Nous l’avons
tous compris : hurler son indignation ne suffit plus. Si dénoncer
l’oppression israélienne et manifester son soutien au peuple palestinien
dans les rues sont indispensables, il serait bon de ne pas attendre à
chaque fois que les bombes et la mort aient fait leur ouvrage pour se
rappeler qu’un peuple est martyrisé. Il est temps d’avoir une attitude à
la mesure de la gravité des faits : les Palestiniens ne subissent pas
des attaques prétendument motivées mais un véritable massacre installé
dans le temps et la froideur comme un cancer. Si l’on ne comprend pas
sérieusement ceci, il viendra un jour où nos manifestations se feront à
la mémoire d’un peuple disparu.
Les cris d’indignation qui se multiplient dans la blogosphère,
relayés par l’élan populaire de solidarité sans précèdent que l’on sent à
travers la France ont évidemment leur vertu mais ne sont-ils pas une
réaction a minima ? La Ligue des Droits de l'Homme, l'Union Juive
Française pour la Paix, L’Association France Palestine… les associations
ne manquent pas pour dénoncer l’oppression israélienne et notamment le
blocus dont est victime la population de Gaza. Dans les rangs des plus
petits, et souvent des plus courageux, je voudrais ici rendre honneur à
des collectifs de rayonnement régional et parfois très locale comme
celui de « Cité en mouvement » de Châtellerault.
Le propos qui suit entend accompagner par quelques recommandations la
conscience de tous ces Français et Françaises, êtres humains tout
d’abord et musulmans parfois, qui battent en ce moment le pavé en
soutien au peuple palestinien. Je me propose de revenir vers l’un des
fondamentaux de la foi musulmane, lequel nous enseigne qu’au delà des
mots, Dieu, dans son infinie sagesse, « ne change pas un peuple avant
que celui-ci ne se soit changé lui-même ».
Dépasser la colère
Il convient d’éviter d’exacerber la colère de l’instant car celle-ci
se dissipe aussi vite qu’elle est venue. Nos hurlements d’indignation ne
viendront jamais seuls à bout du gouvernement « bourreau » d’Israël qui
sévit depuis trop longtemps. S’il est naturel d’avoir des sentiments,
il faut aussi apprendre à ne pas les laisser dominer l’entendement. Une
colère « rouge » qui donne de la voix présente toujours la faiblesse de
ressembler à une ébullition émotionnelle pure et passagère. En poussant
le résonnement, peu s’en faut que l’on s’aperçoive combien cette
émotivité s’accorde avec de l’indifférence, ceci malgré l’antagonisme de
termes. On est ici dans l’attitude de l’indignation de bienséance, du
quota de larmes et de slogans, mais sans plus.
Au contraire de cela, une colère « froide » serait mieux appropriée.
Ce serait la colère mise au service de l’esprit, c’est-à-dire d’un
arsenal de réactions toutes pensées et tendues vers un seul but : mettre
fin à l’injustice. La manifestation de la colère ne serait plus ici un
trop plein de douleurs que l’on vide en place publique mais une
entreprise de réelle information des gens, de mobilisation des
consciences, et d’appel solennel aux autorités gouvernantes de notre
pays.
Mais, que signifie donc réagir avec l’esprit et quels contenus donner
à ces réactions de résistance ? Il est évident qu’au-delà de cette
ligne, nous sommes en train de parler d’attitudes beaucoup plus engagées
dans le sérieux et la qualité.
Tout d’abord, agir en amont dans une logique continue
Nous l’avons compris : lorsqu’un obus éclate à Gaza, il est déjà trop
tard. Toute notre action doit faire en sorte d’éviter que cela
advienne. Or, Israël est très attentif à son calendrier des opérations.
Trois grands vides politiques avaient déjà coïncidé avec l’opération
« Plomb durci » dans la bande de Gaza en 2008 causant la mort de
milliers de civils Palestiniens. Ces derniers jours sa stratégie semble
profiter d’une nouvelle situation de faiblesse: le Ramadan, les
vacances estivales… et le mondial de football. Le schéma cynique se
répète. Il est donc d’autant plus important d’agir en amont et de miser
sur le long terme.
