mardi 24 août 2010

Ramadan Karim des administrations Netanyahu et Obama

publié le lundi 23 août 2010
Jeff Halper

 
Destruction de cimetières, de maisons, de récolte, de puits et réservoirs, confiscation de l’eau, terreur, mépris et vandalisme, voila ce qu’inflige aux Palestiniens sous occupation mais aussi aux bédouins du sud d’Israël la politique de Netanyahou (& co), l’"homme qui veut la paix" selon Obama [1].
Hier, la veille du début du Ramadan, le mois saint des musulmans, à 2 h 30 du matin, des ouvriers, envoyés par les autorités israéliennes et sous protection de dizaines de policiers, détruisaient les tombes dans le carré restant du cimetière de Mamilla, cimetière musulman historique avec des tombes qui remontent au 7è siècle qui, jusqu’à présent, avaient été épargnées. Le gouvernement d’Israël a toujours été pleinement conscient de la sainteté et de l’importance historique du site.
Déjà, en 1948, quand le cimetière retomba sous le contrôle d’Israël, le ministère des Affaires religieuses israélien d’alors avait reconnu que Marmilla « était l’un des cimetières musulmans les plus éminents, où soixante-dix mille guerriers musulmans des armées [de Saladin] étaient enterrés aux côtés de nombreux érudits musulmans. Israël saura toujours protéger et respecter ce site. » Pour autant, et malgré la (juste) indignation des Israéliens quand des cimetières juifs sont profanés partout dans le monde, le démantèlement du cimetière de Mamilla a été organisé.
Dans les années 1960, le « Parc de l’Indépendance » a été construit sur une partie du cimetière ; par la suite, une rue a été ouverte et le traverse, des câbles électriques de grandes lignes ont été tirés au-dessus des tombes et un parking a été construit sur une autre partie du cimetière. Aujourd’hui, ce sont 1 500 tombes musulmanes qui viennent d’être arrachées lors de plusieurs opérations nocturnes et ce, pour laisser la place à… un musée de 100 millions de dollars, le Musée de la Tolérance et de la Dignité humaine, un projet du centre Simon Wiesenthal de Los Angeles. (Comble de l’ironie, le rabbin Marvin Hier, qui est le directeur du Centre Wiesenthal, s’est montré sur Fox News pour exprimer son opposition à la construction de la mosquée près de Ground Zero, à Manhattan, arguant que le site de l’attaque du 11 Septembre « était un cimetière »).
La période d’un mois entre la 6è visite de Netanyahu à Washington, en juillet, et le début du Ramadan a été mise à profit par Israël pour « nettoyer la table », après un temps d’arrêt contrariant dans les démolitions de maisons imposé par la modérément critique et « brave » Administration Obama – bien qu’il n’y ait aucune garantie pour qu’Israël ne démolisse pas d’autres maisons pendant le Ramadan, spécialement s’il veut exploiter la période jusqu’aux élections de novembre, sachant que jusque-là, Obama ne s’opposera pas ouvertement à tout ce que fait Israël dans les Territoires occupés.
En réalité, le processus de démolition des maisons palestiniennes n’a jamais cessé. Le 6 juin dernier par exemple, un an après la démolition de plus de 65 structures et le déplacement forcé de plus de 120 Palestiniens, dont 66 enfants, neuf familles de Khirbet Ar Ras Ahmar, dans la vallée du Jourdain, au total 70 personnes, ont reçu une nouvelle vague d’ « ordres d’évacuation ». Une semaine plus tard, la Haute Cour israélienne ordonnait à l’Administration civile d’ « intensifier ses efforts contre les structures palestiniennes illégales » en Zone C, c’est-à-dire 60% de la Cisjordanie lesquels sont sous contrôle total israélien.
