Pierre Haski
C’est une initiative sans précédent : seize ex-ambassadeurs et diplomates de haut rang ont signé une lettre ouverte à Nicolas Sarkozy pour l’inciter à prendre une initiative afin de débloquer l’impasse des relations israélo-palestiniennes.
L’initiative qu’ils appellent de leurs vœux serait plus ambitieuse que la reprise de négociations indirectes à laquelle travaillent actuellement les Américains, et pourrait déboucher sur la proclamation d’un Etat palestinien en 2011.
Prenant acte du blocage actuel et du risque permanent de violence dans cette région, ils estiment que l’heure est à une initiative « contraignante » :
« Le recours à une résolution contraignante du Conseil de sécurité de l’ONU paraît nécessaire. Cette résolution tracerait le cadre et les objectifs de l’ultime négociation à mener entre les parties sous le contrôle d’une conférence internationale qui veillerait à la mise en œuvre dans des délais déterminés de l’accord à intervenir et des garanties nécessaires. »
On est loin du projet américain visant à permettre la reprise de négociations indirectes entre Israël et l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, en laissant de côté les sujets qui fâchent… Envoyer des casques bleus
Dans leur texte, initialement publié par LeMonde.fr, les diplomates, dont certains ont occupé des postes importants liés au dossier proche-oriental, mettent en avant une autre mesure susceptible de réduire les tensions dans la région :
« Il est en particulier urgent de mettre un terme à l’enfermement dans la bande de Gaza d’une population d’un million et demi de personnes en violation du droit humanitaire international, situation à laquelle il serait possible de remédier par l’envoi de casques bleus aux accès à ce territoire. »
Les diplomates soulignent que la France est idéalement placée pour prendre une telle initiative, en s’appuyant sur la position des 27 pays de l’Union européenne, réaffirmée en décembre 2009, en faveur d’un Etat palestinien indépendant ayant Jérusalem-Est pour capitale, et sur la déclaration de Nicolas Sarkozy à la Knesset, le parlement israélien, en juin 2008, affirmant que « Jérusalem a vocation à devenir la capitale de deux Etats ».
Ce que les diplomates ne disent pas, c’est ce qui vient de se passer lorsque le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, s’est dit « tenté » par l’idée de :
« la proclamation rapide d’un Etat palestinien, et sa reconnaissance immédiate par la communauté internationale, avant même la négociation sur les frontières ».
Il s’est aussitôt attiré une violente riposte d’Israël, et un « recadrage » plus prudent de l’Elysée qui n’avait visiblement pas été consulté avant la sortie du ministre. Un diplomate qualifie en privé la sortie de Kouchner de « maladroite et précipitée », et donc vouée à l’échec. Proclamer un Etat palestinien unilatéral
Pourtant, cette idée de proclamation d’un Etat souverain unilatéral reconnu par la Communauté internationale fait son chemin, et, selon l’un des signataires de la lettre, pourrait être une des issues possibles de l’initiative souhaitée par les auteurs de la lettre ouverte.
Elle pourrait être envisagée en 2011, après avoir laissé sa chance à la négociation, et un tel Etat pourrait être reconnu par l’immense majorité des Etats de la planète.
Dans une tribune séparée publiée la semaine dernière par Le Monde, l’un des signataires, Yves Aubin de la Messuzière, ancien directeur du Moyen Orient au Quai d’Orsay, va ouvertement dans cette direction :
« La proclamation unilatérale de l’Etat palestinien à l’échéance de 2011, qui participerait d’une révolution conceptuelle, permettra de déclencher une nouvelle dynamique, un réel processus se séparant de la méthode d’Oslo par l’inversion de la perspective, les négociations devant suivre la création de l’Etat palestinien.
La dissidence de Gaza ne devrait pas être un obstacle, l’histoire du mouvement palestinien étant faite davantage de conciliations que de ruptures. »
On en est loin, et la tentative de relance des négociations par l’administration Obama parait bien timide par rapport aux proclamations initiales du président américain. Et rien n’indique, à ce stade, que Nicolas Sarkozy ait l’audace, et la cohérence diplomatique, nécessaires pour faire le saut conceptuel que lui recommandent « ses » anciens diplomates.
publié par Rue89