mercredi 10 novembre 2010

Jérusalem, une ville de pierres

publié le mardi 9 novembre 2010
Danny C

 
Continuer à habiter là où l’on réside constitue déjà en soi un combat acharné et quotidien contre les tracasseries administratives ou contre les provocations des colons et de la police.
Jérusalem est une très vieille ville et tout semble tourner ici autour de ses vieilles pierres. Aujourd’hui, nous visitons Silwan, une section de Jérusalem-Est comptant quelque 60.000 habitants. C’est une grande commune située entre le mont des Oliviers et la Vieille Ville. Silwan est l’un de ces endroits de Jérusalem où la politique israélienne visant à chasser les Palestiniens de la ville bat son plein de façon on ne peut plus visible.
Ces pierres, elles nous appartiennent
Au pied de la Vieille Ville, on procède à des fouilles archéologiques. On voit constamment des groupes de touristes qui viennent regarder les pierres. Il faut déjà avoir une solide perception de l’histoire pour y découvrir quelque chose d’intéressant, mais ils continuent à affluer. Le gouvernement israélien met tout en œuvre pour en faire un lieu d’attraction touristique. Une visite est même reprise dans les programmes scolaires officiels. Car ces pierres nous appartiennent. Tel est le message sous-jacent. Notre culture, notre histoire et les Palestiniens n’ont rien à venir chercher ici.
La ville qui se trouve au-dessus de ces pierres est systématiquement revendiquée par les colons. Des familles palestiniennes sont chassées de leurs maisons afin d’installer une mini-colonie autour des lieux de fouilles. Une rue qui dévale la colline en direction d’un quartier revendiqué par les autorités municipales israéliennes désireuses d’en faire un parc. Mille cinq cents résidents palestiniens risquent de se faire expulser de leurs maisons afin de libérer de la place pour un parc. Quand on déambule autour de la Vieille Ville, on voit tout de suite « le plan » qui est systématiquement appliqué. Dans la partie ouest, on pose la très controversée ligne de tramway. Dans la partie est, on crée une large bande d’espaces libres et de constructions israéliennes. L’encerclement de la Vieille Ville doit maintenant se frayer un chemin par Silwan. L’espace vert qu’on veut y aménager a donc bel et bien une signification politique précise.
Rester est un combat acharné et quotidien
La population de Silwan est impliquée dans un incessant combat et elle essaie par tous les moyens possibles de résister aux expropriations. Continuer à habiter là où l’on réside constitue déjà en soi un combat acharné et quotidien contre les tracasseries administratives ou contre les provocations des colons et de la police. En 2008, les bulldozers sont venus transformer les maisons en monceaux de ruines. Les pierres palestiniennes sont généralement des amas de décombres… et, au nom de l’histoire sainte, leur quotidien se mue en montagnes de pierres.
Mais, à leur tour, ces amas de décombres se muent en munitions pour les habitants. Ce sont surtout les jeunes qui les utilisent pour affirmer ce qu’ils pensent : nous ne nous laisserons pas chasser ainsi !
2010 a été proclamée par les autorités municipales israéliennes « Année de Jérusalem », ce qui s’est traduit par des tracasseries et des brimades encore plus insupportables. Régulièrement, la Vieille Ville est complètement fermée. Seuls les Israéliens et les gens qui peuvent prouver qu’ils y habitent peuvent y entrer.
Les jeunes Palestiniens fêtent l’année de Jérusalem à leur façon. Partout, les heurts avec les colons et la police augmentent. Jeter des pierres est à nouveau leur réponse. Cela commence à ressembler à l’époque de la première Intifada, la « guerre des pierres », dans les années 80-90. Mais les circonstances sont très différentes.
Dans la première Intifada, il y avait une direction unie de la révolte, inspirée par l’OLP, le Front pour la libération de la Palestine. Aujourd’hui, la société palestinienne est divisée, on assiste à une lutte virulente entre le Hamas et l’Autorité palestinienne. Personne ne sait précisément comment naissent et sont organisées les actions, désormais. Elles vont et viennent. Elles naissent en réaction aux provocations et elles se mettent en place via les réseaux informels des jeunes. Ici aussi, la culture du GSM remplace le travail des organisations et des comités. Et les jeunes Palestiniens s’alignent donc en ordre de bataille dispersé, sans dirigeants, sans vision réelle. C’est un combat inégal. Des dizaines de jeunes se lancent dans la confrontation avec une police bien supérieure en nombre. La police réagit avec une extrême brutalité et il y a très souvent des blessés.
Fin septembre, un homme, père de quatre enfants, a été abattu par des colons. Ceux-ci ont expliqué qu’ils avaient réagi en état de légitime défense parce que des enfants leur avaient jeté des pierres. La population a réagi avec colère et en masse. [1] Jour après jour, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue.
La colère qui couve en permanence chez les gens n’a pas besoin de grand-chose pour éclater. Seulement, à quoi cela peut-il mener, quelles sont les perspectives ? La population semble coincée entre la répression israélienne et l’indifférence de l’Autorité palestinienne qui, officiellement, défend peut-être le droit à l’existence des Palestiniens mais qui, dans les faits, ne s’en soucie guère.
Jérusalem B
Naturellement, il y a l’excuse officielle : l’Autorité palestinienne n’a absolument pas la moindre autorité, dans cette ville. Même le président palestinien Abbas doit demander la permission aux Israéliens de visiter la capitale des Palestiniens. Les parlementaires palestiniens vivent depuis plusieurs mois déjà dans les bureaux de la Croix-Rouge à Jérusalem afin de protester contre le fait qu’Israël les oblige à quitter la ville.
La stratégie dont on parle un peu partout, c’est que les Israéliens proposeraient à l’Autorité palestinienne de fonder une sorte de Jérusalem B, dans les quartiers extérieurs, de l’autre côté du mur érigé par Israël autour de Jérusalem. En échange de la cession complète de Jérusalem, l’Autorité palestinienne obtiendrait le droit de gérer ces quartiers. Bien des Palestiniens craignent que ceci ne soit le tout nouveau compromis qui vient de sortir de la boîte.
Quel sera dans ce cas le sort des dizaines de milliers de Palestiniens qui vivent à l’intérieur du mur ? Personne n’en sait rien. La conséquence immédiate d’une telle image de l’avenir, c’est que le fossé entre la population et l’élite palestinienne ne fera que s’élargir et que de plus en plus de gens vont se rendre compte qu’ils vont devoir mener eux-mêmes la lutte pour leurs droits. Au sein de la société civile palestinienne, l’appel à retourner à la base et à reprendre là la lutte s’intensifie. Mais, pour l’instant, tout cela se passe encore derrière les murs. Les pierres de la Jérusalem des simples Palestiniens n’ont provisoirement pas encore livré leurs secrets.