samedi 10 avril 2010

Les Français, Israël et la Palestine : les leçons d’un sondage

publié le vendredi 9 avril 2010
René Backmann

 
Pour sept Français sur dix, la création d’un Etat de Palestine aux côtés de l’Etat d’Israël serait la meilleure solution au conflit israélo-palestinien ; pour 45% des Français les Israéliens partagent avec les Palestiniens la responsabilité de la non résolution du conflit ; pour un Français sur 3 la politique de la France face au conflit israélo-palestinien est équilibrée : ce sont quelques uns des enseignements majeurs du sondage de l’Ifop* pour l’Association France-Palestine solidarité (AFPS), dont le Nouvel Observateur et Nouvelobs.Com publient les résultats en exclusivité.
Est-ce une surprise : face au conflit israélo-palestinien un rare consensus national apparaît. A égalité, (76%) les sympathisants de gauche et de droite estiment que la création d’un Etat palestinien serait la meilleure solution au conflit. Ce point de vue est aussi celui de 84% des sympathisants du Modem. La division droite/gauche est à peine plus sensible lorsqu’on demande aux sondés qui, des Israéliens ou des Palestiniens, porte la plus grande responsabilité dans la non-résolution du conflit : 48% des Français de gauche et 45% des Français de droite estiment que les responsabilités sont partagées. Les partisans de la responsabilité israélienne sont plus nombreux à gauche (31%) qu’à droite (24%).
L’écart se creuse en revanche sur l’hypothèse de la responsabilité des Palestiniens : 2% des sympathisants de gauche seulement, contre 15% de ceux de droite avancent cette opinion. La division droite/gauche réapparait plus clairement sur le jugement de l’attitude de la France dans le conflit. Près d’un Français de gauche sur quatre (24%) juge la politique de Nicolas Sarkozy plutôt favorable aux Israéliens, 8% seulement estiment qu’elle est plutôt favorable aux Palestiniens et 24% la considèrent équilibrée.
Les plus jeunes : indécis ou indifférents
Equilibrée : c’est l’avis de 46% des Français de droite alors que 15% d’entre eux jugent la politique française favorable à Israël et 11% favorable aux Palestiniens. L’enseignement le plus troublant de cette enquête, révélateur peut-être d’une réelle lassitude face à un problème éternellement sans solution ou du caractère marginal de cette question dans les soucis actuels des Français est le pourcentage très élevé des sondés qui ne se prononcent pas. Pour Jean-Claude Lefort, président de l’AFPS, ce pourcentage - qui atteint 46% des sondés sur l’attitude de la France - est dû au manque « de grille de lecture claire du conflit ». Et il est particulièrement élevé (entre 35% et 70% selon les questions) chez les moins de 35ans.
Les Français les plus jeunes fournissent en effet, sur la plupart des questions les plus gros bataillons d’indécis et/ou d’indifférents. Sur l’attitude de la communauté internationale, les moins de 35 ans sont 57% (contre 32% pour les plus de 35 ans) à choisir de ne pas se prononcer. Sur l’attitude de la France, ils sont 60% (contre 41%), sur la question du boycott des produits israéliens, ils sont 70% (contre 59%). La question face à laquelle les plus jeunes sont les moins indécis est celle qui porte sur la création d’un Etat palestinien : 35% seulement des moins de 35 ans ne se prononcent pas. Il est vrai que face à la même question, le pourcentage de ceux qui ne se prononcent pas tombe chez les plus de 35 ans à 17%.
Dernière information livrée par cette enquête lorsqu’on la compare aux sondages sur le même thème publiés ces dernières années : elle confirme une certaine érosion de la sympathie pour Israël à quoi répondent une légère progression du soutien à la cause palestinienne, mais surtout un net accroissement des pourcentages révélant l’indécision ou le désintérêt des sondés.
J’ai demandé à Leila Shahid, déléguée générale de Palestine auprès de l’Union européenne, Daniel Shek, ambassadeur d’Israël à Paris, et Jean-Claude Lefort, président de l’AFPS, qui a commandé cette enquête, de réagir aux résultats du sondage. Voici leurs réponses.

