Sabrina Kassa
Retour sur la première semaine de juillet
Après une tentative en mai 2010, qui s’était soldée par la mort de neuf personnes, les militants propalestiniens qui veulent forcer le blocus imposé par Israël sur la bande de Gaza ont tenté toute la semaine dernière de lancer une seconde flottille, depuis la Grèce. En vain ou presque. Seul un navire français est enfin parvenu à prendre la mer, mardi, après une semaine de bras de fer avec les autorités grecques.
Il s’agit du « Dignité/El Karama », avec à son bord Olivier Besancenot, du NPA, et l’eurodéputée Europe Écologie-les Verts Nicole Kill-Nielsen. Le navire est arrivé ce mercredi dans les eaux internationales... Mais tous les autres bateaux étaient toujours bloqués à quai mercredi, une semaine après le départ annoncé. Récit de cette semaine des plus tendues.
Sur le « Dignité/El Karama »
En plus d’être le plus jeune militant du bateau français pour Gaza, il est le seul ch’ti à bord et n’en est pas peu fier. Oussama Mouftah, du collectif Palestine 59 de Lille, est également membre du Collectif des musulmans de France, et adhérent d’Europe Écologie-Les Verts. « Je suis ici parce que je prends mes responsabilités. Je milite pour la Palestine depuis longtemps, je parle à tous d’engagement, alors quand on m’a proposé une place sur le bateau, je n’ai pas hésité. Sinon, j’aurais perdu toute crédibilité », confie-t-il tout en s’amusant à tenir la barre du bateau, à l’arrêt pour encore un moment.
Oussama Mouftah patiente en attendant des nouvelles des chefs depuis samedi 2 juillet, sous un soleil de plomb, sur le « Dignité/El Karama », un des deux bateaux français de cette seconde flottille de la liberté, dans une crique industrielle près de la petite ville de Salina, non loin d’Athènes. À bord : Olivier Besancenot du NPA, Annick Coupé de Solidaires, Nicole Kill-Nielsen, députée européenne EELV et d’autres encore.
Le bateau français ne veut pas céder à l’injonction politique du gouvernement grec qui, le 1er juillet, a formellement interdit, « le départ des bateaux sous drapeau hellénique ou étranger, depuis les ports grecs, ayant comme destination la bande sous blocus maritime de Gaza » et ce pour éviter « les risques imminents pour la vie et la sécurité ».
Pour les militants, cette décision est terrible : le blocus de Gaza vient de s’étendre à la Grèce. Le gouvernement israélien a réussi à convaincre le quartette (États-Unis, Russie, ONU, Union européenne) et la Grèce de le soutenir dans sa volonté farouche de ne pas laisser rentrer à Gaza de nouvelle flottille de la liberté. Thomas Sommer-Houdeville, membre du comité de pilotage de la flottille, fulmine : « Israël vient de gagner en Papandréou un nouveau sous-commandant aux affaires maritimes ! »
Dans ce yacht de seulement 13 mètres, ils seront bientôt douze entêtés, accompagnés de trois personnes de l’équipage, à tenter l’impossible : montrer que la volonté des pacifistes de la flottille de « briser le siège de Gaza » est inébranlable.
La seconde flottille de la liberté, avec sa dizaine de bateaux internationaux, joue ici sa dernière carte. Alors que lundi 27 juin, les organisateurs avaient annoncé à Athènes son départ imminent, la semaine qui s’est déroulée n’a enchaîné que nouvelles désastreuses et rebondissements politiques plombants. Retour sur cet enchaînement.
Lundi soir, sabotage
C’est en démarrant le moteur du bateau que les militants gréco-suédois de Ship to Gaza réalisent lundi soir que le scénario tant redouté était en train de se réaliser : le bateau a été saboté ! L’hélice et l’arbre de transmission ont été coupés, le bateau n’est plus en état de prendre la mer (voir sur la vidéo sur www.freedomflotilla.eu). L’année dernière, le bateau irlandais « Rachel-Corrie » avait fait les frais d’un tel sabotage. Les organisateurs n’ont désormais qu’une idée en tête : le remettre en état, et vite, pour que la flottille puisse partir avant la fin de la semaine. Coût de la réparation : 15.000 à 20.000 euros.
