Le Président Hamid Karzaï s’oppose de plus en plus ouvertement à Washington, qui non seulement refuse mais entrave le dialogue de réconciliation nationale entamé par Kaboul avec les talibans et le Mollah Omar, note le journaliste Eric Margolis, fin connaisseur de la région. Cette querelle reflète selon lui une divergence fondamentale d’intérêts : les afghans, épuisés par trente ans de conflits qui ont ravagé le pays, aspirent à la paix et savent qu’elle ne peut être obtenue sans redonner leur place aux Pashtounes, alors que la coalition emmenée par les USA tient avant tout à s’assurer un contrôle stratégique sur une région riche de ressources. En arrière plan, les puissances régionales ont pleinement conscience des opportunités que leur offrirait un Afghanistan redevenu indépendant. --- Le conflit afghan est emblématique de l’impasse et de l’inefficacité d’une vision géostratégique bâtie sur la domination militaire. En choisissant la confrontation, l’occident non seulement inquiète mais il expose aussi ses faiblesses et compromet son avenir. Par la confrontation armée, il s’aliène tous les peuples du monde qui voient jour après jour les civils innocents mourir sous les balles et les bombes de ceux qui se prétendent pourtant les dépositaires de la plus haute exigence morale et revendiquent le privilège de dire le droit. En inquiétant, il incite les dirigeants à rechercher la protection de l’arme nucléaire, comme c’est le cas en Iran, pour éviter à leur peuple le destin terrible de l’Irak, où l’invasion occidentale - qui a très sûrement provoqué plus de morts et de souffrances que le régime pourtant honni de Saddam Hussein - est un crime qui restera de toute évidence impuni. En ne parvenant pas à imposer sa loi, il révèle à tous son destin d’empire sur le déclin dont l’heure de toute puissance est vouée à « disparaitre des pages du temps », pour reprendre une formule célèbre mais si souvent déformée. Tous ensembles, ces facteurs concourent au résultat inverse des objectifs affichés : on assiste à une aggravation des tensions régionales, une dissémination des armements et à une accélération des processus de recomposition dans les relations internationales, les nations émergentes cherchant à se protéger et à s’éloigner d’un centre, affaibli certes, mais qui reste un facteur de désordre et non de stabilisation. Enfin, ce faisant, il se prive de ce qui serait sa capacité d’influence sur les affaires du monde la plus inspirante : une coopération pacifiée entre pairs, qui donnerait, elle, quelques raisons de partager les idéaux des lumières, dont, piètres héritiers, nous offrons aujourd’hui une détestable caricature. Contre Info.
Par Eric Margolis, Toronto Sun, 11 avril 2010
Henry Kissinger a déclaré un jour qu’il était plus dangereux d’être l’allié de l’Amérique que son ennemi.
Dernier exemple en date : Hamid Karzai, le président installé par les américain en Afghanistan, qui a de sérieux ennuis avec des patrons à Washington vraiment en colère.
L’administration Obama veut faire porter le blâme pour l’échec américain à vaincre les talibans à un Karzai largement impuissant, qui est un ancien « atout » de la CIA. Washington a accusé Karzaï d’avoir truqué les élections l’an dernier. C’est vrai, mais les États-Unis avaient « pré-truqué » ces élections afghanes en excluant toutes les partis qui s’opposent à l’occupation occidentale.
Washington, qui soutient des dictateurs et des élections truquées dans tout le monde musulman, a eu l’audace de s’en prendre à Karzaï pour cause de corruption et de bourrage des urnes. Et ce au moment où le Pentagone organisait une prise de contrôle totale du Pakistan par les militaires.
L’administration Obama ne cache pas qu’elle souhaite remplacer Karzai. On pourrait presque entendre Washington crier : « piètre marionnette ! »
Karzai a riposté en accusant les Etats-Unis de truquage des élections. Il a demandé à plusieurs reprises aux militaires américains de ne plus tuer tant de civils afghans.