Sachant cela, il est possible à un niveau basique d’opérer une veille
permettant de mettre à jour en permanence l’agenda militaire israélien
en corrélant ses offensives avec le tissu médiatique dont il profite. Il
faudrait éduquer le public à développer un regard affiné - et livré à
la connaissance du public – sur la multitude d’écrans de fumée utilisés
par Israël pour masquer ses entreprises brutales. Corrélés au calendrier
réguliers des attaques de Tsahal, on s’aperçoit en effet d’une
concomitance d’évènements qui laissent rêveurs : qu’ils soient sociaux
(l’un des préférés étant l’agression de synagogues ou de personnes de
confession judaïque) ; sportifs (mondial de football) ;
cinématographique ou télévisuel (Secret Story…). Ce serait déjà un grand
progrès curatif que de ne pas s’endormir à la baguette de toute cette
brume de distraction. Jusqu’au conflit du siècle dernier, la
désinformation était une arme classique, mais sommes-nous si nombreux à
comprendre la nocivité de la situation actuelle : une entreprise
criminelle couverte par un assaut de plusieurs couches de divertissement
dont le seul, sinon l’ultime objectif est de détourner les regards de
la scène de crime ?
Du côté de nos porte-monnaie également, qu’attendons-nous pour
consommer avec plus d’éthique ? Il est pourtant simple de maintenir en
permanence un boycott des « célébrités » manifestant publiquement leur
soutien à Tsahal ainsi qu’aux produits alimentaires importés des
territoires occupés.
Enfin, je ne serai pas le premier à rappeler combien sont vitales les
initiatives d’aide humanitaire menées au bénéfice des Palestiniens
telles que celles de CBSP, La Croix/Croissant-Rouge, Médecins Sans
Frontières, Secours Islamique, etc.
Sensibiliser l’opinion des plus jeunes par des séminaires
Beaucoup de participants aux manifestations, surtout les plus jeunes,
ignorent tout des enjeux du conflit et le réduisent trop souvent à une
opposition religieuse entre « l’islam et les juifs ». Ils font ainsi
l’impasse sur la réalité politique et ceci est de nature à alimenter
l’antisémitisme. Or l’antisémitisme est à la fois un hors-sujet au
problème et une des maladies des plus déplorables. Dénoncer la
monstruosité de la politique belliqueuse israélienne peut être le fait
de personnes juives telles que Rony Brauman, Michel Warschawski, Shlomo
Sand ou encore l’historien Ilan Pappé, etc.
Il est urgent que les indignés qui manifestent pour la Palestine
puisent leurs forces autant dans la connaissance et la culture que dans
les faits de pure masse dont ils donnent actuellement l’image. Il me
souvient qu’à plusieurs reprises des personnes de retour de Palestine,
les unes musulmanes les autres catholiques attachées à la visite de la
Terre Sainte m’ont rapporté des témoignages rehaussés d’un point commun
très intéressant. En effet, ces personnes ont fréquemment croisé des
Palestiniens de toutes origines et confessions leur ayant spontanément
offert des services de guide tant leur culture personnelle était riche.
Je n’entends pas ici par « culture » vous parler de choses légères comme
des marques de voiture ou des noms de joueurs de foot. Ces Palestiniens
sont capables de vous prendre par la main et vous commenter l’histoire
de Jérusalem et d’Hébron sur des périodes historiques relevant de
l’érudition : de l’antiquité jusqu’à l’époque ottomane.
Autant que ces personnes menacées de toute part ont compris la valeur
de la résistance par la culture, il faut que nous la comprenions nous
aussi. Et bien entendu il faut ensuite la pédagogiser et la transmettre.
Au-delà des témoignages verbaux qui me sont parvenus, j’invite les
lecteurs les plus courageux à se pencher vers l’excellent témoignage en
la matière de l’historien britannique William Dalrymple (cf. Dans l’ombre de Byzance).
