Par Eva Bartlett
Abu Basel est un des plus anciens infirmiers de Gaza, où il exerce depuis plus de 20 ans. « Qui s’occupera des gens, sinon nous ? Quelqu’un doit faire ce travail. Sans infirmiers, qui prendra soin des blessés ? Chacun a quelque chose à apporter, » répond-il à la question : pourquoi faites-vous un métier aussi dangereux ? Un métier dangereux. Etre infirmier ne semble guère dangereux… partout ailleurs. Mais dans un endroit comme la Palestine, les infirmiers sont aux prises avec bien plus que soigner les blessés et transporter les morts. Ils doivent faire attention aux tirs des soldats israéliens, aux pilonnages qui viennent des Apaches, des F-16, des chars, de la mer…
Après avoir discuté de nombreuses fois avec Abu Basel (à droite sur la photo) pendant et après le massacre israélien de Gaza l’an dernier, je pensais que j’avais entendu l’essentiel de ses histoires d’horreur.
C’est un homme calme, lorsqu’il ne conduit pas l’ambulance, et il raconte toutes ses histoires, qu’elles soient joyeuses ou atroces, sur le même ton détendu.
A ma demande, il commence à raconter quelques-uns des nombreux dangers auxquels il a été exposé pendant les dernières attaques israéliennes, sans parler de la vingtaine d’années auparavant.
Il se souvient avoir été avec des infirmiers et 4 ambulances, à 2 mètres de la maison Al-Kurdi, dans la région de Jabaliya, lorsqu’’un F-16 l’a bombardée.
Je lui demande : « Comment se fait-il que tu sois encore en vie ? »
« C’est à la grâce de Dieu, » me répond-il.
Il se souvient d’une nuit à Beit Lahiya, lorsqu’il s’est précipité sur le lieu d’un bombardement de missile de drone.
« Il était 1h du matin. Nous avons trouvé le blessé et sorti le brancard. Un drone a largué un autre missile. Comme qu’il faisait nuit et qu’il y avait moins de bruit que pendant la journée, j’ai entendu le sssssss du missile et nous avons couru. Le missile est tombé à 1 mètre de l’ambulance, et à 1m50 du blessé. Nous sommes revenus en courant, nous avons agrippé le blessé et avons sauté dans l’ambulance. Deux minutes après, un F_16 bombardait la maison d’où nous avions sorti le blessé. »
Il raconte un autre incident à Sheyjayee où, d’une façon similaire, un drone a attaqué son ambulance, larguant un missile à quelques mètres du véhicule.
« On était parti récupérer 5 blessés mais on n’a pu en prendre que 4 avant la frappe du missile. Un voisin qui était venu nous aider à charger les blessés a été tué par le missile. Les vitres de l’ambulance ont explosé et mes collègues ont été blessés. »
Il se souvient alors de 2 incidents quand il dit que son ambulance était en coordination via le Comité international de la Croix Rouge (CICR) pour atteindre une zone que les soldats israéliens occupaient ou dont ils empêchaient l’accès aux ambulances.
« Nous sommes allés à Attatra avec 3 ambulances du Croissant Rouge et une jeep du CICR pour sortir les blessés. Lorsque nous sommes arrivés sur le secteur, les chars israéliens ont commencé à nous tirer dessus à coup de mitraillette. Un employé du CICR s’est mis à parler aux Israéliens par téléphone. « Vous nous tirez dessus, » a-t-il dit, et les Israéliens ont nié. Mais les chars ont continué à tirer et nous avons dû partir rapidement à cause du danger.
Une autre fois, nous sommes allés dans le quartier Esserah, à Beit Lahiya, une nouvelle fois en coordination, en passant par la route qui longe la mer. Arrivés près des lieux, nous avons dit, par haut-parleur : « Si il y a des blessés, des malades, des gens qui ont besoin d’aide ou qui doivent être évacués, nous sommes le CICR et le Croissant Rouge, nous sommes ici pour vous aider. »
Il y avait un gars, assis devant sa maison détruite. Il nous a dit que 13 membres de sa famille était dedans (des enfants, des vieux, des femmes). Nous avons commencé à les mettre dans nos ambulances. Lorsque les soldats israéliens nous ont vus les aider, ils ont commencé à nous tirer dessus depuis leurs chars. Nous nous sommes dépêchés, nous avons mis les 13 personnes dans les ambulances. Une d’entre elles avait deux pneus éclatés, mais nous n’avions pas le temps de transférer les gens ou d’attendre d’autres ambulances. Les 14 personnes étaient là depuis une semaine que leur maison avait été détruite. Sans nourriture pendant une semaine, juste de l’eau. »
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Iyad est infirmier depuis 16 ans et lui aussi a des souvenirs d’appels trop récents et d’expériences où il a frôlé la mort.
