Sur le nucléaire iranien comme sur la question palestinienne, l’isolement diplomatique et émotionnel d’Israël ne cesse de s’approfondir. Au risque de perdre de vue que sa sécurité passe avant tout par sa légitimité .
« Splendide Isolement ». A la fin du XIX° siècle, cette expression était employée pour décrire la position de la Grande-Bretagne par rapport à l’Europe. Benjamin Disraeli ou le Marquis de Salisbury souhaitaient tenir éloigné le Royaume Uni des conflits et des rivalités européennes. La Grande-Bretagne n’était pas seulement une île, elle avait la première flotte du monde et régnait sur un vaste empire. Son ambition paraissait légitime.
L’Etat d’Israël n’est pas une île, même s’il rêverait sans doute de l’être et s’il n’est pas la première puissance navale du monde, il est la première puissance militaire régionale. Mais il semble à sa manière adepte du « splendide isolement », même s’il ne s’agit pas toujours, de sa part, d’un choix délibéré.
Sur deux questions centrales, les négociations sur le nucléaire Iranien et le processus de paix avec les Palestiniens, les positions d’Israël semblent s’éloigner toujours davantage, non seulement de celles des pays de l’Union Européenne mais également de celles des Etats-Unis.
Y aura-t-il dans les semaines qui viennent un accord avec Téhéran ? Pour le ministre Israélien Yuval Steinitz en charge des questions d’Intelligence, un non-accord serait de loin la meilleure solution. L’obsession de Daesh, disait-il récemment dans le New York Times, ne doit pas conduire à un mauvais accord avec l’Iran. Vue d’Israël la menace militaire de Daesh est très exagérée. Les combattants de l’Etat Islamique ne feraient pas le poids face à une armée digne de ce nom, comme celle du royaume Hachémite de Jordanie. Pour Israël, la menace d’un Iran nucléaire demeure et de loin le risque principal en matière de sécurité. Certes l’échec des négociations avec Téhéran peut renforcer le scénario d’un embrasement du front Nord du pays. Et contrairement aux combattants du Hamas, ceux du Hezbollah ont des missiles qui peuvent sans doute atteindre toutes les villes d’Israël. Mais il faudra bien les confronter un jour!
Le fossé qui existe entre Israël et ses alliés occidentaux sur la question Palestinienne est sans doute plus profond et fondamental encore. Ce qui est le plus frappant aujourd’hui pour l’observateur extérieur est l’absence totale d’empathie entre les deux peuples. Certes, du fait même de l’existence du Mur qui les sépare, les chances qu’ils ont, de simplement se rencontrer, sont devenues plus réduites. Mais même à Jérusalem, où ils cohabitent, ils se côtoient sans se voir, évitant délibérément semble-t-il, de croiser le regard de l’autre. Lors de la dernière guerre à Gaza, les destructions de bâtiments civils ont largement dépassé ce qui aurait été nécessaire d’un simple point de vue de sécurité. Il ne s’agissait pas seulement de dissuader mais de punir. On ne peut s’empêcher de penser que le Palestinien est devenu pour l’Israélien une abstraction largement déshumanisée. Du coté Palestinien, l’Israélien est tout simplement l’incarnation du mal, même si chez les Chrétiens palestiniens la menace est désormais duale avec la montée du fondamentalisme musulman. Certes il y a eu la deuxième Intifada et la pratique des bombes humaines. Certes il y a l’occupation et l’humiliation délibérée des Palestiniens. Mais ces données ne suffisent pas, à elles seules, à rendre compte de l’absence totale d’empathie entre les deux peuples. Du coté Israélien il y a bien sûr l’héritage de la Shoah.
« Nous sommes arrivés trop tard » disait Ehud Barak lorsqu’il n’était que chef d’Etat-Major des armées Israéliennes, lors de sa première visite à Auschwitz. La rencontre d’un peuple abusé avec un peuple humilié ne pouvait que très mal se passer. Pour le Palestinien, l’Israélien est un anachronisme, le dernier colonisateur, à l’ère de la décolonisation. La droitisation politique d’Israël d’un coté, la montée du fondamentalisme islamique chez une partie des leaders du Hamas à Gaza de l’autre, ont crée une situation qui semble sans issue. Du coté Israélien comme du coté Palestinien on peut évoquer encore la solution des deux Etats, en réalité on n’y croit plus.
C’est pourtant pour les deux peuples, la moins mauvaise des alternatives, la seule qui vaille en fait. 75% des Israéliens continuent de se dire favorable à la solution des deux Etats, mais ils sont presque aussi nombreux, 65%, à ne pas la croire possible. « Il faudrait un fait nouveau, une crise d’une extrême gravité, pour que l’équilibre existant en Israël se modifie en faveur des partisans de la solution des deux Etats » me confiait la semaine dernière à Jérusalem, l’un des observateurs les plus avisés de la scène politique locale.
En attendant l’isolement diplomatique et émotionnel d’Israël s’approfondit.Au risque de perdre de vue que la sécurité d’Israël passe avant tout par la légitimité d’Israël. Le splendide isolement n’est pas une alternative pour un pays, sinon un peuple qui ne représente dans sa totalité que la marge d’erreur statistique dans le calcul de la population de la Chine, c’est à dire, plus ou moins 13 à 14 millions d’habitants !
S’aliéner délibérément ou par un mélange d’indifférence ou d’arrogance, la sympathie ou même simplement le soutien tacite de ses alliés n’est pas responsable.
Sur un plan rationnel, le temps serait propice à une vraie négociation. Plus la situation va mal par ailleurs, plus des progrès sur le conflit Israël/ Palestine seraient les bienvenus. C’est ce que pensent l’Egypte, la Jordanie, l’Arabie Saoudite et les Emirats du Golfe, sans parler bien sûr de l’Europe et des Etats-Unis. Que faudrait-il pour en convaincre les dirigeants actuels d’Israël ?
Dominique Moisi