La Palestine, terre ayant connu tant de chagrin à travers les siècles,
présente la particularité d’être à la fois la terre des Palestiniens
mais aussi une part du patrimoine de l’humanité, une part
d’universalisme que tout être humain devrait connaître et aspirer à
préserver. Sous l’angle spécifique de la civilisation islamique, la
Palestine a également toujours bénéficié de ce statut d’exceptionnalité
de terre des prophéties anciennes. Les lecteurs intéressés sur ce point
penseront ici immédiatement au fameux hadith de Boukhari et Mouslim «
On ne saurait seller les montures que vers trois mosquées, la mosquée
sacrée de la Mecque, ma mosquée de Médine et celle d’al-Aqsa
(Jérusalem) ». Il ne faut pas oublier que, malgré l’insécurité frappant
cette région, la Palestine gagnerait à être visitée par un flot
ininterrompu de gens avec leurs cerveaux, leurs yeux et leurs oreilles.
Rappelons-nous ici que la première chose dont a besoin une armée
génocidaire c’est l’absence de témoin… Il y a ici une réflexion à mener.
Condamner l’amalgame Israël/Juif
Si Bernard Henri Lévi met en avant ses identités israélienne et juive
pour revendiquer son implication en Lybie (ce qui lui épargne d’avoir à
évoquer des intérêts plus bassement liés à l’industrie du pétrole), les
gens de bonne volonté doivent éviter absolument d’adopter un discours
aussi dangereux et simpliste. Protester contre la barbarie que subit le
peuple palestinien au nom de valeurs ethniques ou religieuses serait
tomber dans le piège béant de l’amalgame primaire. Contrairement à BHL
qui semble tout mélanger (ou plutôt a le droit de le faire), la critique
de la politique israélienne ne doit pas se confondre avec une offense
aux juifs, comme on l’a reproché récemment dans de récentes
manifestations. L’appel à la haine par des cris tels que « Mort aux
juifs » est clairement anti-islamique. Le Prophète de l’islam n’avait-il
pas assisté aux derniers instants de son voisin juif ?
Briser l’image médiatique d’une Israël victime mais jamais coupable
« Israël riposte ». Attaquer pour se défendre est une ruse cousue de
fil blanc dont l’histoire nous fournit une galerie d’exemples aussi
sinistres que variés. On ne compte pas le nombre de casus belli
mensongers qui ont servi de prétextes à l’invasion de territoires
(généralement civils ou sous-armés) au motif de protéger des frontières
ou des groupes humains. Allons-nous remonter jusqu’à l’invasion de la
Silésie en 1939 ou celle du Timor en 1975 ? … Pourquoi sommes-nous si
facilement amnésiques ?
« Israël riposte », voilà ce dont s’efforce de nous convaincre le
discours médiatique ces derniers jours dans son traitement de
l’actualité sur Gaza. Il s’agirait ainsi d’une offensive à laquelle
Israël recourrait de manière parfaitement légitime. « A qui la
faute ? », se demandera-t-on. Aux Palestiniens évidemment, Israël ne
faisant que se défendre. Face à cette entreprise incessante de
désinformation médiatique, notre devoir d’information s’impose doit être
de tous les instants. Pour ce faire, je vous recommande chaudement les
écrits de l’Observatoire des Médias ACRIMED et notamment ceux de Julien
Salingue.
Multiplier les prières silencieuses et intimes
Enfin, que ceux d’entre nous qui ont la foi peuvent ultimement
ajouter à leur engagement envers la justice une dimension spirituelle
par la voix de la prière et de l’invocation. Sans doute ces mots sont
ils plus faciles à poser pour une autorité ecclésiastique que pour
l’homme du commun que je suis. Il demeure que les congrégations
religieuses réunies en églises, synagogues, mosquées ou temples divers,
sont également des lieux de force et de revigoration des consciences. En
d’autres termes, j’ai la conviction qu’il vaut mieux approuver les
initiatives de prières pour les morts (salat al-ghayb dans le cas des
musulmans par exemple) que de leur préférer le silence et
l’indifférence.
Penser, agir, ne jamais s’arrêter. Agir, agir, agir…. Quand ces mots
nous restent à la conscience jusqu’à cadencer notre marche, nous sommes
des humains. Témoigner de sa solidarité auprès des plus opprimés,
musulmans ou non, il en va de notre conscience citoyenne, morale et
humaine. Au-delà même d’une « solidarité communautaire », il s’agit
d’une contribution humaniste au vivre-ensemble auprès de tous les
opprimés de cette planète, indépendamment de leurs confessions
religieuses.