Omayma Abdel-Latif
Le déferlement de sympathie qui suit la flottille historique doit-il être jugé sur ses apparences ?
L’annonce publiée dans le quotidien libanais Al-Akhbar fait appel à des volontaires et à des donateurs pour faire partir « un navire de journalistes pour la Liberté » pour Gaza. « Nous appelons tous les journalistes et toutes les personnes libres du monde à participer au lancement d’un navire de journalistes pour la Liberté pour aller à Gaza et acheminer du matériel scolaire actuellement bloqué pour les enfants assiégés de Palestine, » dit l’annonce. Le navire, le Naji Al-Ali comme l’ont appelé ceux qui le financent, le Mouvement Free Palestine, est la plus récente initiative visant à capitaliser la forte vague de dégoût et de colère populaires qui a envahi le monde arabe et à la traduire en action. Une autre initiative a été lancée par un groupe de militantes qui a fait connaître lors d’un point de presse en début de semaine son projet d’envoyer une Flottille Mariam à Gaza, en solidarité avec les femmes palestiniennes. Les deux navires font partie de Gaza Freedom 2 qui, selon son principal donateur, l’homme d’affaires palestinien Yasser Qashlaq, comprendrait plus de cinquante navires.
A Beyrouth, les volontaires se sont engagés pour Gaza Freedom 2. Plusieurs initiatives ont été également mises en débat par les membres de la Campagne européenne pour la fin du blocus de Gaza. Samar Al-Haj, l’un des organisateurs de la Flottille Mariam dit que le comité organisateur a été inondé de demandes de militantes qui veulent rejoindre ses rangs.
Près de deux semaines après l’agression contre la Flottille de la Liberté pour Gaza, le 31 mai, le monde arabe continue de gronder d’accusations virulentes contre l’agression meurtrière d’Israël. Mais c’est ici, au Liban, pays d’accueil de plus de 20 camps de réfugiés palestiniens, qu’un tourbillon d’activités semble transformer une rhétorique de solidarité en actions.
Un analyste libanais a souligné que « l’euphorie d’une activité navale en direction de Gaza » reflétait une tendance forte dans le public arabe à venir en aide aux Palestiniens et que « les Arabes, tout comme les Turcs, n’abandonneraient pas la Palestine. » Un autre commentateur, Ibrahim Al-Amin, du quotidien Al-Akhbar, a critiqué l’attention excessive portée par les médias sur les activités de solidarité, entendant par là que de tels efforts finiraient par ne plus être au centre de l’intérêt des médias. « Le cœur de la question ne doit pas être le nombre de navires à appareiller pour Gaza, car il est à craindre que cela se transforme en spectacle ; il faut plutôt se concentrer sur le blocus cruel imposé depuis quatre années, avec la bénédiction internationale et arabe, » explique Al-Amin.
Et tandis que les militants se soucient de maintenir la dynamique créée par la Flottille de la Liberté pour Gaza pour mettre fin au blocus, le Hezbollah persévère sur un autre front – quoique lié. Le mouvement de résistance islamique a appelé à un rassemblement public en l’honneur des neuf militants turcs assassinés de sang-froid au cours de l’opération israélienne contre la Flottille.
Avec neuf cercueils enveloppés de drapeaux turcs symbolisant les neuf victimes, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a lancé un appel pour qu’il y ait plus de navires humanitaires en partance pour Gaza, au mépris du blocus. Il a souligné que la Flottille de la Liberté pour Gaza avait attiré l’attention du monde sur le siège inhumain imposé à Gaza. Nasrallah, qui donne rarement des interviews à des chaînes étrangères, est apparu sur TRT, la chaîne de langue arabe de Turquie, où il a salué l’action du Premier ministre turc, Recep Tayyib Erdogan, qui a rappelé au monde le blocus de quatre années de Gaza. La chaîne turque a fait savoir lundi que Nasrallah avait reçu une invitation officielle d’Erdogan pour venir en Turquie et que les préparatifs pour le recevoir étaient en cours.
L’adhésion du Hezbollah à l’évènement et à sa célébration a été considérée comme une réponse à certains propos parus dans la presse financée par les Saoudiens, lesquels propos visent à présenter l’initiative turque comme s’intégrant dans la rivalité régionale entre la Turquie et l’Iran pour le rôle dirigeant dans la région. Pire encore, certains journalistes néolibéraux poussent l’argument jusqu’à introduire la question des flottilles à l’intérieur de ce contexte de rivalité sectaire : « C’est maintenant la Turquie, "l’Etat sunnite", qui s’empare de la question palestinienne qui avait été récupérée par l’Iran, "l’Etat chiite" et ses mandataires », écrit Ragheda Dargham, dans le journal Al-Hayat, de Londres. Une telle vision a été condamnée par le dirigeant du Hezbollah qui la voit comme entrant dans le stratagème qui vise à maintenir la division sunnite/chiite. Le Hezbollah, explique son dirigeant, jouit d’une grande popularité parmi la population turque. Les drapeaux du parti et ses symboles sont brandis par les manifestants turcs lors de leurs rassemblements.
publié par al-Ahram
publication n° 1003 - Semaine du 17 au 23 juin 2010
traduction : JPP pour l’AFPS