28 octobre 2011 - YANN HULMANN
LEILA SHAHID La
voix de l'Autorité palestinienne en Europe ne croit pas au "jeu de
dupes" qu'impose Israël. Elle met l'ONU face à ses responsabilités.
Déléguée de l'Autorité palestinienne auprès de l'Union européenne à
Bruxelles, Leïla Shahid était de passage en Suisse la semaine dernière.
Elle réagit à l'actualité et fait le point sur les relations
israélo-palestiniennes.
Le Hamas vient de contraindre Israël à libérer plus d'un millier
de prisonniers palestiniens contre un seul soldat israélien. Quel regard
porte l'Autorité palestinienne sur cet échange?
Nous sommes soulagés que 1027 prisonniers palestiniens, qui pour
certains croupissaient dans les prisons israéliennes depuis plus de 30
ans, soient finalement libres. Malheureusement, 5000 restent incarcérés.
Par ailleurs, c'est terrible de constater dans quelle mesure le monde a
été sensible à la tragédie du soldat Gilad Shalit - qui a été enfermé
pendant cinq ans dans des conditions sûrement très mauvaises - alors que
très peu de gens ont parlé des conditions de détention des 6000
prisonniers palestiniens, dont 300 mineurs et 80 femmes.
Cela ne peut pas justifier des enlèvements.
Nous avons toujours été contre le kidnapping de Gilad Shalit. S'il
avait dû être jugé pour les actes militaires qu'il a accomplis, comme
assiéger Gaza, cela aurait été différent. Car, faut-il le rappeler,
Gilad Shalit n'était pas en vacances en train de pique-niquer. Il était
dans un tank, avec une armée d'occupation illégitime qui a mis en place
un siège illégitime. Je n'oublie cependant pas que, comme pour beaucoup
de jeunes soldats, ce n'était pas la volonté de Gilad Shalit de se
trouver à cet endroit, mais bien les ordres de l'armée israélienne.
L'Autorité palestinienne était donc pour sa libération, mais, je le
répète, la campagne internationale qui a été faite pour ce soldat est
dure à avaler.
Que change l'accord Shalit aux relations avec Israël?
Cette libération est importante. Rappelez-vous que Messieurs Olmert
et Nétanyahou ont pris comme alibi le kidnapping de Gilad Shalit pour
déclencher, d'abord, une guerre contre Gaza en 2008, puis, assiéger la
même bande de Gaza. Un châtiment collectif pour obliger les gens de Gaza
à rendre Gilad Shalit. Mais ce ne sont pas eux qui l'ont kidnappé, même
pas le Hamas. C'est un mouvement de résistance local. Le Hamas a
racheté Gilad Shalit car il savait bien qu'avec un soldat vivant il
pourrait monnayer la libération de prisonniers. Et ils ont bien réussi.
Avec un soldat, ils ont libéré 1027 prisonniers.
Autre élément essentiel aujourd'hui, Monsieur Nétanyahou n'a plus
d'alibi pour continuer à assiéger Gaza et maintenir dans une situation
invivable 1,5 million de citoyens. Il faudrait maintenant que quelqu'un
lui dise. Mais j'ai l'impression que le monde est assez lâche face à
Nétanyahou.
En 2007, Hamas et Fatah s'affrontaient violemment. Où en sont les relations entre les deux frères ennemis?
Nous avons vécu une tragédie qui n'a pas d'équivalent. Les
Palestiniens, depuis 1948, ne s'étaient jamais attaqués de manière
violente, ne s'étaient jamais éliminés physiquement. Nous avions évité
ça jusqu'en 2007. Et puis, il y a cet affrontement armé entre militants
du Hamas et du Fatah à Gaza.
Cette tragédie a été vécue de manière douloureuse par les
Palestiniens. Ils ont le sentiment que s'ils se divisent, ils auront
encore moins de chance de retrouver un Etat et un pays reconnu.
Comment expliquez-vous ce dérapage?
Ces divisions sont l'une des conséquences de la décision de la
communauté internationale de ne pas accepter le résultat des élections
de 2006, pourtant réalisées sous contrôle international.
Le Hamas a gagné la majorité des sièges. Monsieur Abbas la
présidentielle. Malheureusement la communauté internationale, les
Américains en tête, a décidé qu'elle ne voulait pas du Hamas. Les
Américains ont donné leurs ordres aux Européens, les mêmes Européens qui
avaient jugé ces élections transparentes et objectives. Vous imaginez
si en Europe, en France ou en Suisse, on se permettait de boycotter un
parlement parce que le résultat d'une élection ne plaît pas?
Tout ceci a préparé le terrain à une guerre civile. Grâce à Dieu,
elle n'a pas duré longtemps. Elle a toutefois laissé des traces très
profondes. Mais je pense qu'aujourd'hui il y a un vrai désir dans la
société palestinienne pour que la libération des prisonniers soit
l'occasion de reprendre de chemin de la réconciliation, du dialogue. Car
nous devrons bien refaire des élections. Le Parlement avait un mandat
de quatre ans, et nous sommes à la cinquième année.
Les élections sont la première manifestation de la vie démocratique.
Les Palestiniens observent les révolutions arabes et veulent eux aussi
avoir le droit d'élire leurs propres représentants.