Et ainsi, le 13 juillet, au retour de Netanyahu (les maisons palestiniennes ne peuvent être démolies sans le feu vert du cabinet du Premier ministre), trois maisons ont été démolies dans le quartier palestinien d’Issawiya, à Jérusalem-Est, et trois autres maisons ont suivi à Beit Hanina. La municipalité [israélienne] de Jérusalem a également annoncé la démolition programmée de 19 maisons supplémentaires à Issawiya pour ce mois-ci. En Cisjordanie, l’Administration « civile » israélienne a démoli 55 structures appartenant à 22 familles palestiniennes dans la région de Hmayer d’Al Farisive, dans le nord de la vallée du Jourdain, dont 22 tentes d’habitation et 30 autres structures utilisées pour abriter les bêtes et remiser du matériel agricole. Selon l’OCHA (Bureau des affaires humanitaires des Nations unies) : « Cette semaine (du 14 au 20 juillet, la semaine du retour de Netanyahu de Washington), il y a eu une recrudescence significative du nombre de démolitions dans la Zone C, avec au moins 86 structures démolies dans la vallée du Jourdain et le sud de la Cisjordanie notamment dans les districts de Bethléhem et d’Hébron. En 2010, au moins 230 structures palestiniennes ont été démolies en Zone C, avec le déplacement forcé de 1 100 habitants, dont 400 enfants. Environ 600 autres Palestiniens ont été affectés par d’autres façons. » Les deux tiers des démolitions de 2010 ont eu lieu après la rencontre de Netanyahu avec Obama. Plus de 3 000 ordres de démolitions sont en circulation actuellement en Cisjordanie (hors Jérusalem), et jusqu’à 15 000 rien que pour la Jérusalem-Est palestinienne.
La démolition de maisons n’est, évidemment, qu’une petite partie, seulement une petite, et si douloureuse, des destructions qu’Israël inflige quotidiennement à la population palestinienne. Au cours des dernières semaines, une violente campagne a été lancée contre les agriculteurs palestiniens dans l’une des régions agricoles les plus fertiles de Cisjordanie, la vallée de Baka, constamment grignotée par les larges tentacules de la colonie Kiryat Arba, dans Hébron. Israël prend déjà 85% de l’eau de Cisjordanie pour sa propre consommation, soit pour les colonies (les colons consomment cinq fois plus d’eau par personne que les Palestiniens, et Ma’aleh Adumin [2] construit en ce moment une parc nautique qui s’ajoute à ses quatre piscines municipales et aux énormes fontaines d’où l’eau jaillit en permanence), soit pour être pompée vers Israël -, tout cela en violation flagrante de la Quatrième Convention de Genève qui interdit à une puissance occupante d’utiliser les ressources d’un territoire occupé.
Accusant les agriculteurs de « voler l’eau » - leur propre eau -, la compagnie des eaux israélienne, Mekorot, soutenue par l’Administration civile et l’armée israélienne, a, ces dernières semaines détruit des dizaines de puits - certains datant des temps anciens - et réservoirs utilisés depuis toujours pour collecter l’eau de pluie, ce qui est aussi « illégal ». Des centaines d’hectares de terres agricoles se sont asséchés, les canalisations d’irrigation ayant été arrachées et confisquées par l’Administration civile. Des champs de tomates, de haricots, d’aubergines et de concombres sont quasiment perdus juste avant d’être récoltés, et l’industrie du raisin dans cette riche vallée est menacée de disparition. « Je regarde ma vie se tarir sous mes yeux » dit Ata Jaber, agriculteur palestinien qui a eu sa maison deux fois démolie, la plus grande partie de ses terres qui se trouve enfouie sous le quartier Givat Harsina de Kiryat Arba, et dont les canalisations d’irrigation goutte-à-goutte sont régulièrement détruits, chaque année, par l’Administration civile, juste avant qu’il ne récolte. « J’espérais vendre mes récoltes pour au moins 2 000 dollars avant le Ramadan, mais maintenant tout est perdu. »
(Vous pouvez voir un reportage BBC sur la destruction des réservoirs sur YouTube [http://www.youtube.com/watch ?v=hH4OKho3550] et une scène déchirante, filmée il y a juste une semaine, quand le cousin d’Ata fut arrêté, sous les yeux de son petit garçon, pour s’être opposé à la destruction de son installation d’eau http://news.sky.com/skynews/Home/Wo...)
Les colonies continuent de se construire, naturellement. Le « gel des colonies » dont on a fait tant de bruit n’est en fait qu’un ralentissement provisoire dans la construction. (En effet, Netanyahu n’a jamais utilisé le mot « gel » ; en hébreu, il parle seulement de « pause »). Selon le rapport d’août sur l’observation de la colonisation par la Paix Maintenant, au moins 600 logements ont été commencés pendant le gel, sur plus de 60 colonies différentes –, ce qui veut dire que le taux de construction est d’environ la moitié que pendant la même période dans une année moyenne, sans gel. Etant donné que le processus d’approbation ne s’est jamais arrêté – le gouvernement israélien a annoncé un projet de construction de 1 600 logements dans les colonies, c’était lors de la visite en Israël du vice-Président américain Biden, vous vous rappelez –, rattraper le temps perdu quand le « gel » sera fini, fin septembre, sera donc très facile. Selon le quotidien israélien Ha’aretz, ce sont quelque 2 700 logements qui sont en attente d’être construits.