Conférence de presse, lundi 27 juin. Conférence de presse, lundi 27 juin. Parmi les 300 militants qui sont à Athènes en vue du départ de la seconde flottille de la liberté, c’est la consternation. « Ils n’ont pas osé, non, là c’est trop ! », entend-on dans le couloir de l’hôtel où se trouvent les militants français. Bien sûr, tout le monde pense que le gouvernement israélien est dans le coup, suivant une logique implacable : « À qui d’autre cela pourrait-il profiter ? » Mais bien sûr, personne n’a de preuve.
Pour la délégation française, 46 militants de 27 à 79 ans venant de tout le territoire national, la semaine s’annonce raide. Ils représentent tout, ou presque, de ce que la France contient d’organisations de soutien aux Palestiniens, partis politiques (EELV, PC, PG, NPA), organisations syndicales (CGT, Solidaires), associations musulmanes (CFM, PSM), juives (UJFP, Juifs européens pour une paix juste) et de la solidarité internationale (AFPS, CCIPPP, Cimade)...
Pour la première fois, pendant un an, 80 structures ont travaillé ensemble pour ce bateau et pour collecter près de 600.000 euros, dont 80% par des dons de moins de 20 euros. « Une mobilisation exceptionnelle ! » répètent-ils tous en chœur.
Mais ce lundi, la nouvelle du sabotage du bateau grec les atterre. Georges Gumpel, qui représente l’Union juive française pour la paix, et dont le père a été déporté à Auschwitz lors du dernier convoi du 11 août 1944, ne décolère pas et le fait savoir : « Mais bien sûr !, il n’y a rien d’étonnant, c’est toujours la même méthode. Sauf que là, c’est fait à Athènes, dans le berceau de la démocratie occidentale, et ça ce n’est pas du tout rassurant pour la suite. »
La délégation française décide d’organiser des tours de garde sur le « Louise-Michel » pour ne pas laisser saboter le bateau français. Le vieux monsieur de 74 ans, fougueux comme un adolescent, a vu juste. Mercredi, c’est au tour du bateau irlandais amarré dans le port turc de Gocek d’être saboté, et avec la même signature : l’hélice et l’arbre de transmission ont été endommagés. L’un des membres de l’équipage, l’ancien international de rugby irlandais Trevor Hogan, déclare à la RTE que si le sabotage n’avait pas été détecté ,il aurait eu pour conséquence « d’entraîner le naufrage du navire, en provoquant très certainement la perte de vies humaines ».
Mais là encore, aucune preuve. Ceci dit, il ne fait pas de doute que le gouvernement israélien doit se frotter les mains. Le lendemain, le ministre des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, se félicite du succès des efforts diplomatiques et politiques d’Israël visant à limiter l’importance de la flottille. « Nos ambassadeurs et nos diplomates ont mené des centaines de discussions, et en fin de compte le nombre de navires et de passagers est moindre que prévu », dit-il à la radio publique israélienne.
Louise Michel est sans-papier
La seconde flottille de la liberté est en effet en train de se réduire dangereusement. Les organisateurs annonçaient une quinzaine de bateaux il y a un mois. Il n’en reste aujourd’hui plus que dix, et il n’est pas question de quitter les ports grecs.
Pour Thomas Sommer-Houdeville, membre du comité de pilotage de la flottille, « si le gouvernement grec ne nous donne pas les autorisations, alors qu’il est clair que tous nos bateaux sont en très bon état, le message sera clair, cela voudra dire que ce gouvernement accepte de faire le sale boulot pour Israël ». L’année dernière pourtant, le gouvernement avait permis le départ de la première flottille de la liberté, sans grande difficulté.
« Il y a parmi ceux qui s’obstinent à prendre le départ des activistes liés au terrorisme qui cherchent délibérément la violence et à verser le sang pour capter l’attention des chaînes de télévision, mais je pense que nous serons en mesure de leur faire face », insiste le ministre des affaires étrangères israélien.
Vangelis Pissias, le porte-parole de Ship Gaza Grec, dont le rôle est central dans la coalition internationale, est un peu las : « Nous sommes dans une bataille inégale où ils savent très bien que nous avons très peu de moyens. Alors ils ont décidé de nous épuiser par ces tracasseries administratives. C’est une guerre psychologique. » Les obstacles administratifs pleuvent, en effet, sur tous les bateaux. Le certificat de nationalité du « Louise-Michel » est bloqué par l’administration depuis une dizaine de jours. Les autorités portuaires bloquent aussi la livraison de fioul.
