem Post, FM takes heat over Israeli Arab remark,
December 11, 2008).
Il s’est écoulé plus de 70 ans et la vision coloniale
sioniste est toujours la même —les Palestiniens sont considérés comme de
simples pions qui peuvent être déplacés comme on veut pour maintenir
"l’état juif et démocratique d’Israël". Il n’est évidemment jamais venu à
l’idée de Livni qu’il n’y a rien de démocratique ni de juif dans le
nettoyage ethnique, tellement elle est imbibée de sa propre propagande.
Elle est peut-être plus subtile que Weitz ou Balfour dans le choix des
mots mais le racisme est toujours le même.
De fait, toute la narrative historique d’Israël est
fondée sur des constructions mythiques coloniales de ce type ainsi que
sur l’oblitération des faits historiques, les euphémismes, les
dérobades, le déni catégorique de la réalité ; la Palestine était "une
terre sans peuple pour un peuple sans terre", "Les Israéliens ont fait
fleurir le désert", "Israël est la seule démocratie du Moyen Orient",
"L’armée israélienne est l’armée la plus morale du monde", "Israël est
une lumière pour les nations", "Nous avons des voisins dangereux", "Nous
n’avons pas de partenaire pour la paix", "Les Arabes ne comprennent que
la force", et j’en passe.
Lorsqu’on aborde le sujet des attaques quasi
quotidiennes contre les Palestiniens, à la fois dans les Territoires
Occupés et en Israël même, et du vol continuel des terres et de la
culture palestiniennes, c’est le plus souvent à coups de tours de
passe-passe linguistiques ou de mensonges flagrants comme d’ailleurs
quand on traite de toutes les guerres israéliennes depuis la création de
l’état. Cela nous rappelle la maxime célèbre de Tacite : "Ils pillent,
ils assassinent et ils volent : voilà ce qu’ils appellent à tort
l’Empire, et quand il ne reste qu’un désert, ils appellent ça la paix."
Les colonisateurs et les conquérants se servent toujours
du langage comme arme contre les colonisés et les occupés. Dans la
vision coloniale/impériale, le langage est le plus souvent utilisé par
ceux qui détiennent le pouvoir pour manipuler, troubler, déshumaniser et
dominer. C’est un outil qui permet de justifier les crimes passés et
d’excuser les crimes futurs. Lorsque le peuple colonisateur est
installé dans le pays conquis, le langage sert tout particulièrement à
dénigrer et même effacer l’histoire et la culture de la population
autochtone qu’on dépossède.
Comme l’a récemment écrit le professeur israélien de
langue et d’éducation, Nurit Peled-Elhanan : "l’apartheid [israélien]
n’est pas seulement un ensemble de lois racistes, c’est un état d’esprit
façonné par l’éducation. Les enfants israéliens sont élevés depuis leur
plus jeune âge dans l’idée que les citoyens "arabes" et les "Arabes" en
général sont un problème qu’il faut résoudre, éliminer d’une manière ou
d’une autre... L’éducation israélienne réussit à construire des murs
mentaux qui sont bien plus épais que le mur de béton qu’on construit
pour emprisonner la nation palestinienne et cacher son existence à nos
yeux... [Les Israéliens] ne considèrent pas les Palestiniens comme des
êtres humains comme eux, mais comme une espèce inférieure qui ne mérite
pas d’avoir ce qu’ils ont" (Independent Online/Daily News, How racist
laws imprison a nation, November 3, 2011).
Si les Juifs israéliens désirent sincèrement une paix
juste et durable, ils feraient bien de commencer par renoncer une fois
pour toutes à la pernicieuse mentalité coloniale dont ils sont imbibés
ainsi qu’au langage d’illusoire suprématie qui l’accompagne et par
apprendre à voir les Palestiniens comme des égaux à part entière, rien
de plus rien de moins. De toutes façons il ne faut pas s’attendre à ce
que les Palestiniens finissent par accepter d’être dépossédés, d’être
victimes de nettoyage ethnique, d’être occupés et d’être traités comme
des citoyens de deuxième classe dans leur propre pays ; non seulement
cela serait injuste et immoral mais, comme cela équivaudrait à s’avouer
vaincu, cela ne risque absolument pas d’arriver.
Note :
* Ces "Arabes israéliens" ont actuellement la nationalité israélienne
* Ces "Arabes israéliens" ont actuellement la nationalité israélienne
* Roger Sheety est écrivain et chercheur.
7 novembre 2011 - The Palestine Chronicle - On peut consulter l’original à :
http://www.palestinechronicle.com/v...
Traduction : Dominique Muselet