Leila Shahid

Déléguée générale de Palestine auprès de l’Union européenne
« Je ne comprends pas que 46% des sondés ne se prononcent pas sur la politique de la France ».
« Pour moi l’indication la plus importante et la plus claire dans l’opinion consultée est, d’évidence, la majorité très claire des Français (70%) qui pensent qu’un Etat palestinien aux cotés d’Israël serait la meilleure solution au conflit. Ce chiffre prouve qu’il y a eu une évolution réelle dans l’opinion publique quant à la possibilité d’une solution politique réalisable. Il y a quelques années les citoyens se demandaient si une solution possible existait ou si ce conflit serait éternel pour différentes raisons, religieuse ou géo-stratégiques.
La deuxième indication - directement liée à la première - est l’attribution de la responsabilité de la non résolution du conflit aux deux parties, autant aux Israéliens qu’aux Palestiniens. C’est l’avis de 45% des sondés, même si une majorité d’entre eux pensent que le soutien de la communauté internationale aux dirigeants Israéliens est trop grand. On aurait aimé savoir - il est dommage que la question n’ait pas été posée - si aux yeux des sondés, ceci explique la non résolution du conflit aujourd’hui.
Sur l’opinion des Français à propos de la politique menée par leur pays, il est intéressant de voir que la majorité des sondés pensent que la politique menée par Nicolas Sarkozy vis à vis d’Israël et de la Palestine est équilibrée. En revanche je ne comprends pas que 46% des sondés ne se prononcent pas sur cette question. Je ne sais pas comment analyser ceci. Est-ce parce qu’ils n’estiment pas connaître assez les détails de cette question ou parce qu’ils s’interdisent d’avoir un jugement subjectif et personnel sur le sujet ? A creuser. Finalement je pense qu’il y a vrai travail à faire dans l’opinion publique sur la relation entre la création d’un Etat palestinien soutenu par 70% des sondes et la campagne de pression non violente et pacifique a travers le boycott des produits israéliens que 62% des sondés ne connaissent pas ou sur lequel ils refusent de se prononcer. Il faut manifestement améliorer l’information sur l’objectif politique de cette campagne et la manière dont elle s’articule avec l’adhésion à l’édification d un Etat palestinien exprimée par 70% des sondés. »

Daniel Shek

Ambassadeur d’Israël en France
« Si tous les acteurs pensaient comme Israël... »
« Les résultats du sondage ne sont pas étonnants. En France comme en Israël, des majorités écrasantes similaires croient dans la solution de deux États-nations pour deux Peuples. Israël cherche depuis longtemps à reprendre les négociations avec les palestiniens, sans conditions préalables. Les négociations ne garantissent pas un succès, mais elles demeurent le seul moyen d’arriver à l’objectif auquel aspire Israël, 2 états pour 2 peuples, vivant en paix côte à côte, ainsi que la paix avec tous ses voisins et tout le monde arabe. La reprise des négociations directes, sans conditions préalables, entre israéliens et palestiniens est fondamentale pour ceux qui aspirent à la paix et croient en l’avenir. Si tous les acteurs pensaient comme Israël, peut-être nous ne serions pas dans la situation difficile que nous connaissons aujourd’hui. » http://paris1.mfa.gov.il/

Jean-Claude Lefort

Président de l’Association France-Palestine Solidarité.
« Ce qui est frappant c’est le désintérêt de la jeunesse »
« Ce qui est frappant, tout d’abord, c’est la proportion de sondés sans « grille de lecture » claire du conflit israélo-palestinien, qui ne se prononcent pas, qui renvoient les deux parties dos à dos ou qui évoquent une « impartialité » des positions françaises ou internationales. Il faut cependant nuancer cette donnée. On constate en effet qu’au minimum 20% des Français semblent n’accorder aucun intérêt manifeste au sujet. Désintérêt que l’on retrouve dans la plupart des sondages indépendamment du sujet. Ce qui est frappant ici c’est le taux relativement élevé de personnes qui ne se prononcent pas (au-delà de 35%) parmi la jeunesse.
Le second fait significatif, c’est que les personnes qui ont une idée claire sur le sujet, sont particulièrement nettes sur les responsabilités des uns et des autres. Les sondés sont 4 fois plus nombreux à attribuer la responsabilité de la situation actuelle aux Israéliens plutôt qu’aux Palestiniens. Ceux qui estiment que la communauté internationale apporte un « trop grand soutien » à Israël sont 5 fois plus nombreux que ceux qui jugent qu’elle apporte « un trop grand soutien aux Palestiniens ». Et ceux qui estiment que les autorités françaises sont « plutôt favorables aux Israéliens » sont 2 fois plus nombreux que ceux qui pensent qu’elles sont « plutôt favorables aux Palestiniens ».
Il y a un effort considérable à produire parmi la jeunesse, notamment celle des banlieues et sur la campagne en faveur du boycott des produits israéliens qui n’en est qu’à son commencement. Ce qui ne peut manquer d’interpeller sérieusement une association comme la notre qui vise à contribuer à une paix juste et durable au Proche-Orient sur la base du droit international en particulier par la création d’un Etat palestinien vivant à côté d’un Etat israélien. » http://www.france-palestine.org