Bernard Ravenel
Un réquisitoire contre la politique de l’Union européenne et pour la paix par l’application du droit
La première session du tribunal Russell sur la Palestine (TRP) s’est déroulée à Barcelone les 1er, 2 et 3 mars 2010. C’est le barreau des avocats de Barcelone qui l’a accueillie dans une salle superbe donnant au tribunal un décorum symbolique et matériel très adapté.
Ce Tribunal d’opinion s’est situé d’emblée dans la lignée du tribunal Russell sur le Vietnam (lancé en 1967 avec en particulier Jean-Paul Sartre) qui a eu un large impact sur l’opinion publique au niveau international.
Constitué à l ’appel de Ken Coates (président de la Fondation pour la paix Bertrand Russell), Nurit Peled (israélienne, Prix Sakharov 2001), et Leila Shahid (déléguée générale de Palestine auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg), il a consacré sa première session au rôle de l’Europe dans la question israélo-palestinienne. Le président de la Commission européenne, Monsieur Barroso, invité à s’exprimer sur cette initiative, a présenté, dans une lettre lue en séance, la politique européenne actuelle et manifesté son intérêt pour l’initiative.
Dépourvu de toute autorité juridictionnelle, le TRP, pour sa première session, a reparcouru l’itinéraire de la tragédie palestinienne à partir du comportement des Etats européens et de leurs propres engagements à respecter et à faire respecter le droit international. Le système de référence juridique dans lequel s’est placé le tribunal a été celui du droit international public.
Un réquisitoire contre la politique de l’Union européenne
Six questions ont été confrontées aux principales conventions internationales signées par tous les Etats concernés (Charte des Nations unies, conventions de Genève de 1949, Déclaration universelle des droits de l’homme, etc.). Elles ont porté sur : le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ; les colonies de peuplement et le pillage des ressources naturelles palestiniennes ; l’annexion de Jérusalem-Est ; le blocus de Gaza et l’opération « Plomb durci » ; la construction du Mur dans le territoire palestinien ; l’accord d’association Union européenne/Israël.
A partir de l’audition des experts y compris israéliens et palestiniens, et de témoins (journalistes, médecins et députés européens), la démonstration de la façon dont l’Union européenne n’a pas fait suivre ses belles déclarations de principe d’une action concrète susceptible de les faire respecter sur le terrain a été implacable.
Après deux journées de travail intense suivie avec une attention soutenue par un public d’environ 300 personnes, le jury a présenté ses conclusions à la presse. Il a énuméré les nombreux manquements de l’Union européenne et de ses Etats membres aux règles du droit international qui les obligent à réagir aux violations du droit international commises par Israël.
Entre autres conclusions, le TRP appelle :
1 l’UE en particulier à mettre en œuvre la résolution du parlement européen demandant la suspension de l’accord d’association UE-Israël et par là-même mettre fin à l’impunité dont Israël bénéficie jusqu’à aujourd’hui.
2 les Etats membres à mettre en œuvre les recommandations définies au paragraphe 1975 (a) du rapport de la mission de l’ONU sur le conflit à Gaza (rapport Goldstone) eu égard à la collecte de preuves et à l’exercice de la compétence universelle contre des suspects israéliens et palestiniens ; (...)
La paix par l’application du droit
L’intérêt et l’originalité de la démarche ont été de partir de l’analyse du comportement complice des pays tiers – en particulier l’Union européenne et ses Etats membres – sans lequel le conflit ne durerait pas depuis des décennies.
En effet, après l’offensive militaire israélienne à Gaza, et après une réponse européenne qui a consisté surtout à "rehausser" ses relations avec Israël en guise de "sanction", le Tribunal a représenté un signe fort de contre-tendance et d’initiative sur le terrain le plus sensible de la politique de l’Union européenne, celui du respect du droit international.
La participation de nombreux représentants des comités nationaux d’appui venant d’une dizaine de pays d’Europe, le niveau élevé des interventions et des témoignages qui se sont succédés, la qualité du travail juridique effectué, et l’impact médiatique constaté en Espagne mais surtout en Israël et dans le monde arabe (via Al-Jazira), ont conforté les organisateurs dans leur démarche.
Plusieurs autres sessions sont prévues. La prochaine se tiendra à Londres en octobre et sera consacrée au rôle des grandes entreprises internationales dans le processus de colonisation de la Palestine. Ensuite le Tribunal envisage de siéger en Afrique du sud, et en Amérique, éventuellement à proximité du siège des Nations unies.
Ainsi la première session du Tribunal contribuera-t-elle peut-être à franchir une étape dans le processus de mobilisation de la communauté internationale (sociétés civiles et Etats) pour la construction de la paix dans la région qui ne pourra aboutir que dans l’application des règles du droit public international.
publié par Confluences méditerranée