jeudi 1 octobre 2009

Gaza, suite

Par Christian Merville | 01/10/2009
LE POINT
Elle, c'est Nicole Goldstone, un modèle de piété filiale qu'envieraient nombre de parents. De son père elle dit : « C'est un sioniste convaincu, qui adore Israël. » Elle dit encore : « S'il n'avait pas participé à l'enquête qui a débouché sur le rapport qui porte son nom, celui-ci aurait été encore plus accablant pour l'État hébreu. » Lui, c'est Richard Goldstone, un juge unanimement respecté dans son pays d'origine, l'Afrique du Sud, et dans les milieux de la magistrature internationale. Cet homme, qui fut procureur général devant les instances juridiques chargées de connaître des abus commis dans les Balkans et au Rwanda, doit faire face, depuis le 15 septembre, à un tir nourri, déclenché par Tel-Aviv et les « amis » de celui-ci partout dans le monde, qui jugent odieuses les accusations de crimes de guerre perpétrés par les soldats de Tsahal durant les 22 jours qu'avait duré l'entreprise de massacre systématique contre la population de Gaza, en janvier dernier.
Le document de 575 pages, établi à l'issue de longs mois d'investigations consciencieusement menées par une équipe qualifiée, évoque 36 cas typiques de la conduite de cette guerre d'extermination qui, aujourd'hui encore, refuse de dire son nom. Extrait : « Ce qui s'est passé durant un peu plus de trois semaines à la fin de 2008 et au début de 2009 représentait une attaque délibérée et disproportionnée, destinée à punir, humilier et terroriser une population civile, à miner radicalement les capacités de l'économie locale à produire et à assurer son autosuffisance pour la forcer à être encore plus dépendante et vulnérable. » En quelques lignes, tout est dit et c'est terrible.
Les multiples contre-feux aussitôt allumés par la propagande israélienne s'inscrivent dans la droite ligne d'un système de défense qui, s'il avait fait ses preuves jadis, a beaucoup perdu de son efficacité depuis. Il y eut pour commencer les hérauts du gouvernement Netanyahu qui se sont dépêchés de dénoncer « un parti pris flagrant », un texte « conçu dans le péché » (sic), alors que, dixit Mark Regev, porte-parole du cabinet, « notre système judiciaire est profondément indépendant » et que « tout ce que font les militaires est sujet à enquête ». Chiche ? Eh bien, non ! Car dans la foulée, toute la caste politique s'est dépêchée de refuser ce principe, la palme revenant à Shimon Peres qui, dressé sur ses ergots de Prix Nobel (de la paix, s'il vous plaît), a lancé le désormais célèbre « a mockery of History » à propos d'un acte d'accusation « qui évite d'établir la distinction entre l'agresseur et un État exerçant son droit à se défendre ». Le chef du gouvernement, pour sa part, s'est contenté sobrement de parler de « truquage », mais l'ancien fort des Halles reconverti en émule de l'évêque d'Autun, Avigdor Lieberman, a évoqué, sans rire, « un retour aux jours sombres des Nations unies, quand sionisme était synonyme de racisme ».
Après deux semaines d'errements, Israël donnait l'impression, hier, de prendre conscience de la gravité de la situation. Il ne s'agit plus de se draper dans les oripeaux de la vertu outragée par de basses calomnies, mais bel et bien de trouver une riposte adéquate au tollé soulevé un peu partout dans le monde par le rapport Goldstone. Plus question d'ignorer cette véritable bombe ni de faire assumer la responsabilité de ce qui s'est passé au seul Hamas, lui aussi condamné par le magistrat sud-africain et qui, lui aussi, en a rejeté la teneur. Les experts sont presque unanimes à considérer que le document en question est l'œuvre d'une mission dûment mandatée par l'organisation internationale et que l'on ne saurait, en conséquence, repousser dédaigneusement comme un vulgaire torchon de papier. La mise sur pied d'une commission d'enquête israélienne indépendante est envisagée ; le ministre du Commerce et de l'Industrie, Benjamin Ben Eliezer, voudrait que l'on « prenne les devants » et que l'on s'attaque aux Palestiniens ; enfin le ministre des Affaires sociales, Haïm Herzog, propose la création d'un organisme étatique capable de s'occuper des conséquences du rapport, « parce que les acteurs et les règles du jeu ont changé ». Il ne croit pas si bien dire : le vaillant État pionnier, si respectueux, dit-il, des droits de l'homme - à condition qu'il ne soit pas palestinien - risque de finir devant un tribunal international pour peu que le Conseil de sécurité donne son aval à une telle démarche. Figurerait, peut-être, au sein de l'aréopage l'Espagnol Baltasar Garzon, le tombeur d'un certain Augusto Pinochet. Mais les protecteurs sont là qui veillent au grain et peuvent toujours brandir la menace d'un veto. Ouf !
Au Canada pendant ce temps, une certaine Nicole Goldstone continue de se désoler : elle aurait tant voulu passer avec son père les vacances du Rosh Hashanah.