Jean Paul Chagnollaud, Bernard Ravenel
Le président Abbas vient de fixer la date des prochaines élections (présidentielle et législatives) au 24 janvier 2010 [1]. Par cette décision, il veut respecter la constitution puisque son mandat déjà prorogé d’un an s’achève à ce moment-là comme celui du Conseil législatif élu pour quatre ans en janvier 2006. Personne ne pourrait lui faire grief de s’inscrire ainsi dans une sorte de formalisme constitutionnel précieux en toutes circonstances et plus encore, peut-être, dans une phase de construction des institutions politiques. Et pourtant cette posture juridiquement inattaquable risque fort de s’avérer politiquement désastreuse…
Comment en effet prétendre organiser des élections pour dégager une majorité représentative du peuple palestinien des territoires occupés (Cisjordanie et Jérusalem-Est) ou sous blocus (Gaza) sans qu’au préalable il n’y ait eu l’aboutissement d’une discussion entre les deux principaux courants politiques de la société palestinienne : le Fatah et le Hamas ? Or ce processus est en cours au Caire depuis des semaines et a permis de parvenir, sous l’égide des Egyptiens, à une trame d’accord à la mi-octobre stipulant notamment la tenue de ces élections en juin 2010 ; le Fatah aurait signé mais pas le Hamas qui a demandé un nouveau délai… La décision du président Abbas qui est sans doute une manière de faire pression sur le Hamas, risque cependant de bloquer ces discussions pourtant vitales pour l’ensemble des Palestiniens.
Si cette position est maintenue, les élections de janvier ne vont pas seulement aggraver encore les relations entre les deux partis, elles vont consacrer sur le plan institutionnel la coupure territoriale et politique qui s’est instaurée de facto depuis le coup de force du Hamas à Gaza en juin 2007, et donc accentuer la séparation entre les deux segments du peuple palestinien vivant dans les territoires. C’est à terme rendre infiniment problématique toute nouvelle tentative de reconstruction de l’unité nationale sans laquelle rien ne sera possible. A ce risque d’impasse politique, il faut ajouter un élément essentiel : le vote des Palestiniens de Jérusalem-Est que l’actuel gouvernement israélien fera tout pour empêcher s’il n’y a pas de très fortes pressions internationales. Bref, tout se passe comme si Mahmoud Abbas voulait lui-même se prendre au piège… « aidé » en cela par le Hamas dont la stratégie semble tout entière centrée sur le maintien de son pouvoir à Gaza.
Et pourtant, si elles étaient conçues autrement les Palestiniens auraient tout à gagner de ces élections. En conservant la date évoquée dans le projet d’accord interpalestinien, ils se donneraient le temps de parvenir à un minimum d’unité nationale et de se présenter sur la scène internationale avec des atouts majeurs. Ils pourraient alors à bon droit exiger de la communauté internationale qu’elle soit conséquente avec elle-même. Ce qui implique :
1. Qu’elle impose à Israël, puissance occupante au sens du droit international, le respect des conditions indispensables à l’organisation d’élections démocratiques sur l’ensemble du territoire palestinien où toutes les forces politiques pourraient se présenter.
2. Qu’elle s’engage évidemment à respecter le verdict des urnes quel qu’il soit et ne refasse pas l’erreur stratégique majeure commise en 2006 par les Etats-Unis et l’Union européenne qui ont voulu des élections mais pas leurs résultats.
3. Qu’elle s’engage à fournir les garanties concrètes comme l’envoi d’observateurs sur le terrain pour vérifier le bon déroulement des élections.
Le respect de ces principes constituerait les premiers éléments concrets d’une modification en profondeur de la situation d’occupation et de colonisation et permettrait de reprendre une véritable négociation politique débouchant sur un Etat palestinien territorialement viable. Cela impliquerait l’engagement d’Israël :
1. À ne rien faire pour perturber ces scrutins et ne pas emprisonner les élus comme cela a été fait pour nombre d’entre eux après les élections de janvier 2006,
2. à lever des barrages pour permettre une véritable liberté de circulation de la population,
3. à libérer un certain nombre de prisonniers politiques palestiniens à commencer par ceux qui seraient candidats,
4. à permettre des contacts entre la Cisjordanie et Gaza, ce qui suppose la levée du blocus de Gaza,
5. à laisser voter les Palestiniens de Jérusalem-Est.
Ces bases pourraient créer les conditions préalables à un règlement politique durable en partant du principe que ces élections seraient la première phase d’une construction institutionnelle dont la suivante devrait être le débat sur les frontières à partir des résolutions des Nations unies et du droit international. En décidant des frontières définitives, on tracerait ainsi l’essentiel c’est-à-dire les contours de l’Etat. Dans une telle perspective, ces élections constitueraient alors une étape fondatrice sur le chemin de l’indépendance politique de la Palestine à côté de l’Etat d’Israël. A partir de là, seule une conférence internationale, sous l’égide des Nations unies, convoquée aussitôt après ces élections et imposée comme le fut celle de Madrid en 1991, pourrait aboutir à un règlement de ce conflit garantissant le droit et les droits des deux peuples.
Nous sommes parfaitement conscients des obstacles considérables qui se dresseraient pour avancer dans cette direction mais c’est pourtant une des seules qui permettraient de progresser vers une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens.
[1] il a depuis "accepté" de repousser cette élection.
publié le 3 novembre par Courrier international