Avigail Abarbanel - Kanan.48
Au fil des ans, j’ai reçu moult messages de chrétiens fondamentalistes pro-sionistes et j’ai toujours trouvé leurs idées abracadabrantesques. Cet article me permettra de mettre en ordre mes idées et mes sentiments, tout en leur répondant.
Au fil des ans, j’ai reçu moult messages de chrétiens fondamentalistes pro-sionistes et j’ai toujours trouvé leurs idées abracadabrantesques. Cet article me permettra de mettre en ordre mes idées et mes sentiments, tout en leur répondant. Récemment, j’ai écrit un article dans lequel je comparais Gaza au ghetto de Varsovie. Parmi les réponses que cet article a suscitées, il y avait, bien sûr, la collection habituelle des messages chrétiens fondamentalistes. Je ne commenterai pas leur croyance littéraliste au Livre des Révélations, ni leurs idées sur l’Armageddon et la fin des temps, qui nous pendraient au nez. Je laisse cela aux sociologues et aux psychologues sociaux, qui étudient les sectes religieuses et leur fascination par les scénarios apocalyptiques de fin du monde...
Mais je suis réellement dérangée par ces messages parce que plus que tout autre chose, ils montrent à quel point ces factions croissantes du monde fondamentaliste chrétien ont fait peu de progrès, depuis le Moyen Age. Je suis née dans une famille juive. Je suis née en Israël, où j’ai passé les vingt-sept premières années de ma vie. Je n’ai jamais souffert personnellement de l’antisémitisme, mais l’on m’en a parlé, et l’on m’a enseigné à quoi il avait pu aboutir, à savoir la tentative délibérée et systématique d’anéantir tous les juifs, partout. Depuis le Moyen Age, les juifs européens ont souffert toutes sortes de maux, allant de la discrimination et la ségrégation à l’expulsion, en passant par les pogromes. Et cette haine systématique a atteint un sommet historique, durant la Seconde guerre mondiale. Mes grands-parents maternels avaient survécu à la Shoah, et en dépit de tous leurs efforts pour reconstruire leur vie, après la guerre, je ne pense pas qu’ils ne se soient jamais remis véritablement des horreurs qu’ils avaient traversées.
La haine et la peur qu’avaient les Européens des juifs, une haine débattue, prêchée, étudiée, compilée et promue durant des générations, atteignit finalement un crescendo durant les années 1930 et 1940. Vous ne pouvez pas bâtir un bûcher et l’attiser ainsi sans qu’il ne finisse par tout consumer. Après avoir été nourris d’un tel régime d’antisémitisme depuis si longtemps, les nazis en conclurent que le monde irait bien mieux sans juifs. Ils étaient persuadés que les juifs étaient à ce point misérables, tellement inférieurs, tellement différents d’eux qu’ils se sont chargés de « nettoyer » le monde des juifs, de les exterminer de la manière dont on le fait d’une vermine. Ils étaient persuadés que le monde serait plus en paix et plus sûr sans juifs. Je sais que l’idéologie nazie rejetait le christianisme, mais l’antisémitisme était une création chrétienne, et c’étaient des siècles d’antisémitisme chrétiens qui avaient conduit, en fin de compte, à ce résultat hideux.
Aujourd’hui, je reçois des messages de personnes qui se considèrent chrétiennes, et qui me disent que lorsque je critique Israël, je ne sais pas ce dont je parle. Ils affirment que les musulmans et les Arabes sont tous des gens vraiment mauvais et que j’aurais bien mieux à faire que critiquer la manière dont Israël maltraite les Palestiniens. Ils disent qu’Israël est tout bon, tout noble, tout démocratique et même sacré, comparé aux méchants pays musulmans et arabes qui l’entourent. Ces généralisations sont confondantes. Des cultures qui sont extrêmement différentes entre elles sont mises dans le même paquet : le nouveau groupe des « mauvais » que tellement de gens diabolisent aujourd’hui, le nouveau groupe des gens qui n’ont pas l’heur de nous ressembler.
