jeudi 28 juillet 2011

La charge du New York Times contre Israël

jeudi 28 juillet 2011 - 05h:53
Uri Avnery
CounterPunch
Voilà une devinette : Quelle flotte n’a pas atteint sa destination tout en remplissant sa mission ?
Eh bien c’est la flottille de solidarité envers Gaza de cette année.
On pourrait dire, bien sûr, que cela est aussi vrai de la "petite flotte" - c’est ce que le mot signifie en espagnol comme "guerilla" signifie "petite guerre" - de l’année dernière. Elle n’a jamais atteint Gaza mais le commandant des forces israéliennes pourrait très bien s’attribuer les paroles de Pyrrhus, le roi d’Épire, dont la victoire contre Rome a été si coûteuse qu’il s’est exclamé, dit-on : "Une autre victoire comme celle-là et je suis perdu !"
La première flottille n’a pas atteint Gaza. Mais l’attaque du commando naval qui a coûté la vie à neuf militants de la paix turcs a soulevé une vague d’indignation telle que notre gouvernement a été forcé d’alléger le blocus de Gaza de manière significative.
Cette attaque a encore aujourd’hui des répercussions. La relation privilégiée entre les armées turques et israéliennes n’a pas été rétablie et les Turcs continuent de demander des excuses et des indemnités. Les familles des victimes ont intenté des poursuites criminelles et pénales dans plusieurs pays. Un vrai casse-tête pour Israël.
L’aventure de la seconde flottille s’est terminée cette semaine avec l’énorme opération navale qui a abouti à la capture d’un seul petit yacht français et la détention des marins, journalistes et militants qui étaient à bord - 16 personnes en tout. Nos médias pourtant soumises ont commenté ironiquement : "Pourquoi n’ont-ils pas envoyé un porte-avion ?"
Les 14 bateaux qui ont été empêchés de partir et celui qui a réussi à partir n’ont pas seulement tenu toute notre marine en alerte pendant des semaines, ils ont aussi permis de garder le siège de Gaza à la une de l’actualité. Et c’était après tout le but principal de toute l’entreprise.
Qu’est-il arrivé aux 14 bateaux qui n’ont pas pris la mer ?
Aussi incroyable que cela puisse paraître la marine et les garde-côtes grecs ont empêché par la force les bateaux de quitter les ports grecs. Cela sans aucun fondement légal et sans même s’embarrasser à simuler un semblant de légalité.
Il ne serait pas exagéré de dire que la marine grecque agissait sur ordre de commandant en chef israélien. Une nation de fiers navigateurs héritière d’une histoire maritime (le mot "nautique" est d’ailleurs d’origine grecque) qui remonte à des milliers d’années, s’est abaissée à commettre des actions illégales pour donner satisfaction à Israël.
Elle a aussi ignoré les actes de sabotage commis par des commandos de la marine - devinez laquelle - contre les bateaux amarrés dans des ports grecs.
Au même moment, le gouvernement turc, le sponsor intrépide du Mavi Marmara, le bateau sur lequel les militants turcs ont été assassinés l’année dernière, a empêché le même navire de prendre la mer cette année.
Au même moment encore, des groupes de militants propalestiniens qui essayaient d’aller en Cisjordanie par avion ont été arrêtés en route. Comme il est impossible d’aller en Cisjordanie par la terre, la mer ou les airs sans passer par le territoire israélien ou les checkpoints israéliens, ils étaient obligés de passer par l’aéroport international de Ben-Gourion, la porte israélienne du monde. La plupart n’ont pas réussi à y arriver : sur instruction de notre gouvernement toutes les compagnies aériennes internationales ont bloqué ces passagers à l’embarquement en utilisant une "liste noire" que leur avait donnée notre gouvernement.
Il semble que le bras long de notre diligent service de Sécurité ait des ramifications partout et que ses ordres soient obéis dans tous les pays, grands et petits.
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L’aventure de la seconde flottille s’est terminée cette semaine avec l’énorme opération navale qui a abouti à la capture d’un seul petit yacht français.
Il y a cent ans, la police secrète du Tsar russe, la terrible "Okhrana" a forgé un document appelé le Protocole des sages de Sion.
(A cette époque, la police secrète s’appelait encore partout Police Secrète, avant d’être promue au rang de "services de Sécurité".)
Le document parlait d’une réunion secrète de rabbins dans le vieux cimetière de Prague pour élaborer une stratégie qui donne aux juifs le contrôle du monde. C’était une grossière falsification qui reprenait des passages entiers d’un roman écrit des dizaines d’années plus tôt.
Rien de ce qui était écrit dans ce texte n’était vrai car en réalité les juifs de l’époque n’avaient pas le moindre pouvoir. De fait, quand Adolf Hitler - qui a utilisé le Protocole pour sa propagande - a mis en place la Solution finale, presque personne dans le monde entier n’a levé le petit doigt pour aider les juifs. Même les juifs étasuniens avaient peur d’élever la voix.
Mais si les auteurs du faux document revenaient aujourd’hui sur le lieu de leur crime, ils se frotteraient les yeux de stupéfaction : le fruit de leur imagination malade semble être devenu la réalité. L’État juif, comme les sionistes l’appellent, peut donner des ordres aux autorités de la marine grecque, faire renoncer les Turcs à leurs projets et ordonner à une douzaine de pays européens d’arrêter des passages dans leurs aéroports.
Comment cela se peut-il ? La réponse est simple et comporte trois lettres : USA.
