Michel Rocard
Les
procédures internationales sont longues et incertaines, plus encore que
ne le sont les mécanismes de décision dans nos démocraties
contemporaines souvent bureaucratisées avec quelque excès.
On n’est donc sûr de rien.
Mais il reste probable que dans les mois qui viennent nombre de pays,
peut être seulement les membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies
qui sont au nombre de 15, peut-être l’ensemble des membres des Nations
Unies dans leur Assemblée Générale, - ils sont aujourd’hui 193 – auront à
se prononcer soit sur la procédure, soit directement sur le fond, au
sujet de l’éventuelle reconnaissance par les Nations Unies d’un état
palestinien. La demande vient d’en être faite officiellement par le
Président de l’Autorité Palestinienne, Monsieur Mahmoud Abbas.
Toutes les diplomaties nationales commencent donc à y réfléchir.
Voici maintenant largement plus d’une décennie, en fait
bientôt deux, que l’accord s’est fait entre les grandes diplomaties
mondiales, notamment celles du célèbre quartet – ONU, Russie, Union
Européenne, Etats Unis – de l’Autorité Palestinienne et par
intermittence du gouvernement d’Israël qui n’a pas formellement démenti
la perspective globale, sur le fait que la paix au Proche Orient passe
par la cohabitation acceptée entre deux États, celui d’Israël et celui
de Palestine.
Le Président Obama y a fait plusieurs fois référence de
manière très explicite, le quartet en fait l’objectif, mieux, l’axe
majeur de son action diplomatique.
Tout devrait donc aller pour le mieux, et la procédure
d’élaboration de Paix commencer par la reconnaissance de l’État
Palestinien ? Hélas ce serait trop beau car le diable est dans les
détails...
Aux yeux des Palestiniens cela est souhaitable mais
n’est possible que si la capitale de leur État est Jérusalem et si
Israël cesse d’augmenter constamment la surface et le peuplement de ses
colonies installées dans les territoires occupés. Pour Jérusalem comme
capitale Palestinienne, Israël a toujours refusé. Mais la pression des
faits est si grande que beaucoup s’attendent à voir in extremis, au
moment où la paix deviendra imaginable, une réforme des limites
communales rendre enfin possible cette condition.
Pour le peuplement des colonies c’est encore beaucoup
plus difficile. Israël n’a jamais accepté de le ralentir ni de se plier
en aucun cas à aucune pression internationale, même et surtout celle des
États Unis. Pour Israël la guerre n’a pas duré assez pour que les
Palestiniens acceptent toutes leurs conditions même les plus indignes et
les plus illégitimes.
La pression de l’État juif comme de la diaspora a même
été suffisante pour amener tragiquement le Président Obama à reconnaître
publiquement son impuissance et donc l’abandon de la pression sur
Israël. De ce fait, conduite par des sénateurs irréductibles, la
diplomatie américaine menace et fait pression sur les Etats susceptibles
de voter la création et la reconnaissance d’un Etat Palestinien.
L’actuelle direction Israélienne ne veut clairement pas
la paix dans la situation actuelle, et doit avoir dans la tête une
solution à l’irlandaise du XIXème siècle. On s’entretuera pendant encore
des décennies. Il faut à ces gens une disparition à peu près totale de
l’identité palestinienne. Ce n’est pas tolérable, et le reste du monde
ne doit pas le tolérer.
Il est difficile et couteux pour toute nation d’ouvrir
un conflit explicite avec les Etats Unis, chacun le sait. Mais lorsque
ceux-ci, en fonction de fragilités électorales internes, renoncent à
leur leadership mondial, le reste du monde n’est pas tenu de suivre.
Mieux il a le devoir de ne pas les suivre.
Le Président Abbas a fait avec le dépôt de cette demande
un acte courageux et qu’il sait risqué : il y aura nécessairement des
mesures brutales de rétorsion.
Mais il défend là une dernière chance de la paix. Cela
lui a d’ailleurs valu un grand surcroit de popularité et de respect chez
lui comme dans le monde entier. Pour tenter de briser ce résultat c’est
avec le Hamas, l’organisation qui prône quasiment la guerre permanente,
qu’ Isarël a négocié la libération du soldat prisonnier depuis cinq
ans, Gilad Shalit, contre la libération d’un millier de prisonniers
venant du Hamas et même pas celle du n° 2 du Fatah, Marwan Barghouti. Il
faut à Israël un interlocuteur aussi désireux que lui de continuer la
guerre à tout prix.
Il y a longtemps que les dirigeants d’Israël désolent et
inquiètent tous ceux qui dans le monde, et j’en suis, se sont voulus
depuis la Shoah les défenseurs du droit du peuple juif à son état et à
sa sécurité. Mais on avait rarement atteint ce niveau d’indignité :
consolider ostensiblement l’acteur le plus hostile à la paix, amener les
Etats Unis à se dédire et à voter contre la création d’un Etat
Palestinien qu’ils ont toujours défendu, et défendre avec le plus
évident cynisme leur droit de refuser la paix...
Aucune nation civilisée ne doit permettre ces
comportements. Il faut créer l’Etat Palestinien en droit, pour lui
permettre au moins l’accès à la Cour pénale internationale, et puis
ensuite il faudra beaucoup aider et défendre ce tout jeune état.
Nos amis américains ont perdu là leur droit moral au leadership.
Voilà qui change le monde.