Que le soi-disant gel de la colonisation n’ait pas vraiment mis fin aux constructions est évident. Le gouvernement états-unien semble prêt à l’accepter d’Israël, quoique du bout des lèvres seulement, mais par contre, il menace ouvertement et avec brutalité les Palestiniens au cas où ils n’accepteraient pas cette comédie. Les négociateurs palestiniens ont révélé la semaine dernière que l’Administration Obama avait menacé de couper tous liens avec l’Autorité palestinienne, politiques et financiers, si elle continuait d’exiger un gel véritable de la colonisation ou même des paramètres clairs sur ce que les deux parties devaient négocier. (Netanyahu refuse même le principe élémentaire des frontières de 1967 comme base de négociation).
Tout aussi destructeur de tout véritable processus de paix, cependant, est de se focaliser sur le gel de la colonisation, ce qui détourne l’attention des tentatives israéliennes pour créer « des faits irréversibles sur le terrain » qui saboteront le processus même de négociations. Même si Israël respectait un gel de la colonisation, il n’y aurait aucune exigence, aucune attente, absolument rien qui l’empêcherait de continuer à construire le Mur (l’enfermement du camp de réfugiés de Shuafat dans Jérusalem et de la ville d’Anata sera terminé sous quelques jours, et le village de Wallajeh, qui prend par endroits sur Jérusalem, est en train de perdre ses terres, ses oliviers antiques et ses maisons à l’heure même où nous parlons). Rien n’empêche Israël de continuer à appauvrir et emprisonner la population palestinienne à travers ses vingt années de « bouclage » économique, dont le siège de Gaza, après avoir réduit l’économie palestinienne à néant. Rien ne le bloque pour l’empêcher de terminer ses réseaux routiers parallèles (mais inégaux en taille et en qualité) d’apartheid ; les grandes et belles routes qui traversent les terres palestiniennes étant pour les Israéliens ; les petites pour les Palestiniens. Rien n’empêche Israël d’expulser les Palestiniens de leurs maisons pour que les colons juifs s’y installent – le 29 juillet, 9 familles qui vivaient dans le quartier musulman de la Vieille Ville, et qui rentraient de nuit d’un mariage à leur domicile, se sont retrouvées enfermées à l’extérieur de leurs maisons par les colons et empêchées d’y entrer par la police. (Oui, les Palestiniens n’ont aucun recours juridique pour récupérer leurs biens, des villes et villages entiers, des quartiers urbains, des exploitations agricoles, des usines et des immeubles commerciaux, qui leur furent confisqués en 1948, et depuis.)
Rien n’empêche Israël de terroriser la population palestinienne, soit pas sa propre armée ou par des milices qui s’y substituent, créées par les USA et gérées par l’Autorité palestinienne pour apaiser sa propre population, soit par les colons qui tirent et cognent sur les Palestiniens, brûlent leurs récoltes sans avoir à craindre d’être arrêtés, soit encore par des éléments d’infiltration, aidés par des milliers de Palestiniens contraints de se faire collaborateurs, beaucoup simplement pour que leurs enfants puissent recevoir les soins médicaux ou qu’ils puissent avoir un toit sur la tête, ou menacés d’expulsion ou sous cette myriade de contraintes administratives d’un système kafkaïen de contrôle et d’intimidation. Rien ne s’oppose à ce qu’Israël boycotte le peuple palestinien, l’isole du monde grâce à des frontières contrôlées par lui-même, ou à une politique qui boycotte, efficacement, les écoles et les universités palestiniennes en empêchant leur bon fonctionnement. Et rien, non absolument rien, n’arrête Israël dans ses démolitions de maisons : 24 000 dans les Territoires occupés depuis 1967, et ça augmente toujours.