Cette sorte de généralisation indiscriminée et ignorante est une des marques de fabrique du racisme authentique. Je suis d’accord pour dire que tout pays qui ne protège pas les droits humains de ses propres citoyens doit être critiqué. Mais ce que l’on ne cesse de me dire, c’est qu’Israël ne doit pas être critiqué, parce que les pays arabes sont infiniment pires. Je réponds, à cela, au moyen d’une analogie : « Supposons que votre enfant ait fait quelque chose de pas bien, et qu’après que vous l’ayez houspillé, il vous rétorque que ce qu’il a fait n’était pas si grave, après tout, parce que son copain a fait pire : vous lui lâcheriez les baskets, sans rien dire ? Vous laisseriez votre gamin échapper à une punition bien méritée uniquement parce que son copain a fait pire ?
Cet argument est tellement absurde que je pense qu’il s’agit, de fait, d’une manière de couvrir le racisme. La question n’est pas que des pays arabes soient pires qu’Israël. Il n’y a aucun pays innocent, dans le monde, et si nous voulions réellement critiquer les pays violant les droits de l’homme, la liste serait passablement longue. Il faudrait y inclure les pays occidentaux qui violent de manière routinière les droits humains de gens et de groupes, y compris au-delà de leurs frontières.
Mais ce que ces gens qui m’écrivent veulent vraiment dire, de fait, c’est que les pays musulmans et les pays musulmans et arabes sont, d’une certaine manière, moins civilisés que les peuples et que les sociétés de l’Occident. Ils me disent que je devrais me tenir épaule conter épaule avec eux et soutenir leur haine des musulmans, des Palestiniens et des Arabes, de manière générale. Souvent, ils m’accusent de mentir, au sujet de mes origines juives. Certains de ceux qui m’écrivent ne peuvent concevoir l’idée que je puisse être née dans une famille juive et soutenir les Palestiniens. Ils me traitent même de Palestinienne (pour eux, c’est une injure...) Soit ils pensent sérieusement que je devrais en être offensée, soit ils pensent que je suis Palestinienne, en réalité, et que je ne fais que prétendre être qui je suis.
J’imagine que ces étranges fanatiques religieux pensent qu’Israël rend un service insigne au monde en le débarrassant de gens appartenant au groupe qu’il est aujourd’hui tellement à la mode et de plus en plus légitime de haïr. Cela ne vous rappelle rien ? Je trouve incroyable que les mêmes personnes qui, il n’y a pas si longtemps, prêchaient une telle haine venimeuse des juifs, tournent aujourd’hui cette même haine, ce même venin, contre d’autres personnes et peu importe, à mes yeux, de qui il peut bien s’agir. Ces fondamentalistes religieux sont en train de promouvoir la haine d’un groupe de personnes dont ils sont persuadés qu’elles sont moins humaines, ou moins précieuses, moins civilisées qu’eux-mêmes.
N’ont-ils rien retenu de ce à quoi la haine et le racisme contre un groupe humain peuvent conduire ? Un christianisme capable de penser comme eux ne diffèrent en rien du christianisme qui, il n’y a pas si longtemps, accusait les juifs d’avoir assassiné des bébés chrétiens afin d’en boire le sang ; d’un christianisme qui torturait et brûlait les gens sur des bûchers, qui, de manière routinière, massacrait ceux qu’il n’aimait pas. Leur christianisme est un faux christianisme qui, exactement comme ses faux prédécesseurs, a tout oublié du « Aime ton prochain » C’est un christianisme sans compassion et sans capacité à réfléchir à ses propres croyances ou à en voir les prolongations logiques. Que veulent-ils, en réalité ? Veulent-ils vraiment que les musulmans soient exterminés ? Si tel est le cas, ils ont vraiment besoin de réfléchir à ce qu’ils sont en train de promouvoir et à ce à quoi cela pourrait conduire.