« Je travaillais au centre du Croissant Rouge près de l’hôpital Al-Quds, dans le quartier Tel el-Howa, à Gaza ville. Après que les Samounis aient été bombardés, je suis allé un après-midi chercher les martyrs. Un « zanana » [drone] et des chars tiraient des missiles sur notre route. 6 missiles, le plus proche à 8 mètres. Nous étions partis sans coordination, parce qu’il y avait tant de martyrs et que le secteur où nous allions était un peu éloigné des Israéliens, à environ 500m. Mais je les ai vus, et ils m’ont vu. Nous avons réussi à prendre un martyr et nous avons dû partir. »
Parce qu’il vit au centre de Gaza, Iyad fait partie des infirmiers qui a été complètement coupé de sa famille pendant le massacre.
« Pendant près d’une semaine, je n’ai eu aucune nouvelle de ma famille, la liaison téléphonique était si mauvaise que nous ne pouvions pas nous appeler. Je vis à Nusseirat, et la route était coupée par les Israéliens, je n’ai donc pu ni y aller, ni communiquer avec ma famille. »
« Il y a eu tellement d’incidents, » dit Abu Basel, « que je ne peux me souvenir de tous. »
Il dit ce que disent la plupart des infirmiers.
« Nous n’avions pas peur, en dépit du danger. Mais c’était dur. Nous ne dormions pas, nous ne mangions pas correctement – pas le temps de manger ou de dormir. La plupart d’entre nous n’avons pas vu nos familles pendant la guerre, juste une minute de temps à autre. »
Alors qu’on pourrait penser que la période la plus difficile fut la guerre israélienne contre Gaza elle-même, les infirmiers ont été tellement débordés qu’ils n’avaient pas le temps de penser aux horreurs qu’ils voyaient ou qu’ils vivaient.
« Le plus dur, ce fut après la guerre, » dit Abu Basel. « Pendant la guerre, je savais qu’il y avait la mort. Je voyais un corps, puis un autre corps. Je ne m’arrêtai pas à ce que je voyais, je pensais juste à ce que je devais faire ensuite. Mais après la guerre, j’ai commencé à faire des cauchemars horribles, tout me revenait à l’esprit. Pendant 2 mois, j’ai fait des cauchemars affreux, des avions de guerre, des cadavres, tout ce que j’avais vu pendant la guerre, je l’ai revécu en rêve. Et ça, c’était plus dur que la guerre. »
Je me souviens d’Abu Basel me racontant lorsqu’il a trouvé Shahed Abu Halima, le bébé tué par un missile au phosphore blanc, son cadavre laissé pendant des jours parce que les infirmiers et la famille ne pouvaient pas aller le chercher. Abu Basel fait partie des infirmiers qui ont découvert le massacre Abu Halima, les restes calcinés des membres de la famille tués dans le bombardement, et le cadavre de Shahed partiellement dévoré par les chiens.
« Je me souviendrai de cette journée toute ma vie. Jamais je ne l’oublierai, » avait-il dit.
Leur travail et leurs expériences leur font-ils peur ?
« Après 20 ans de tout ceci, le stress est normal. Mais pourtant, après cette dernière guerre, la pire jusqu’à aujourd’hui, nous étions extrêmement nerveux et agités. Certains d’entre nous ont développé un diabète. Beaucoup, après la guerre, étaient irritables, peu sociables, ils ne voulaient parler à personne… mais maintenant, ça va mieux.
Nombre d’infirmiers n’ont pas d’enfant. J’en connais un qui, après 7 ans de mariage, n’a toujours pas d’enfant. Beaucoup prennent des médicaments pour pouvoir avoir des enfants. C’est parce qu’ils sont stressés, ils voient des choses affreuses et ont des problèmes psychologiques. »
Après le massacre, un psychologue est venu au Croissant Rouge pour faire des ateliers avec les infirmiers, dit Abu Basel.