Pour les Français, le sort semble en plus s’acharner. À peine arrivés à Athènes, le capitaine et deux membres de l’équipage du « Dignité/El Karama » se sont fait passer à tabac dans la nuit de jeudi à vendredi près de l’hôtel où séjourne la délégation.
« Ils mangeaient un sandwich vers trois heures du matin dans le quartier d’Omonia près de l’hôtel et ils ont été attaqués par une dizaine de nervis fachos. Certains portaient des casques », raconte Claude Léostic, la porte-parole du bateau français pour Gaza, devant les membres de la délégation, lors de la première réunion de 10h, d’une désormais longue série quotidienne, où l’on ne cesse de « faire le point » sur la situation. « Cela n’a rien à voir avec le contexte de la flottille, insiste-t-elle. Ils ne sont pas les seuls à avoir été bastonnés, il y avait aussi à l’hôpital six ou sept Algériens ou Marocains. Je pense qu’il s’agit plutôt d’une ratonnade. »
La délégation française accuse le coup. Mais les membres de la seconde flottille de la liberté essaient encore de sortir du traquenard. Vendredi matin, les militants du bateau américain « The Audacity of Hope », soutenus par une partie de la délégation française, ont manifesté devant l’ambassade américaine à Athènes pour réclamer qu’on les laisse partir. Après avoir chanté Free our boats sous les fenêtres de l’ambassade, ils ont bloqué la circulation une demi-heure après un face-à-face musclé avec la police grec avec, en première ligne, Olivier Besancenot du NPA, Annick Coupé de Solidaires, Nicole Kills-Nielsen, députée européenne EELV, et Jean-Paul Lecoq, député communiste.
Le show américain
Mais ce même vendredi, Benyamin Netanyahou, le premier ministre israélien, vient de marquer un point en faisant des remerciements appuyés à la Grèce. « Je remercie de nombreux dirigeants qui se sont exprimés contre la flottille en la qualifiant de provocation et ont œuvré contre sa venue, dit-il. Je remercie en particulier les États-Unis, l’Europe et le secrétaire général de l’ONU ainsi que notre ami le premier ministre grec Georges Papandréou. » Un compliment embarrassant pour le gouvernement grec qui, jusqu’à présent, a préféré multiplier les obstacles administratifs mais s’est bien gardé de déclarations politiques.
Vangelis Pissias, un responsable grec de la flottille, espère encore pouvoir retourner la situation et actionner ces réseaux pour faire sortir les navires des ports. Du coup, toute la délégation française reste suspendue à ce que « les Grecs » vont pouvoir faire. Beaucoup n’y croient plus, même si personne n’ose le dire publiquement. Les militants qui ont soutenu et payé pour la campagne du bateau auraient du mal à accepter un échec.
Vendredi, en fin d’après-midi, sans prévenir les autres militants, les Américains de Free Gaza ont fait leur « show ». Bravant l’interdit de sortie, ils ont largué les amarres, destination Gaza. Raté. À quelques milles du port, les gardes-côtes grecs les ont arraisonnés. Retour au Pirée, mais cette fois-ci, au port militaire. Si les journalistes et les militants ont été relâchés rapidement, ce n’est pas le cas du capitaine, emmené en prison.
Les Français ne veulent pas lâcher. Les réunions s’enchaînent à l’hôtel, les délégations sont éparpillées, pour certaines à Athènes, d’autres à Corfou ou à Chypre. Les Français veulent tenter une sortie, mais à condition que ce soit avec le reste de la flottille, à savoir le bateau greco-suédois qui devrait être réparé samedi, et les bateaux italien, espagnol, canadien ainsi que les deux cargos d’aide. Deux nouvelles journées de discussions intenses et d’embrouilles administratives commencent...
Samedi à 15 heures, la décision est prise. Les bateaux français largueront lundi 4 juillet les amarres pour Gaza, avec ou sans les autres bateaux passagers de la flottille. Les groupes du « Louise-Michel » et du « Dignité/El Karama » se forment. Le « Louise-Michel », amarré au Pirée, n’a toujours pas ses papiers en règle et le fioul n’a pas été livré. Vu l’expérience du « Audacity of hope », chacun sait qu’il pourra au mieux faire 20 mètres dans le port du Pirée avant d’être arraisonné, alors que le « Dignité/El Karama » a toutes ses chances.
Le petit yacht, ayant quitté la France dix jours plus tôt, a un statut « plaisance » et n’est théoriquement pas soumis à la même interdiction de départ que les autres embarcations de la délégation. Olivier Besancenot et Julien Rivoire du NPA, Nicole Kills-Nielsen, députée européenne EELV, Annick Coupé de Solidaires, Oussama Mouftah du collectif 59, Nabil Ennasri, président du Collectif français musulman, Jacqueline Le Corre, du Collectif 14 et membre du parti communiste français, Oumayya Naoufel Seddik, de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives, sont partants. Le bateau est alors caché dans une « zone grise », dans une crique. En partant, le « Louise-Michel » pourra dire qu’il a bravé « le blocus d’Athènes », le « Dignité/El Karama » espère encore atteindre Gaza.
L’échappée belle
Le bateau Louise Michel. Le bateau Louise Michel. Dimanche matin, tout le monde se démène. Quelques-uns iront manifester avec les autres militants de la flottille devant l’ambassade américaine, puis pour certains devant l’ambassade israélienne. Sur le « Louise-Michel », en présence des illustres marins du bateau, Alain Connan, Jo Le Guen et Eugène Riguidel, la dernière grande réunion se tient jusqu’à 2 heures du matin où tout est discuté et analysé, la situation politique, les questions juridiques...
Il est décidé de porter plainte pour entrave à la liberté de circulation de citoyens européens dans l’espace Schengen, ainsi que de déposer un recours devant la Cour de justice européenne. Et lundi, le « Louise-Michel » mettra en scène « la cérémonie d’au revoir à l’État de droit », résume Julien Bayou.
Lundi à midi, quand Mustapha Barghouti, le député palestinien, arrive sur le bateau avec son keffieh, ses baskets et drapé des couleurs nationales palestiniennes, tout est prêt. Les voiles ont été hissées, les drapeaux français, palestinien et européen sont accrochés en haut du mât. Eugène Riguidel propose de mettre le grec en berne. Proposition acceptée à l’unanimité.
Les élus, Jean-Paul Lecoq, député communiste, Alima Boumedienne-Thiery, la sénatrice écologiste, et Julien Bayou, conseiller régional EELV, ceints de leur écharpe tricolore, s’affichent fièrement. Les militants américains sont là et sont ravis de la mise en scène française. Il y a aussi Hedy Epstein, cette infatigable militante, ancienne déportée née en Allemagne en 1924, très active depuis le début du mouvement. Georges Gumpel, de l’UJFP, l’embrasse tendrement. Il est ému.
Les militants sont heureux, la presse est là et surtout les télés, France 24, Reuters... Une fois la passerelle levée, klaxon, vrombissement du moteur. Tous chantent allègrement « Gaza we are coming ! » ou encore « Palestine vivra »... sans bien sûr larguer les amarres. Le but est de montrer qu’ils n’ont toujours pas renoncé à briser le siège de Gaza. « Je vous informe que tous les médias palestiniens suivent tout ça de près. Sachez que les Palestiniens sont très touchés et ont conscience que vous avez pris de votre temps et des risques pour briser ce siège et porter haut ce message de dignité », annonce le député palestinien. Applaudissements.
L’opération permet aussi de faire diversion. Car, pendant ce temps, le « Dignité/El Karama » est discrètement parti vers les eaux internationales. Difficile de savoir à quelle heure ni vers où, car pour cette opération, tout a été tenu secret. Alors que dans la soirée, les militants apprennent que le bateau canadien est sorti du port de Corfou et s’est rapidement fait ramener au port par les garde-cotes grecs qui au passage l’ont abîmé et que les bateaux espagnol et italien ont décidé de ne rien tenter, faute de capitaine acceptant de prendre le risque, le « Dignité » est quelque part en mer.
Mardi 5 juillet, à 13 heures, une grande partie de la délégation française est de retour à Paris. Tous apprennent la nouvelle : le « Dignité/El Karama » est dans les eaux internationales, avec à son bord Olivier Besancenot et Nicole Kill-Nielsen, et navigue vers Gaza.
Sabrina Kassa est une journaliste indépendante.
publié par Médiapart
Intro : CL, Afps