Puis, Karzaï a laissé tomber une bombe, en affirmant que les USA occupaient l’Afghanistan pour dominer la région de la mer Caspienne, riche en énergies, et non en raison des talibans ou de l’inexistante Al-Qaida. Karzai a déclaré que les talibans « résistaient à l’occupation occidentale ». Les États-Unis auront bientôt 100 000 soldats en Afghanistan, plus 40 000 soldats de l’OTAN.
Karzai a même affirmé en plaisantant à demi qu’il pourrait rejoindre les talibans
Washington a eu une attaque d’apoplexie. Une campagne de propagande pernicieuse a été déclenchée contre Karzaï. Le New York Times, l’un des porte-paroles de l’administration Obama, ardent partisan de la guerre en Afghanistan, a appelé au renversement de Karzaï et à son remplacement par un général plus complaisant.
Le pro-américain Peter Galbraith, qui avait été démis de ses fonctions aux Nations Unies à Kaboul, a déclaré aux médias que Karzaï pourrait être à la fois drogué et fou.
Au-delà de cette querelle - qui ne manque pas de comique - il existe une divergence croissante entre les Afghans et Washington. Après 31 ans de conflit, près de trois millions de morts, des millions de réfugiés, et une pauvreté terrible, les Afghans aspirent à la paix.
Durant les deux dernières années, Karzaï et les seigneurs de guerre qui sont ses alliés ont eu des pourparlers de paix avec les Taliban en Arabie Saoudite.
Karzaï sait que le seul moyen de mettre fin au conflit en Afghanistan est de donner sa place à la majorité pachtoune de la nation et à son bras armé, les talibans. Le compromis politique avec les talibans est la seule - et inévitable - solution.
Mais l’administration Obama, mal conseillée par les néoconservateurs de Washington et les tenants de la ligne dure, est déterminée à « remporter » une victoire militaire en Afghanistan (quoi que cela puisse signifier) pour sauver la face en tant que grande puissance et imposer un règlement qui lui laisse le contrôle stratégique sur l’Afghanistan.
Les États-Unis ont donc contrecarré les pourparlers de paix de Karzaï en obtenant du Pakistan - qui a reçu 7 milliards de dollars US - l’arrestation de hauts responsables talibans réfugiés dans le pays qui participaient aux négociations de paix en cours avec Kaboul.
C’était au tour de Hamid Karzaï d’être en colère. Il a alors commencé à défier ouvertement ses patrons américains et à adopter une position indépendante. La marionnette a coupé les fils.
L’audace retrouvée de Karzaï est due au fait que l’Inde et la Chine sont impatientes de prendre la place de la domination US/OTAN/Anglaise sur l’Afghanistan. L’Inde déverse de l’argent, des armes, envoie ses agents en Afghanistan et forme les forces gouvernementales. La Chine, plus discrètement, entre en scène pour exploiter les richesses minières récemment découvertes en Afghanistan, qui sont d’une valeur de 1000 milliards de dollars, affirme Karzai s’appuyant sur une étude géologique effectuée par l’administration US.
La Russie, qui n’a toujours pas digéré sa défaite des années 1980 en Afghanistan, observe les vicissitudes de l’Amérique avec une évidente réjouissance, non dépourvue d’un désir de se venger quelque peu. Moscou a ses propres ambitions en Afghanistan.
J’ai longtemps suggéré que la meilleure option pour Karzaï serait de prendre ses distances avec la tutelle américaine et de demander le retrait de toutes les forces d’occupation étrangères.
C’est une entreprise risquée, certes. N’oublions pas l’avertissement de Kissinger. Karzaï pourrait se retrouver mort. Mais il pourrait aussi devenir un héros national et le meilleur candidat pour diriger un Afghanistan indépendant que tous les groupes ethniques pourraient accepter.
Hélas, les États-Unis continuent de faire la même erreur en recherchant des clients dociles plutôt que des alliés qui soient réellement légitimes et populaires.
Publication originale Toronto Sun, traduction Contre Info