« Nous avons suivi des sessions pendant un mois et demi, deux jours par semaine. Il nous parlait, nous montrait des exercices de relaxation, nous a emmené à la mer… Il nous a donné la volonté et le dynamisme pour travailler et bien vivre. Le problème, ce n’est pas notre psychologie. Nous avons seulement besoin de faire une pause, d’aller ailleurs quelques temps en vacance et de voir autre chose. Aller en Europe, ou ailleurs, voir une vie différente et essayer d’oublier ce que nous avons vu. »
Pour Iyad, il n’y a pas de détente.
« Je dors, c’est tout. Il n’y a rien d’autre à faire. Lorsque je me mets sur Internet, je vois les informations. Je regarde la télé ou j’écoute la radio, et j’entends des informations. Je marche dans la rue, et tout ce que j’entends, c’est de la politique. Il n’y a pas d’échappatoire à ce stress, pas moyen de se détendre, juste dormir. »
' « Je travaillais au centre du Croissant Rouge près de l’hôpital Al-Quds, dans le quartier Tel el-Howa, à Gaza ville. Après que les Samounis aient été bombardés, je suis allé un après-midi chercher les martyrs. Un « zanana » [drone] et des chars tiraient des missiles sur notre route. 6 missiles, le plus proche à 8 mètres. Nous étions partis sans coordination, parce qu’il y avait tant de martyrs et que le secteur où nous allions était un peu éloigné des Israéliens, à environ 500m. Mais je les ai vus, et ils m’ont vu. Nous avons réussi à prendre un martyr et nous avons dû partir. »
Parce qu’il vit au centre de Gaza, Iyad fait partie des infirmiers qui a été complètement coupé de sa famille pendant le massacre.
« Pendant près d’une semaine, je n’ai eu aucune nouvelle de ma famille, la liaison téléphonique était si mauvaise que nous ne pouvions pas nous appeler. Je vis à Nusseirat, et la route était coupée par les Israéliens, je n’ai donc pu ni y aller, ni communiquer avec ma famille. »
« Il y a eu tellement d’incidents, » dit Abu Basel, « que je ne peux me souvenir de tous. »
Il dit ce que disent la plupart des infirmiers.
« Nous n’avions pas peur, en dépit du danger. Mais c’était dur. Nous ne dormions pas, nous ne mangions pas correctement – pas le temps de manger ou de dormir. La plupart d’entre nous n’avons pas vu nos familles pendant la guerre, juste une minute de temps à autre. »
Alors qu’on pourrait penser que la période la plus difficile fut la guerre israélienne contre Gaza elle-même, les infirmiers ont été tellement débordés qu’ils n’avaient pas le temps de penser aux horreurs qu’ils voyaient ou qu’ils vivaient.
« Le plus dur, ce fut après la guerre, » dit Abu Basel. « Pendant la guerre, je savais qu’il y avait la mort. Je voyais un corps, puis un autre corps. Je ne m’arrêtai pas à ce que je voyais, je pensais juste à ce que je devais faire ensuite. Mais après la guerre, j’ai commencé à faire des cauchemars horribles, tout me revenait à l’esprit. Pendant 2 mois, j’ai fait des cauchemars affreux, des avions de guerre, des cadavres, tout ce que j’avais vu pendant la guerre, je l’ai revécu en rêve. Et ça, c’était plus dur que la guerre. »
Je me souviens d’Abu Basel me racontant lorsqu’il a trouvé Shahed Abu Halima, le bébé tué par un missile au phosphore blanc, son cadavre laissé pendant des jours parce que les infirmiers et la famille ne pouvaient pas aller le chercher. Abu Basel fait partie des infirmiers qui ont découvert le massacre Abu Halima, les restes calcinés des membres de la famille tués dans le bombardement, et le cadavre de Shahed partiellement dévoré par les chiens.
« Je me souviendrai de cette journée toute ma vie. Jamais je ne l’oublierai, » avait-il dit.
Leur travail et leurs expériences leur font-ils peur ?
« Après 20 ans de tout ceci, le stress est normal. Mais pourtant, après cette dernière guerre, la pire jusqu’à aujourd’hui, nous étions extrêmement nerveux et agités. Certains d’entre nous ont développé un diabète. Beaucoup, après la guerre, étaient irritables, peu sociables, ils ne voulaient parler à personne… mais maintenant, ça va mieux.