Israël est devenu une sorte de portier kafkaïen du seul super pouvoir qui reste dans le monde.
Grâce à son immense influence sur le système politique étasunien et surtout sur le Congrès, Israël peut lever un impôt politique sur tous ceux qui ont besoin des USA. La Grèce est en faillite et a désespérément besoin de l’aide des USA et de l’Europe. La Turquie est un partenaire des USA dans l’OTAN. Aucun pays européen ne veut de problèmes avec les USA. Donc : ils doivent tous nous donner une petit bakchich politique.
Pour cimenter cette relation, Glenn Beck, le détestable protégé de Rupert Murdoch nous a rendu visite et a été reçu à la Knesset où il nous a dit "de ne pas avoir peur" parce que lui (et par voie de conséquence la Fox et toute l’Amérique) nous soutenait à fond.
C’est pour ça que quelques lignes écrites cette semaine dans le New York Times, ont presque semé la panique à Jérusalem.
Le NYT est peut-être le journal le plus "pro-Israël" du monde entier Israël compris. Les antisémites l’appellent le Jew York Times (Le mot Jew, juif, remplace le mot News, nouvelles, NdT). Un article qui critique la politique d’Israël n’a quasiment aucune chance d’y être publié. Il n’y a jamais été fait mention des douzaines de manifestations israéliennes contre la deuxième guerre d’Israël contre le Liban ni de l’opération Cast Lead (Plomb durci - décembre 2008/janvier 2009 - ndp). L’autocensure règne en maître.
Mais cette semaine, le NYT a publié un éditorial cinglant contre Israël. La raison : la "Loi sur le Boycott" que la majorité de droite de la Knesset a votée, et qui interdit aux Israéliens d’appeler au boycott des produits en provenance des colonies. L’éditorial répétait pratiquement ce que j’avais écrit dans l’article de la semaine dernière : à savoir qu’il s’agissait d’une loi clairement antidémocratique qui viole des droits de l’homme les plus élémentaires. D’autant plus qu’elle vient couronner tout une série de lois antidémocratiques votées ces derniers mois. Israël est en danger de perdre son titre de "seule démocratie du Moyen-Orient".
Tout à coup, tous les feux rouges à Jérusalem se sont mis à clignoter furieusement. Au secours ! Nous allons perdre notre seul soutien politique dans le monde, le pilier de notre force, la base de notre sécurité nationale, le rocher de notre existence.
Le résultat a été immédiat. Mercredi, la clique de droite qui contrôle actuellement la Knesset, sous la direction d’Avigdor Lieberman, faisait voter une résolution qui nomme deux commissions d’enquête des ressources financières des ONG des droits de l’homme.
Pas toutes les ONG, seulement celles de "gauche". Cela constituait une mesure supplémentaire dans la longue liste des mesures maccarthistes dont beaucoup ont déjà été votées et beaucoup d’autres attendent de l’être.
Le jour précédent, Binyamin Netanyahu était venu spécialement à la Knesset pour dire à ses supporters qu’il approuvait et soutenait sans réserves la loi sur le Boycott. Mais après l’éditorial du NYT quand la résolution sur la commission d’enquête a été présentée, Netanyahu et tous les ministres de son cabinet ont voté contre. Les factions religieuses ont disparu de la Knesset. La résolution a été rejetée par une majorité des deux tiers.
Mais la sinistre réalité qui est apparue, c’est que, à part Netanyahu et ses ministres captifs, tous les membres du Likoud présents ont voté en faveur de la résolution. Y compris tous les jeunes leaders du parti, la future génération de patrons du Likoud.
Si le Likoud reste au pouvoir, ce groupe d’extrémistes de droite sera le gouvernement d’Israël dans les dix ans qui viennent. Et le New York Times pourra aller au diable.
Heureusement, il y a des signes que quelque chose de nouveau se prépare.
Cela a commencé innocemment avec une grève réussi des consommateurs de fromage blanc (cottage cheese) pour forcer un cartel de vaches grasses à diminuer les prix. Puis il y a eu l’action de masse des jeunes couples, principalement des étudiants des universités, contre les prix élevés des appartements.
Un groupe de manifestants ont planté leurs tentes dans le centre de Tel Aviv et y vivent depuis plus d’une semaine. Peu après des campements similaires se sont installés partout dans le pays de Kiryat Shmona à la frontière libanaise à Beer Sheva dans le Negev.
Il est beaucoup trop tôt pour dire si c’est une protestation ponctuelle ou le début israélien du phénomène de la place Tahrir. Mais cela montre clairement que la prise du pouvoir en Israël par un groupe de néo-fascistes n’est pas encore une chose acquise. La lutte a commencé.
Et peut-être -seulement peut-être !- que même le New York Times pourrait se mettre à dire la vérité sur ce qui se passe dans ce pays.
Uri Avnery (en hébreu : אורי אבנרי), de son nom de naissance Helmut Ostermann, est un écrivain et journaliste israélien né le 10 septembre 1923 à Beckum (Westphalie, Allemagne). Surtout connu pour être un militant des droits des Palestiniens et pacifiste convaincu, il appartient à une tendance de la gauche radicale israélienne. Il se définit comme postsioniste (Wikipédia). Il a contribué à l’ouvrage : The Politics of Anti-Semitism.
(JPG) Uri Avnery est un écrivain israélien et un militant pour la paix de Gush Shalom. Il a contribué au livre de CounterPunch : The Politics of Anti-Semitism.
26 juillet 2011 - CounterPunch - traduction : Dominique Muselet
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