Déclenchée le 8 juillet par Israël avec comme objectif affiché de détruire les infrastructures du Hamas dans la bande de Gaza,
l’opération « Bordure protectrice » a pris un nouveau tournant le 17
juillet avec l’envoi de troupes au sol. On comptait déjà le 31 juillet 1.373 morts du côté palestinien, parmi lesquels 852 civils et 252 enfants. « Le
nombre de personnes cherchant refuge auprès de l’agence de l’ONU pour
l’aide aux réfugiés palestiniens (UNRWA) a quant à lui passé la barre
des 100.000 personnes », a indiqué l’ONU. On dénombrait 59 victimes du côté israélien (dont trois civils).
Officiellement, l’opération vise à
stopper les tirs de roquettes du Hamas. Mais le véritable objectif
d’Israël est de briser l’unité du peuple palestinien conquise par l’entrée du mouvement de résistance
islamique dans le gouvernement palestinien d’unité nationale, mais
aussi de maintenir le Hamas au pouvoir (mais militairement affaibli)
afin de justifier la « prison à ciel ouvert » qu’est devenu Gaza après
le retrait israélien de l’été 2005.
Pour bien comprendre la stratégie de Tel-Aviv dans sa guerre déclarée contre le terrorisme,
il est nécessaire de comprendre la nature du conflit
israélo-palestinien ainsi que l’essence même du sionisme. Israël a de
son côté toujours tenté de présenter le conflit comme un conflit
religieux ou ethnique. Force est pourtant de constater que la
démographie joue dans cette affaire un rôle non négligeable. Et quand
Théodore Herzl théorisait la création d’un État juif en Palestine, la
question de la présence des populations arabes, largement majoritaires
dans la zone où devait s’édifier l’État juif, se posait déjà. Inverser
la donne et créer une majorité juive dans un territoire allant du
Jourdain à la mer a toujours été le but ultime du sionisme. Pour
l’atteindre, ses partisans ont utilisé tous les moyens possibles,
notamment l’émigration de masse durant le mandat britannique et même le terrorisme,
poussant les Palestiniens à quitter les maisons qui les avaient vu
naître en vue de les repousser vers l’un des États arabes existants. Les
mesures oppressives mises en place par les premiers colons à leur
encontre n’avaient d’ailleurs d’autres buts que de favoriser
l’occupation totale de la Cisjordanie.
Mais en dépit de cette politique
déguisée de nettoyage ethnique, réalisée depuis plus de soixante ans
avec le silence complice de l’Occident,
le nombre de Palestiniens dans la zone bibliquement définie comme celle
de la Terre promise n’a pas diminué. Il a même augmenté. Un rapport du
bureau central palestinien des statistiques (BCPS) estime en effet qu’à
l’horizon 2020, les Palestiniens seront plus nombreux que les Juifs sur
l’entité formée par Israël et les territoires occupés. Selon le quotidien Haaretz,
5,8 millions d’Arabes vivent actuellement en Israël, en Cisjordanie,
dans la bande de Gaza et à Jérusalem-Est, contre six millions de Juifs.
En 2016, ces populations devraient atteindre le même nombre d’individus
avant de voir les deux courbes se croiser pour atteindre 7,2 millions en
2020, contre 6,9 millions de Juifs. Une situation qui s’explique en
partie par un taux de fertilité de 4,4 enfants par famille dans la bande
de Gaza. Moins qu’il y a quinze ans où ce même taux atteignait les six
enfants par famille selon le Times of Israel, mais nettement plus que le taux de fertilité des Israéliens, stable à trois enfants par famille.
Les sionistes admettent implicitement
qu’ils ne pourront jamais éradiquer la présence palestinienne. Ils se
ainsi rabattus sur la solution qui consiste à regrouper autant de
Palestiniens que possible sur de petits espaces… pour annexer le
territoire restant. On comprend aisément que cette stratégie qui a pour
but la colonisation de vastes zones en Cisjordanie n’est pas applicable à
Gaza, une minuscule bande de terre sur laquelle s’entassent pas moins
de deux millions de Palestiniens.
