Ramzy Baroud
Pour les Palestiniens, quitter la bande de Gaza pour aller en Egypte est un affaire aussi exaspérante que de vouloir y entrer.
Frontière à Rafah - Photo : Associated Press
Guidés par des raisons politiques ou culturelles, la plupart des responsables palestiniens et personnalités publiques s’abstiennent de critiquer la façon dont sont traités les Palestiniens à la frontière de Rafah.
Mais ce n’est vraiment pas un langage diplomatique qui permettra de décrire la relation entre les Palestiniens désespérés - certains se battant littéralement pour sauver leur vie - et les responsables égyptiens au point de passage qui sépare Gaza de l’Égypte.
« Les Gazaouis sont traités comme des animaux à la frontière », m’avait dit une de mes amies.
Elle avait peur que son fiancé ne soit pas autorisé à quitter Gaza, bien que ses papiers soient en règle.
Après avoir moi-même traversé la frontière il y a juste quelques jours, je ne pouvais qu’approuver ses dires.
Le New York Times daté du 8 Juin écrit : « après des jours d’acrimonie entre le Hamas et l’Egypte concernant les limitations sur ce qui pourrait passer par le poste frontière de Rafah entre Gaza et l’Egypte, le Hamas a déclaré que l’Egypte avait accepté de permettre à 550 personnes par jour de quitter la bande de Gaza, et d’étendre les heures d’ouverture du poste frontalier. »
Et la saga continue.
Quelques semaines après l’annonce officielle égyptienne d’une ouverture « permanente » de la frontière - tendant ainsi une bouée de sauvetage aux Palestiniens piégés dans Gaza sous blocus - la frontière de Rafah a été ouverte pour deux jours, sous conditions, à la fin du mois de mai, puis fermée à nouveau durant quatre jours.
Maintenant elle a une fois de plus été « réouverte. »
Toutes ces annonces s’avèrent n’être rien de plus que de la rhétorique.
La dernière réouverture « permanente » a ses propres conditions et limitations, impliquant des paramètres comme le sexe, l’âge, le but de la visite et ainsi de suite.
« Chacun a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays », déclare l’article 13 (alinéa 2) de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Ce principe universel, toutefois, continue d’être refusé à la majorité des Palestiniens de Gaza.
J’ai été l’un des tous premiers Palestiniens à se trouver à Rafah après l’annonce d’une ouverture « permanente. »
Notre bus a attendu à la porte pendant un très long moment.
J’ai regardé un père tenter à plusieurs reprises de rassurer son enfant de 6 ans, en pleurs et qui montrait les signes évidents d’une terrible maladie des os.
« Sortez les enfants ou ils vont mourir », criait un vieux passager tandis que lui-même haletait pour respirer.
La chaleur dans le bus, combinée avec l’odeur de sueur des gens enfermés était insupportable.
Les passagers ont décidé d’eux-mêmes de quitter le bus et de se tenir dehors, sous les regards désapprobateurs des officiers égyptiens.
Notre problème suivant a été de trouver de l’eau propre et un endroit ombragé dans la zone aride qui sépare les côtés égyptien et palestinien.
Il n’y avait pas de toilettes.
Un sentiment tangible de désespoir et d’humiliation pouvait se lire sur les visages des passagers de Gaza.
Personne ne semblait être d’humeur à parler de la révolution égyptienne, un des sujets de conversation préférés parmi la plupart des Palestiniens.
Cette zone est régie par une étrange relation, qui remonte à plusieurs années - en 2006, l’Egypte, sous Hosni Moubarak, a décidé de fermer la frontière afin d’aider à la liquidation politique du Hamas.
La question n’a effectivement rien à voir avec le sexe, l’âge ou des questions de logistique.
Tous les Palestiniens sont traités extrêmement mal au passage de Rafah et ils continuent à souffrir, même après la chute de Moubarak et de sa famille et la dissolution d’un appareil de sécurité corrompu.
La révolution égyptienne n’a pas encore atteint la bande de Gaza.
Quand le bus a été finalement autorisé à avancer quelques cinq heures plus tard, les Palestiniens se sont précipités vers la porte, espérant désespérément se trouver parmi les chanceux autorisés à traverser.
L’anxiété des voyageurs les rend généralement vulnérables face aux employés à la frontière qui promettent de les aider en échange d’argent.
Tout cela est réellement une escroquerie, la décision étant prise par un seul homme appelé al-Mukhabarat, « l’officier de renseignement. »
Certains sont renvoyés tandis que d’autres sont autorisés à passer.
Tout le monde est obligé d’attendre pendant plusieurs heures - parfois même des jours - sans aucune explication claire quant à ce qu’ils doivent attendre ou du pourquoi ils sont renvoyés.
Le petit enfant très malade âgé de six ans s’accrochait à la veste de son père alors qu’ils allaient, essayant désespérément de remplir toutes les obligations.
Tous deux semblaient être sur le point de s’effondrer.
Le Mukhabarat décida que trois étudiants de Gaza en route pour leurs universités en Russie devaient être renvoyés.
Rien que pour arriver jusqu’ici, ils avaient déjà franchi tellement d’obstacles.
Leurs coeurs se sont brisés quand ils ont entendu le verdict.
J’ai protesté en leur nom et la décision a été renversée aussi arbitrairement qu’elle avait été initialement prise.
Ceux qui sont renvoyés à Gaza sont escortés par des agents antipathiques au même endroit à l’extérieur pour y attendre le même bus décrépit.
Certains de ceux qui sont autorisés à entrer en Egypte sont escortés par des agents de sécurité à travers le désert du Sinaï, faisant toute la route jusqu’à l’aéroport international du Caire pour être « expulsés » vers leurs destinations finales. Ils sont tous traités comme des criminels de droit commun.
« Je ne peux pas voir mon fils mourir devant mes yeux », a crié le père de Saleh Mohammed Ali, âgé de 11 ans, a rapporté Mohammed Omer de l’agence IPS.
Il s’adressait ce jour-là aux troupes égyptiennes alors que la frontière était censée être définitivement rouverte - pour la deuxième fois en moins d’une semaine.
Ces nécessités impérieuses de traitement médical, d’éducation et de liberté des Palestiniens ramènent les Palestiniens en arrière.
Le siège israélien de Gaza a étouffé ses habitants jusqu’à la limite de l’étranglement mortel. L’Egypte est le seul espoir de Gaza.
« Je vous prie d’ouvrir le passage ... Vous frères d’Egypte, vous nous avez humiliés pendant si longtemps. N’est-il pas temps que l’on nous rende notre dignité ? » a déclaré Naziha al-Sebakhi, âgé de 63 ans, l’un des nombreux visages en détresse vus par Omer à la frontière de Rafah.
Alors qu’ils traversaient la frontière vers l’Egypte, certains des passagers semblaient euphoriques.
Les trois étudiants russes et moi-même avons partagé un taxi pour aller au Caire.
Un enregistrement d’Oum Kalsoum, Amal Hyati [espoir de ma vie] passait en boucle.
Malgré tout ce qu’ils ont subi, les jeunes gens ne semblaient avoir aucun ressentiment envers l’Egypte. « J’adore tout simplement l’Egypte. Je ne sais pas pourquoi », a dit Majid, pensif, avant de s’endormir d’épuisement.
J’ai pensé à l’enfant de six ans et à son père.
Je m’inquiète de savoir s’ils sont arrivés à l’hôpital à temps.
Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.
13 juin 2011 - Communiqué par l’auteur - Traduction : Claude Zurbach