Peut-être que cette façon d’accueillir le Ramadan est sans surprise pour ce qui est des Territoires occupés. Mais elle a pris un tour complètement différent quand, le 26 juillet, plus de 1 300 hommes de la Police des frontières israélienne, des troupes de choc du Yassam (« opérations spéciales » de police) et de la police régulière, couverts par des hélicoptères, débarquèrent dans le village bédouin d’Al-Arakib, au nord de Beer-Sheva, un village situé en Israël et habité par des citoyens israéliens. 45 maisons furent abattues, et 300 personnes déplacées de force. L’un des moments les plus grotesques et les plus consternants de cette opération, fut quand on utilisa des élèves d’un lycée juif israélien, des volontaires de la garde civile, pour vider les biens des maisons de leurs compatriotes, avant leur démolition. En plus des articles sur le vandalisme et leur mépris pour leurs victimes, les élèves furent photographiés, avachis sur les meubles des habitants, sous les yeux mêmes de leurs propriétaires. Quand finalement les bulldozers commencèrent leur œuvre de démolition des maisons, les volontaires furent acclamés, fêtés. Au cours de la semaine qui suivit, et alors que des militants israéliens étaient venus aider les habitants à recoller les morceaux et à reconstruire leurs maisons, le Fonds national juif, l’Autorité israélienne de la terre, le ministère de l’Intérieur et la « Patrouille verte » du ministère de l’Agriculture (créée par Ariel Sharon pour empêcher les Bédouins de « s’emparer » du Néguev), tous ces gens-là envoyèrent la police et les bulldozers pour démolir le village, une deuxième fois. [3]
Bien qu’Al-Arakib soit l’un des 44 villages bédouins « non reconnus » du Néguev – dont 11 seulement bénéficient d’un enseignement et de services médicaux rudimentaires, sans même l’électricité et avec un accès extrêmement limité à l’eau, et aucune routes goudronnées (voir http://rcuv.wordpress.com) -, il n’empêche qu’il est habité par des citoyens israéliens, certains servant ou ayant servi dans l’armée israélienne. Si les démolitions des maisons arabes à l’intérieur d’Israël ne sont pas un phénomène nouveau – l’an dernier le gouvernement israélien a fait démolir trois fois plus de maisons de citoyens (arabes) israéliens en Israël que dans les Territoires occupés (si on excepte la destruction des 8 000 maisons lors de l’invasion de la bande de Gaza) -, cela signifie que le terme « occupation » ne peut se limiter à la Cisjordanie, dont Jérusalem-Est, et à la bande de Gaza (et au plateau du Golan) seulement. La situation des citoyens arabes d’Israël est presque aussi précaire que celle des Palestiniens des Territoires occupés, et leur rejet de la société israélienne presque aussi total. Pendant qu’environ 1 000 agglomérations, villes et villages ruraux se sont implantés en Israël depuis 1948, et qui sont réservés aux juifs, pas une seule nouvelle implantation arabe n’a été créée, à l’exception de 7 projets de logements pour des Bédouins dans le Néguev, où aucun des habitants n’est autorisé à faire des cultures ou avoir des bêtes à lui. En effet, les règlements et les découpages par zones interdisent aux citoyens palestiniens de vivre sur 96% des terres du pays qui sont réservés aux juifs, uniquement.
Le message des bulldozers est clair : Israël a créé une entité binationale entre la Méditerranée et le Jourdain dans laquelle une population (les juifs) s’est séparée de l’autre (les Arabes) et a institué un régime de suprématie permanente. C’est précisément la définition de l’apartheid. Et le message est envoyé de façon claire, pendant les semaines et les jours qui ont précédé le Ramadan. Il est enrobé de belles paroles. Netanyahu a publié une déclaration où il dit ceci : « Nous marquons ce mois important comme l’une des tentatives de réaliser une paix directe avec les Palestiniens et pour faire avancer les traités de paix avec nos voisins arabes. Je sais que vous êtes des partenaires dans cet objectif et je vous demande votre soutien tant par vos prières que par tout autre travail en commun pour créer vraiment une coexistence pacifique et harmonieuse. » Obama et Clinton y sont allés aussi de leurs vœux pour le monde musulman, Obama faisant observer que le Ramadan « nous rappelle les principes que nous avons en commun, et le rôle de l’Islam dans la promotion de la justice, du progrès, de la tolérance, et de la dignité pour tous les êtres humains. » La Maison-Blanche et le Département d’Etat ne fêteront pas l’iftar. Mais les bulldozers et les autres oppressions de l’apartheid, et de stockage des êtres humains, nous racontent une histoire bien différente.
[1] déclaration lors de la rencontre de juillet aux Etats-Unis
[2] colonie, illégale comme toutes les autres, à l’est de Jérusalem - ndt
[3] Le village, re-reconstruit, sera détruit une troisième puis une quatrième fois – ndt
Jeff Halper est le directeur du Comité israélien contre les démolitions de maisons (ICAHD). Il peut être joint par courriel à l’adresse : jeff@icahd.org.
Publié par l’ICAHD
traduction : JPP pour l’AFPS
Intro : C. Léostic, Afps