On comprend mieux aussi la politique
menée par l’ex Premier ministre Ariel Sharon, qui a vu le désengagement
de Gaza (où le Hamas – organisation « terroriste »
aux yeux d’Israël et de l’Occident – a pris le pouvoir) et la poursuite
en parallèle d’une féroce d’occupation en Cisjordanie… sur laquelle le
modéré Mahmoud Abbas essaie tant bien que mal d’exercer le pouvoir dans
les limites que l’État israélien veut bien lui consentir. Ainsi, retirer
ses troupes d’une zone tenue par des « extrémistes » pour les
concentrer sur une zone administrée par des modérés pouvait sembler a
priori irrationnel. Mais tout ceci se concevait en réalité parfaitement,
l’objectif étant en filigrane l’annexion des territoires.
Mais le projet sioniste se heurte à
trois obstacles. Le premier réside dans la prise de conscience de la
part de l’Occident que le statu quo qu’Israël aspire à prolonger
indéfiniment pour poursuivre son processus de colonisation n’est plus
acceptable. Et cette prise de conscience a connu sa manifestation la
plus éclatante lorsque l’assemblée générale des Nations Unies a accepté la Palestine comme un État observateur
par 138 voix (dont la France), 9 contre (dont les États-Unis, le Canada
et Israël) et 41 abstentions (dont l’Allemagne et le Royaume-Uni),
officialisant derechef la reconnaissance d’un État palestinien au niveau
international.
Le second obstacle est l’émergence d’un
nouvel équilibre mondial. Les États-Unis ont toujours été un allié
précieux pour Israël. Même si l’Oncle Sam est toujours puissant aux
niveaux diplomatique et militaire, il doit aujourd’hui composer avec
d’autres puissances que sont par exemple la Russie et la Chine,
traditionnels partisans de la cause palestinienne.
Dans un tel contexte, les États-Unis n’ont plus la faculté (ni
peut-être même la volonté) de contenir l’émotion du monde entier quand
Israël exécute sa sale besogne.
Enfin, la tentative de recomposition des
factions palestiniennes et la naissance d’un gouvernement d’unité
nationale sont vécues par l’entité sioniste comme une menace mortelle
pour ses objectifs expansionnistes, et ce pour deux raisons. La première
est que la division des Palestiniens en deux factions dont une seule
reconnaît le droit à l’existence d’Israël (le Fatah) a toujours été la
raison officielle avancée par l’entité sioniste pour ne pas concéder la
pleine autonomie à un État palestinien. Tel-Aviv affirme en effet que la
Palestine tout entière pourrait se transformer en un nouveau Gaza si le
Hamas venait à s’emparer du pouvoir. La seconde raison est qu’un État
palestinien en bonne et due forme, c’est-à-dire permettant à ses
ressortissants la liberté de circulation, ferait augmenter
considérablement la population arabe en Cisjordanie, rendant ainsi
impossible la création d’Eretz Israël cher. Les plans sionistes s’en
trouveraient contrecarrés.
Le millier de morts palestiniens depuis
la dernière offensive de Tsahal est malheureusement susceptible
d’augmenter comme en témoigne le refus obstiné d’Israël d’accepter tant
la réalité de l’échec de son projet que la présence de deux peuples,
désormais numériquement équivalents, sur le territoire de la Palestine
historique. Pourtant, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les
sionistes avaient assuré aux Occidentaux ceci : « aidez-nous à avoir un État et nous serons les dignes représentants de la civilisation et de la démocratie ». Sous-entendu : nous serons les garants de la civilisation.
Or,
depuis maintenant près de soixante-dix ans, l’entité sioniste nous
montre tous les jours comment elle conçoit cette dernière. Elle ne cesse
d’amplifier la création de nouvelles colonies et pratique délibérément
la politique d’occupation des sols. Elle viole quotidiennement le droit
international et dénie de facto au peuple palestinien de disposer de
lui-même. Elle essaie depuis 1948 de fermer la voie à toute discussion
sur le droit au retour et le retire de la table des négociations avant
tout accord, si minime soit-il. Les résultats négociés ne peuvent être
ainsi que ridicules. Or, les droits s’obtiennent par la lutte et le droit au retour s’impose de lui-même.
Jusque-là, l’entité sioniste n’avait
aucune difficulté à négocier sur sa dernière exigence de judaïser Israël
parce qu’on avait cessé de poser la condition de son existence. La
protection des États-Unis et des Européens bienveillants à son égard en
avait fait de facto un État intouchable. Mais le monde change et le
projet sioniste a manifestement du plomb dans l’aile. Il est donc
aujourd’hui plus que jamais temps de rebattre les cartes.
Capitaine Martin