mercredi 10 novembre 2010

A défaut d’Etat palestinien, une autonomie fédérale avec Israël

publié le mardi 9 novembre 2010
Esther Benbassa

 
Dans l’état actuel des choses, Israël ne voit aujourd’hui guère de raison d’envisager des compromis.
« Personnellement, je ne veux pas d’Etat. S’ils [les Israéliens] veulent être en charge de tout, et qu’ils m’offrent les services que procure un Etat, cela me va. Ce que je veux, ce que veulent les Palestiniens, c’est vivre une vie décente. »
La lecture, dans Le Monde du 13 octobre, de l’interview de Sari Nusseibeh, ancien représentant de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et président de l’université Al-Qods de Jérusalem-Est, donne la juste mesure de la fatigue des Palestiniens.Il ajoute :
« Nous ne demanderons ni à être élus, ni à devenir ministres, ni à voter. »
Difficile de savoir si une telle proposition reflète effectivement les attentes de l’opinion palestinienne en général. D’autant qu’elle évoque moins l’option de l’Etat binational -dans lequel les Palestiniens auraient eu à exercer pleinement leurs droits de citoyens- que la condition qui était celle, hier, des chrétiens et des juifs en terre d’islam, la dhimma, et qui en faisaient des sujets de seconde zone.
Reste que devant l’échec probable des négociations israélo-palestiniennes, on peut comprendre que certains Palestiniens se résolvent à vivre dans un « Etat juif », pourvu qu’ils puissent y travailler, y circuler librement et mettre fin à la précarité généralisée de leur situation présente.
Qui connaît bien Israël le sait, le conflit y préoccupe désormais peu de monde. Tout y concourt :
* droitisation de la société,
* triomphe d’un nationalisme fanfaron et arrogant,
* disparition progressive du Palestinien de l’imaginaire (et du quotidien) de l’Israélien moyen,
* une prospérité économique qui crève les yeux dans les grandes villes. Y compris à Jérusalem, où l’on s’amuse, consomme et vit à grande vitesse, tandis que, côté arabe, c’est un rythme bien différent qui s’impose, sans parler du reste de la Cisjordanie ou de Gaza. Les pauvres et les Palestiniens ne sont pas à l’ordre du jour.
Même l’amour sans limites pour les Etats-Unis a laissé place à la déception face à la politique d’Obama, dont les échecs sont perçus comme des succès pour Israël.
Comment espérer une évolution du gouvernement israélien sur la question palestinienne, quand on sait que l’opinion publique, dans sa grande majorité, le soutient ?
Dans l’impasse où se trouvent les Palestiniens, et dès lors que la perspective de la création d’un Etat palestinien viable s’éloigne, même une sujétion de seconde zone se révèle ainsi, aux yeux d’hommes comme Nusseibeh, préférable à un maintien du statu quo.
La crainte d’une montée en puissance de l’islamisme radical et d’une extension du modèle gazaoui à d’autres secteurs de la Palestine pèse là aussi sans doute de tout son poids.
Cette sorte de citoyenneté entre parenthèses est-elle une solution ? Pourquoi, en effet, ne pas réfléchir à des formules intermédiaires, utopiques, sans doute, mais guère plus que quelques autres ?
Envisager un système d’autonomie « fédérale »
Dans un premier temps, un système « fédéral » serait envisageable. Pour une dizaine d’années, les Palestiniens auraient les mêmes droits que les Israéliens en matière d’éducation, de santé, d’avantages sociaux, comme le préconise Sari Nusseibeh, et ce à titre d’indemnisation des préjudices subis avec la fondation de l’Etat d’Israël et l’occupation des territoires.
Dans un Israël des Israéliens (et non plus un Israël État du peuple juif), les Palestiniens musulmans et chrétiens qui en détiennent la citoyenneté deviendraient les égaux des Israéliens juifs. Gaza, déjà « autonome », -à condition que le Hamas reconnaisse l’Etat d’Israël et que ce dernier le reconnaisse lui-même comme un partenaire politique- et la Cisjordanie seraient quant à elles rattachées à l’Etat d’Israël comme composantes autonomes de cette « fédération ».
Ces deux entités auraient la liberté d’organiser leurs propres élections locales et régionales, ainsi que d’élire leurs représentants à la Knesset, où ils auraient une mission d’observateurs et une voix consultative.
L’instauration de ce cadre provisoire d’autonomie « fédérale » serait soumise à un accord mutuel de non-agression. Le mur serait démoli, les check points supprimés, les colonies de peuplement progressivement démantelées.
La circulation entre les entités autonomes et Israël serait libre, des délégués de l’Union européenne et des Etats-Unis auraient un droit de regard, toujours pour une durée limitée, sur le respect des accords conclus.
Les Palestiniens des zones autonomes pourraient travailler en Israël ; il en serait de même pour les Israéliens souhaitant investir ou négocier en Palestine.
De chaque côté, les livres scolaires seraient dépouillés de leurs biais idéologiques d’inspiration ultra-nationaliste. L’éducation, aussi bien en Palestine autonome qu’en Israël, serait bilingue -arabe et hébreu- dans les écoles et les universités. Les deux langues seraient utilisées partout à parité dans les signalisations routières, à la radio, à la télévision, etc.
Les noms arabes des lieux situés en Israël, débaptisés après la fondation de l’Etat, seraient réinstaurés, parallèlement à leurs noms hébreux actuels. Le principe de double dénomination serait appliqué de la même façon en zone palestinienne.
Les aides en faveur des Palestiniens seraient intégralement dévolues à la reconstruction et au développement, une part fixe en étant versée à Israël pour contribuer au financement des services et avantages sociaux accordés par l’État.
Du système « fédéral » à une confédération d’Etats indépendants
Au terme de cette période d’essai et d’apprentissage de la cohabitation, l’on pourrait choisir soit de reconduire la formule « fédérale » en l’aménageant de sorte à la rendre plus égalitaire, soit envisager le passage à une confédération d’Etats indépendants -deux Etats (Israël et Palestine), voire trois, si Gaza ne se ralliait pas à un Etat palestinien unique.
L’administration de Jérusalem, capitale commune, étant assurée par les (deux ou trois) Etats de la confédération.
Dans l’état actuel des choses, Israël ne voit aujourd’hui guère de raison d’envisager des compromis. Sauf à prendre au sérieux la menace d’une auto-dissolution de l’Autorité palestinienne, avec des populations entières sans gouvernance à gérer, source d’insécurité grave. Ou celle d’une proclamation unilatérale d’un Etat palestinien, susceptible, elle, de provoquer une guerre à laquelle l’Iran et le Hezbollah s’associeraient, avec un risque d’embrasement généralisé du Moyen-Orient et ses retombées politico-économiques lourdes en Occident.
En l’absence de paix, il convient de rechercher et d’imaginer sans relâche des solutions qui peuvent paraître aujourd’hui utopiques, mais qui demain ne le seront peut-être pas. D’avoir été un rêve n’a pas empêché le sionisme de s’inscrire dans le réel.
publié par Rue89