Par Eva Bartlett
Nidal est accroupi devant la porte d’entrée, nous regarde et nous sourit, les yeux brillants, tandis que nous passons. Les yeux brillants, un grand sourire, et c’est tout. Rien ne me frappe comme étant vraiment inhabituel dans ce gamin de dix ans qui ne se lève pas pour nous saluer, comme le font la plupart des enfants. Peut-être est-il préoccupé par ses pensées, un jouet qu’il ne trouve pas. Peut-être est-il fatigué. Ce n’est qu'une demi-heure plus tard, alors que nous revenons de la maison bombardée, que je remarque qu’il est toujours accroupi, dans la même position recroquevillée, toujours calme.
Il nous voit et à nouveau, nous lance un grand sourire. Irrésistible.
« Il ne parle pas, » dit son grand-père, Saleh Abu Leila. « Et il ne marche pas normalement. En fait, son esprit est absent, » dit-il, résumant l’état de Nidal depuis la guerre sur Gaza.
Abu Nidal continue. « J’ai cinq gamins. Dieu merci seul Nidal a été affecté. »
Il fait référence aux jours des bombardements israéliens les plus lourds dans leur région : Attatra, au nord ouest de Gaza, l’une des régions les plus durement touchées de la Bande.
Beaucoup des plus grandes tragédies qui se sont déroulées pendant les 23 jours des massacres israéliens à Gaza eurent lieu à Attatra, où les ambulances ont été empêchées d’atteindre les blessés, visées par les tirs israéliens (et plusieurs secouristes ont été blessés ou tués) et où la pluie de phosphore blanc a brulé, tué et choqué des enfants, des femmes, des hommes, des vieux.
La maison d’Abu Nidal fait partie de celles qui ont été touchées.
L’étage supérieur, où vivait la famille Abu Leila, a été ravagé par le phosphore blanc et déstabilisé par les bombardements. Les snipers israéliens ont troué tous les murs, la pluie coule par les fissures du plafond, rendant la maison inhabitable. Depuis la guerre israélienne sur Gaza, les Abu Saleh vivent dans des tentes leur deuxième hiver sur le sable.
« Quand les Israéliens ont bombardé notre maison, il y avait aussi d’importants tirs d’obus de char dans le secteur, des chars israéliens partout. Tellement de bruit, de danger. Nidal n’a pas pu le supporter. »
Avant la guerre d’Israël, Nidal était un jeune garçon normal, courant, aussi espiègle que les autres. On le voit dans son sourire.
Aujourd’hui, il marche d’un pas chancelant, s’affaisse quand il est assis, et ne semble se concentrer que lorsque son père l’y encourage.
« Nous l’avons emmené voir les médecins à Gaza, mais ils disent qu’ils ne peuvent pas le soigner ici. Il a besoin d’aide à l’extérieur, » dit Abu Nidal. « Pouvez-vous faire quelque chose ? »
Combien de parents posent-ils cette question ? La mère de Yasmin est de ceux-là. Après qu’elle ait vu sa sœur tuée par un tir, l’esprit de Yasmin s’est brisé. Elle reçoit quelque thérapie de temps en temps, mais sa santé mentale est tragiquement altérée.
L’article « La grande majorité des enfants de Gaza souffrent de syndrome post-traumatique » dit :
« L’étude la plus récente, « Traumatisme, deuil et syndrome post-traumatique des enfants palestiniens victimes de la guerre contre Gaza », diffusé par le Programme de Santé Mentale Communautaire de Gaza, révèle qu’en conséquence de l’attaque de cet hiver à Gaza, le chiffre incroyable de 91.4% des enfants de Gaza montrent des symptômes de SPT allant de modérés à très graves. Seul 1% des enfants ne montrent aucun signe de SPT. »
« J’étais agriculteur, je cultivais des fraises, » dit Abu Nidal. « Mais maintenant, je n’ai plus de travail. »
L’exportation des fraises a cessé depuis que le siège israélien sur Gaza s’est intensifié en juin 2007. Bien que le fruit soit succulent et abondant à Gaza, sans marché extérieur il est vendu pour une somme si dérisoire que cela ne vaut pas la peine de le cultiver.
La maison – une des 20.000 qui ont été complètement ou partiellement détruites pendant le massacre – est proche d’une des 36 écoles des Nations-Unies endommagées, celle-ci à moitié démolie par le missile israélien qui a traversé le toit.
Aisha Ghronaim, une voisine âgée, se traîne et explique que ses jambes sont pratiquement inertes. Elle est vieille et les années ont laissé leurs traces. Mais c’est à cause de ses pauvres jambes qu’elle a failli périr dans les attaques israéliennes, quand son appartement d’une pièce a été bombardé. « Nous étions neuf dans cette pièce. J’ai dû me traîner dehors. Quand les soldats israéliens nous ont vus, ils m’ont emmenée, moi et un de mes petits-fils, il a 11 ans. »
Ghronaim raconte que les soldats israéliens l’ont détenue pendant trois jours, avec beaucoup d’autres de la région, leur reprochant de ne pas avoir quitté leurs maisons lorsque les avions de guerre israéliens ont largué des tracts disant aux résidents de partir. « Où aurais-je pu aller ? » est le sentiment exprimé le plus souvent.
Pendant le massacre, au nord de Gaza et dans certains quartiers de Gaza-ville, j’ai vu des files de nouveaux réfugiés arrivant de l’ouest, d’autres venant de l’est, du nord, du sud… tous tentant d’échapper aux très réels dangers des bombardements israéliens, des tirs des chars, des bombardements des Apaches…
« Ils ne nous ont donné ni à manger ni à boire pendant ces trois jours, » se souvient Ghronaim.
C’est un témoignage repris dans toute la Bande de Gaza, les mêmes détentions et refus de nourriture, de soins médicaux et des besoins de base pendant l’invasion israélienne, en dépit des obligations d’Israël selon le droit international.
Nous quittons la zone, Nidal nous regarde et nous sourit de son sourire merveilleusement inconscient, Abu et Umm Nidal implorent, de leurs yeux et de leurs bouches, un peu d’aide.
Voir les photos qui illustrent cet article sur le blog d’Eva Bartlett, In Gaza.
http://www.ism-france.org/news/article.php?id=13238&type=temoignage&lesujet=Enfants