Nombre d’infirmiers n’ont pas d’enfant. J’en connais un qui, après 7 ans de mariage, n’a toujours pas d’enfant. Beaucoup prennent des médicaments pour pouvoir avoir des enfants. C’est parce qu’ils sont stressés, ils voient des choses affreuses et ont des problèmes psychologiques. »
Après le massacre, un psychologue est venu au Croissant Rouge pour faire des ateliers avec les infirmiers, dit Abu Basel.
« Nous avons suivi des sessions pendant un mois et demi, deux jours par semaine. Il nous parlait, nous montrait des exercices de relaxation, nous a emmené à la mer… Il nous a donné la volonté et le dynamisme pour travailler et bien vivre. Le problème, ce n’est pas notre psychologie. Nous avons seulement besoin de faire une pause, d’aller ailleurs quelques temps en vacance et de voir autre chose. Aller en Europe, ou ailleurs, voir une vie différente et essayer d’oublier ce que nous avons vu. »
Pour Iyad, il n’y a pas de détente.
« Je dors, c’est tout. Il n’y a rien d’autre à faire. Lorsque je me mets sur Internet, je vois les informations. Je regarde la télé ou j’écoute la radio, et j’entends des informations. Je marche dans la rue, et tout ce que j’entends, c’est de la politique. Il n’y a pas d’échappatoire à ce stress, pas moyen de se détendre, juste dormir. »
Hola, la fille d’Ahmed Abu Foul, a 6 mois maintenant. Marié une semaine à peine avant le massacre israélien de Gaza, la lune de miel d’Ahmed fut 23 jours d’enfer, avec sa double situation d’infirmier du Croissant Rouge et à la Défense Civile, en plus de l’enfer d’être séparé de sa famille.
Bien qu’il n’ait que 27 ans, les histoires d’Ahmed sont trop nombreuses à raconter.
Il en revisite certaines, qui m’ont émerveillée à l’époque :
- La fois où il est allé chercher un martyr près d’un cimetière à Beit Lahiya. Les tirs des mitraillettes israéliennes le visent et Ahmed est piégé, couché sur la route, puis repartant vers l’ambulance en zigzaguant.
- Lorsqu’ils sont allés sur les lieux d’un bombardement à Sheikh Radwan, au nord de Gaza ville.
« Il y avait eu une frappe de drone sur une maison, et les habitants disaient qu’il y avait des blessés. Je les cherchais. J’étais près d’une maison de 5 étages, dans l’allée, lorsqu’un F-16 a touché la maison. Les gravats me sont tombés dessus. Je n’ai pas été grièvement blessé, mais j’ai eu horriblement peur et j’ai perdu l’audition pendant 4 ou 5 jours, » dit Ahmed en grimaçant.
Mais sa blessure la plus perturbante est celle qu’il a subie alors qu’il tentait d’évacuer un martyr d’un appartement de Jabaliya.
« Les Israéliens avaient tiré de nombreux missiles sur la tour Hamouda, un immeuble de 5 étages dans le district de Jabaliya. Lorsque nous y sommes arrivés, on nous a dit qu’il y avait un martyr au 5ème étage. Je suis entré le premier, les autres avaient peur. J’ai trouvé le corps et le docteur Issa Salah est venu m’aider. On descendait les escaliers avec le cadavre lorsque les Israéliens nous ont tiré dessus. Le souffle de l’explosion a décapité le docteur Issa. Sa tête a cogné ma nuque. J’ai cru que j’avais été touché par un éclat d’obus ou autre chose. J’ai maintenant un éclat dans la tête, mais c’est un éclat d’os, un os du docteur Issa. Et un autre à la jambe, de l’obus. »
Dans une société où tout un chacun souffre des attaques, invasions et guerres israéliennes continues, se laisser aller n’est pas facile, et aller chez le psychologue n’est pas la norme.
« Après la guerre, je suis devenu extrêmement, extrêmement nerveux. J’étais agité, très irritable. Quelquefois, si quelqu’un faisait du bruit ou m’ennuyait, j’avais envie de le frapper, », dit-il, le sourire large.