C’est une version du christianisme qui est fondée sur la peur et sur la haine, et non pas sur l’amour et sur l’inclusion. Ce christianisme-là n’apporte rien à la paix du monde et à ce dont l’humanité a le plus besoin, la camaraderie, le respect et la coopération, toutes ces qualités dont je suis persuadée que Jésus les prônait. Le ton de certains des courriers que je reçois me fait redouter qu’ils ne soient frappés en retour par la haine et la peur qu’ils expriment. Ils ont l’air d’aimer ça.
Je sais que beaucoup de juifs, en Israël, trouvent très amusant et un peu stupéfiant que, tout soudain, ils soient devenus la coqueluche de certaines branches du fondamentalisme chrétien, alors qu’hier encore, ils étaient les « déicides »... Les juifs israéliens ne comprennent pas vraiment pourquoi ils sont ainsi soudainement aimés, mais ils comptent les bénédictions qu’ils reçoivent, pour le moment, et ils en profitent pour pousser un soupir de soulagement.
Voici qu’enfin, ils ont des alliés qui les soutiennent dans leur occupation et dans leur destruction à bas bruit du peuple palestinien. Et c’est génial, parce qu’ils peuvent mettre en scène leur colonisation et leur occupation de la Palestine à la lumière d’un combat entre « le bien et le mal », entre « l’Occident civilisé » (dont ils sont persuadés faire partie) et les « musulmans rétrogrades ». C’est ainsi qu’ils parviennent à occulter la vraie réalité du conflit avec les Palestiniens, qui n’a rien à voir avec un affrontement entre le judaïsme et l’Islam, et tout à voir, en revanche, avec la colonisation et l’épuration ethnique (j’ai une précision presque amusante à apporter ici, qui est que l’identité juive est tellement basée sur la peur de l’antisémitisme que lorsque des chrétiens se mettent du jour au lendemain à aimer les juifs, cela ne manque pas de poser problème à l’Etat juif...).
On a appelé cela anti-islamisme, anti-arabisme, mais peu m’importe la manière dont les gens choisiront de nommer ce phénomène. C’est exactement la même haine que celle qui était dirigée contre les juifs. Elle a les mêmes symptômes. C’est le racisme, fondé sur l’opposition entre « eux » et « nous », avec sa diabolisation et son venin, et ce racisme risque de conduire à un génocide.
Je suis très heureuse de savoir que de très nombreux juifs, dans le monde et en Israël, sont en train de prendre une position de plus en plus affirmée contre ce phénomène et n’ont pas peur de critiquer Israël. Ils considèrent qu’il est de leur devoir de s’insurger non pas en dépit, mais bien à cause de ce que le peuple juif a subi.
Je souhaiterais simplement que toute personne qui se considère juif (ou juive) puisse trouver en elle-même le courage de faire ce qu’il convient de faire. Tous les juifs doivent protester, tous ensemble, quand un nouveau groupe de victimes est en train d’être créé sous nos yeux et quand la haine et le racisme sont, à nouveau, prêchés et promus.
Soupirer de soulagement en disant : « Merci, mon Dieu, cette fois-ci, ça n’est pas pour nous » set immoral et irresponsable. Prendre le parti des fondamentalistes chrétiens fomentateurs de haine - même si c’est « bon pour Israël » - c’est choisir le mauvais camp.
« Plus jamais ça ! », ça ne veut pas dire « plus jamais ça ! » pour nous, les juifs ; cela doit vouloir dire : « Plus jamais ça ! Point barre ».
Psychothérapeute, Avigaïl Abarbanel est la présidente de l’association Deir Yassin Remembered de Canberra (capitale politique de l’Australie), où elle vit avec son mari, Ian Barnes et « deux chats très mal élevés ». Son site : http://www.avigailabarbanel.me.uk/
http://kanan48.wordpress.com/2010/0... Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier