entretien avec Robert Malley
Faute de produire des effets sur le terrain, l’Accord de Genève, comme les autres plans de paix, a laminé l’intérêt des Palestiniens et des Israéliens à s’engager pour une solution à deux Etats. C’est l’analyse de Robert Malley, ex-conseiller du Président Bill Clinton pour le Moyen-Orient. Interview par Frédéric Burnand de Swiss info .
Directeur pour le Proche-Orient de l’International Crisis Group, un think tank basé à Bruxelles, Robert Malley a conseillé le Président Bill Clinton entre 1998 et 2001 sur les questions touchant le Moyen-Orient. Et ce dans le cadre de ses initiatives de paix.
Ce fin connaisseur du conflit israélo-palestinien était cette semaine à Genève pour participer à un débat consacré à Gaza et au processus de paix israélo-palestinien. Ce débat avait pour cadre une soirée organisée par le Festival du film et le Forum international sur les droits humains.
.Swissinfo.ch : L’irruption au grand jour de la Turquie via l’affaire de « la flottille de la liberté » ouvre-t-elle de nouvelles perspectives de paix ou complique-t-elle le jeu diplomatique ?
Robert Malley : Potentiellement, la Turquie a un rôle extrêmement important à jouer, parce qu’elle est l’un des rares pays à avoir des liens forts avec les Occidentaux, une relation aujourd’hui difficile mais ancienne et profonde avec Israël, des liens avec tous les acteurs de la région, que ce soit l’Iran, la Syrie, le Hamas, le Hezbollah ou l’Arabie saoudite.
En plus, et c’est un facteur exceptionnel, la Turquie jouit d’une forte crédibilité au sein de ce qu’on appelle la « rue arabe ». Ankara peut donc développer une diplomatie pragmatique avec une légitimité populaire. Aucun autre pays dans la région ne dispose d’un tel statut et de telles cartes.
Mais les réactions des autres pays peuvent alimenter de nouvelles rivalités. Des pays comme l’Egypte, l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis ou l’Europe peuvent ne pas profiter de ce nouvel acteur et ne pas le laisser réussir là ou ils ont échoué. Pour l’heure, c’est cette voie qui semble être suivie.
N’est-ce pas la grande difficulté des Palestiniens que d’être otages d’Etats qui règlent leurs rivalités sur leur dos ?
C’est une des tragédies de la cause palestinienne depuis ses débuts. Malgré tous ses défauts, Yasser Arafat avait réussi à préserver l’indépendance de la décision palestinienne. Et ce en obtenant -avec parfois des méthodes contestables- un certain consensus entre les différents courants palestiniens. Dès lors, les interlocuteurs de Yasser Arafat ne doutaient pas de sa légitimité quand il agissait ou parlait au nom des Palestiniens.
Aujourd’hui, la fragmentation du mouvement national palestinien ouvre la porte à toutes sortes d’interférences, qu’elles viennent de l’Iran, de la Syrie, de l’Egypte, des Etats-Unis, d’Israël et d’autres encore. Raison pour laquelle la réconciliation inter-palestinienne est si importante.
Même si justement, cette réconciliation est rendue très difficile à cause de parties tierces qui, au nom de leurs intérêts, cherchent à la bloquer. Nous sommes donc dans un cercle vicieux.
N’est-il pas trop tard pour une solution à deux Etats, comme l’affirment certains, en faisant référence aux impasses évoquées plus haut et à la poursuite de la colonisation dans les Territoires occupés ?
Cette hypothèse n’est pas récente. Elle est posée depuis au moins dix ans. Certains estiment qu’un accord sur deux Etats est impossible puisqu’il impliquerait d’importants déplacements de population et provoquerait un trop grand déchirement en Israël.
Personnellement, je ne sais si nous avons déjà atteint ce point de non-retour puisqu’il dépend à la fois de la situation concrète sur le terrain et de la volonté des parties à mettre en œuvre un accord de paix avec deux Etats.
Une chose est sûre : chaque jour qui passe rend un accord de paix moins facile, que ce soit à cause des évolutions sur le terrain mais aussi dans les esprits. Lors de mes voyages en Israël et en Palestine, je constate que non seulement on ne croit plus à un accord de paix, mais on ne s’y intéresse même plus.
Il faut donc redoubler d’efforts pour aboutir à un accord en tirant les leçons des échecs passés.
Depuis l’Accord de Genève [de 2003], les contours d’un accord de paix sont connus. N’est-ce pas un élément de blocage pour de futures négociations de paix, puisque les parties connaissent d’avance ce qu’elles peuvent obtenir et concéder ?
C’est possible. Vu que cet accord ne s’est pas concrétisé et qu’il n’a rien changé sur le terrain, il est devenu un aimant pour ses adversaires.
Voyant vers quoi l’on se dirigeait, certains ont pu se mobiliser contre tout ou partie de cet accord. De fait, l’Accord de Genève a donné lieu à plus de manifestations négatives que positives. Et ce, même si le bilan de cette initiative n’est pas encore écrit et qu’il a aussi eu des retombées positives.
Reste que cet accord et les autres tentatives de paix ont rendu les propositions et les solutions qu’ils contiennent de moins en moins alléchantes. Aujourd’hui, ces idées ne sont plus en mesure de déclencher l’enthousiasme, puisque les populations ont pu mesurer le prix à payer pour obtenir un tel accord sans en voir les bénéfices. De plus, ces idées ont perdu leur effet de surprise, un élément qui peut aider à la conclusion d’un accord.
Raison pour laquelle, il faut cesser de dire que l’on connaît la solution au conflit israélo-palestinien. Il me semble nécessaire de repenser cette question et d’y injecter des élément nouveaux. On voit mal en effet les négociateurs israéliens et palestiniens prendre le risque d’obtenir moins que leurs prédécesseurs.
J’ai proposé, par exemple, de repenser la question des réfugiés palestiniens de 1948, en mettant aussi sur la table la possibilité que certains colons puissent habiter en Cisjordanie sous souveraineté palestinienne.