« Je ne me sentais jamais reposé. Lorsque je me réveillais, c’était comme si je n’avais pas dormi. Je continue à faire des cauchemars sur la guerre.
Je suis allé voir un médecin. Je la voyais tous les deux jours. Si je ne l’avais pas fait, il y a longtemps que je serais complètement détruit.
Nous parlions de ce que je ressentais. Je parlais, je parlais. Pas de médicament, juste parler. A la fin, elle m’a dit que j’allais bien.
Il y a des gens qui ont peur d’aller chez un thérapeute. D’autres disent qu’ils sont fous. Mais je sais que je n’étais pas fou, j’avais juste besoin de parler, de réparer mon état psychologique. »
Et comme les autres, Ahmed a besoin d’un répit, même pendant une semaine.
« Si seulement je pouvais quitter Gaza pendant une semaine, respirer un air différent, tous mes problèmes psychologiques et mon stress s’en iraient. Même si je n’allais qu’au Caire. »
http://www.ism-france.org/news/article.php?id=13711&type=temoignage
Bien qu’il n’ait que 27 ans, les histoires d’Ahmed sont trop nombreuses à raconter.
Il en revisite certaines, qui m’ont émerveillée à l’époque :
- La fois où il est allé chercher un martyr près d’un cimetière à Beit Lahiya. Les tirs des mitraillettes israéliennes le visent et Ahmed est piégé, couché sur la route, puis repartant vers l’ambulance en zigzaguant.
- Lorsqu’ils sont allés sur les lieux d’un bombardement à Sheikh Radwan, au nord de Gaza ville.
« Il y avait eu une frappe de drone sur une maison, et les habitants disaient qu’il y avait des blessés. Je les cherchais. J’étais près d’une maison de 5 étages, dans l’allée, lorsqu’un F-16 a touché la maison. Les gravats me sont tombés dessus. Je n’ai pas été grièvement blessé, mais j’ai eu horriblement peur et j’ai perdu l’audition pendant 4 ou 5 jours, » dit Ahmed en grimaçant.
Mais sa blessure la plus perturbante est celle qu’il a subie alors qu’il tentait d’évacuer un martyr d’un appartement de Jabaliya.
« Les Israéliens avaient tiré de nombreux missiles sur la tour Hamouda, un immeuble de 5 étages dans le district de Jabaliya. Lorsque nous y sommes arrivés, on nous a dit qu’il y avait un martyr au 5ème étage. Je suis entré le premier, les autres avaient peur. J’ai trouvé le corps et le docteur Issa Salah est venu m’aider. On descendait les escaliers avec le cadavre lorsque les Israéliens nous ont tiré dessus. Le souffle de l’explosion a décapité le docteur Issa. Sa tête a cogné ma nuque. J’ai cru que j’avais été touché par un éclat d’obus ou autre chose. J’ai maintenant un éclat dans la tête, mais c’est un éclat d’os, un os du docteur Issa. Et un autre à la jambe, de l’obus. »
Dans une société où tout un chacun souffre des attaques, invasions et guerres israéliennes continues, se laisser aller n’est pas facile, et aller chez le psychologue n’est pas la norme.
« Après la guerre, je suis devenu extrêmement, extrêmement nerveux. J’étais agité, très irritable. Quelquefois, si quelqu’un faisait du bruit ou m’ennuyait, j’avais envie de le frapper, », dit-il, le sourire large.
« Je ne me sentais jamais reposé. Lorsque je me réveillais, c’était comme si je n’avais pas dormi. Je continue à faire des cauchemars sur la guerre.
Je suis allé voir un médecin. Je la voyais tous les deux jours. Si je ne l’avais pas fait, il y a longtemps que je serais complètement détruit.
Nous parlions de ce que je ressentais. Je parlais, je parlais. Pas de médicament, juste parler. A la fin, elle m’a dit que j’allais bien.
Il y a des gens qui ont peur d’aller chez un thérapeute. D’autres disent qu’ils sont fous. Mais je sais que je n’étais pas fou, j’avais juste besoin de parler, de réparer mon état psychologique. »
Et comme les autres, Ahmed a besoin d’un répit, même pendant une semaine.
« Si seulement je pouvais quitter Gaza pendant une semaine, respirer un air différent, tous mes problèmes psychologiques et mon stress s’en iraient. Même si je n’allais qu’au Caire. »