mercredi 14 avril 2010

Kippas made in Palestine

Par Sophie JANEL | 14/04/2010
Des mères de famille et jeunes femmes confectionnent en moyenne 
deux à trois kippas par jour.
Des mères de famille et jeunes femmes confectionnent en moyenne deux à trois kippas par jour.
Reportage À Deir Abu Mash'al, les Palestiniens fabriquent et vendent des kippas.
« Il y a dix ans, je travaillais dans le bâtiment en Israël. Mais après l'éclatement de la seconde intifada en 2000, j'ai perdu mon emploi et je me suis tourné vers le commerce de la kippa », explique ce père de sept enfants, que l'on appellera Khaled car il souhaite garder l'anonymat. À l'instar, d'ailleurs, de toutes les personnes interrogées dans village de Deir Abu Machaal, situé au nord-ouest de Ramallah. « Travailler pour l'occupant est une nécessité pour ces villageois, mais ils ont un peu honte », explique Jamil, un Palestinien rentré il y a deux mois de Dubaï après avoir perdu son emploi de comptable.
Dans certains villages des territoires palestiniens, la kippa est un véritable commerce. À Deir Abou Machaal, trois intermédiaires vont acheter les matières premières à Jérusalem, les vendent aux femmes du village et écoulent les couvre-chefs sur le marché israélien. Khaled est l'un d'eux. Dans son salon couleur ocre, il explique que près de 300 femmes travaillent pour lui. Sur les quelque 4 000 habitants du village, 1 000 femmes fabriqueraient des kippas. « Je les achète entre 15 et 25 shekels (soit entre 4 et 7 dollars) et les revends 10 shekels de plus à mes clients », affirme-t-il tout en sirotant un café à la cardamone.
Samia (son nom a été changé) est l'une de ces femmes. Il y a cinq ans, elle a enseigné à sa fille comment crocheter des kippas. « J'ai commencé à 14 ans, explique la fille de Samia. Je devais aider ma famille. » Sa mère est atteinte d'un cancer du sein et doit aller régulièrement à l'hôpital. La famille ne possède aucune assurance-santé. Son père a perdu son emploi après la seconde intifada. Il travaillait dans le bâtiment pour les Israéliens, mais Samia assure qu'il n'a ni participé à la construction du mur ni à celle des colonies. Maintenant, il tient un petit commerce dans le village. Deux de leurs garçons ont été tués et le troisième vient de sortir de prison. « Je reçois 5 shekels par kippa, et seulement s'il y a beaucoup de couleurs. Sinon, c'est moins », précise Samia alors qu'elle en termine une.
Par jour, ces mères de famille et jeunes femmes confectionnent en moyenne deux à trois kippas. Une bouffée d'air pour ces familles dont le revenu moyen atteint péniblement les 1 500 shekels par mois (environ 400 dollars). Mais lorsque la question de l'acheteur est abordée, des regards s'échangent et le silence tombe. Les kippas crochetées sont généralement portées par les colons.
Une remarque qui fait hausser les épaules de Rania (son nom a été changé), l'air de dire « Il faut bien vivre. » Cela fait 30 ans que Rania tricote ces couvre-chefs d'une vingtaine de centimètres de diamètre. Elle fabrique toutes sortes de kippas, de toutes les couleurs. Et, selon elle, le commerce « n'a jamais été aussi bon ». « Pendant la seconde intifada, nous ne vendions plus rien. Maintenant, la demande est importante, mais il n'y a aucune concurrence. Les trois intermédiaires se sont mis d'accord et proposent le même prix », regrette-t-elle, assurant vendre ses kippas 10 shekels au maximum. « Et ensuite, ils les vendent 60 shekels aux Israéliens qui, eux, les mettent à 100
shekels sur le marché », assure-t-elle, même si, faute de permis, elle ne peut vérifier les étals à Jérusalem.
Le savoir-faire de la kippa se transmet de génération en génération. « Cela permet aux femmes d'être utiles et d'aider leur famille. Et puis, c'est également une monnaie d'échange », commente Jamil. Dans ce village aux immeubles gris souris et aux rues désertes, certains commerçants acceptent de troquer des légumes contre des kippas. Ils savent qu'ils pourront les revendre aisément aux intermédiaires en raison notamment de la multiplication de colons coiffés de ces couvre-chefs crochetés. Selon Khaled, même si un accord de paix est signé, il continuera à vendre des kippas. « C'est une valeur sûre », dit-il. 
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