publié le vendredi 8 janvier 2010
Esther Benbassa
Opinion : "Un an a passé depuis l’offensive israélienne contre Gaza. Celle-ci exhibe pourtant les cicatrices toujours ouvertes des attaques israéliennes. Le mur érigé pour protéger les Israéliens des attentats les assiège eux-mêmes. Des deux côtés, l’espoir n’est pas à l’ordre du jour. Quant aux puissances internationales, elles ne font pas suffisamment acte d’autorité pour contraindre les parties en présence à un pas décisif."
Des murs partout
L’Europe, hantée par le poids du génocide des Juifs, manque à la fois du crédit et de la volonté nécessaires. Submergé par les dossiers de politique interne, préoccupé par son prochain mandat, soucieux de ménager ses lobbies -y compris les organisations juives qui pèsent de tout leur poids pour assurer un soutien indéfectible à Israël, surtout quand on sait que les Juifs américains votent massivement démocrate- Barack Obama paraît pieds et mains liés.
De nouvelles forces juives américaines comme J Street s’agitent bien pour tenter d’infléchir cet appui inconditionnel dans une direction positive, en appelant à la résolution du conflit par des voies diplomatiques sous la gouvernance des États-Unis et à la création d’un État palestinien. Elles sont encore loin d’être majoritaires.
La collectivité juive française, la plus importante d’Europe, ne semble en tout cas pas prête à imiter son homologue d’outre-Atlantique. Certes, elle n’est pas faite d’un seul bloc, mais il faut reconnaître qu’elle donne l’impression d’agir sur ce dossier comme un seul homme.
Ses institutions « représentatives » suivent les directives israéliennes au mot près, et l’on pourrait même dire qu’elles font du zèle. Non seulement nombre de ses dirigeants surfent depuis quelques années sur la vague d’islamophobie qui traverse la France, mais ils s’efforcent de culpabiliser et de paralyser les médias et les politiciens français en mettant en avant la montée de l’antisémitisme.
Ils l’attribuent aux milieux arabo-musulmans, pour occulter l’insoutenable politique israélienne à l’endroit des Palestiniens, contribuant à créer ainsi la confusion entre musulmans et Palestiniens, et accréditant la dérive d’une certaine extrême-gauche et de certains de nos concitoyens, amalgamant quant à eux sans nuances Israéliens et Juifs.
L’antisémitisme actuel, conséquence de la politique israélienne ?
À la faveur de la seconde intifada, le thème d’un regain d’antisémitisme s’était déjà invité dans l’arène politique française, se combinant à celui, sacro-saint, de la sécurité. Beaucoup en avaient joué, notamment une droite cherchant à assurer en 2002 la réélection de Jacques Chirac.
Le gouvernement israélien, alors sous la férule d’Ariel Sharon, taraudé par ses inquiétudes démographiques et soucieux de contrer la forte natalité des Palestiniens, en avait quant à lui profité pour tenter -sans grand succès- de créer un mouvement d’émigration juive de France vers Israël.
Tout récemment, juste à la veille du premier anniversaire de la catastrophe de Gaza, on a une fois de plus assisté à un sursaut de panique. Comme pour prendre les devants face aux retombées éventuelles d’un tel anniversaire après les fêtes de fin d’année, on a brandi d’inquiétantes statistiques.
Le ministre de l’Intérieur -le même qui avait suscité la polémique en déclarant, en septembre 2009 : « Quand il y en a un [un Arabe], ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes »- s’est vu décerner, le 13 décembre de la même année, un Prix de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme par l’Union des patrons juifs de France, dont le site web se distingue par une rhétorique antimusulmane du plus mauvais goût.
Certes, les 704 faits antisémites recensés sur les neuf premiers mois de l’année 2009, plus du double de ceux enregistrés à la même période l’année précédente, révèlent une progression notable. Mais le ministre lui-même l’a imputée en partie à la situation internationale et à l’exacerbation du conflit israélo-palestinien.
Nul doute que cette montée d’antisémitisme, aussi blâmable soit-elle, est directement liée à la politique israélienne. Ironie de l’histoire, ceux qui avaient fondé le mouvement sioniste l’avaient fait pour mettre les Juifs d’Europe à l’abri de l’antisémitisme en créant pour eux un foyer national.
Le débat sur l’identité nationale, un danger pour tous les minoritaires, Juifs compris
Les Juifs français ne pourront plus s’abriter derrière leurs souffrances passées ou présentes et s’engager tête baissée dans les campagnes menées contre les musulmans en France. Non seulement cette stratégie n’aide en rien Israël, mais elle renforce l’hostilité chez ceux qui combinent, à tort et à des degrés divers, le soutien à la cause palestinienne, la critique d’Israël et l’antisémitisme historique.
Si, aujourd’hui, nombre de politiciens en France et en Europe désignent les musulmans comme boucs émissaires, n’oublions pas qu’hier ce sont les Juifs que l’on désignait comme tels. Le débat sur l’identité nationale n’est pas nouveau non plus. Les Juifs, qui en portent les stigmates, devraient s’en souvenir et se dire qu’ils risquent, eux aussi, de ne pas en sortir indemnes.
À la diaspora juive -dont la propre paix dans les pays où elle vit dépendra largement d’une résolution du conflit israélo-palestinien- de rappeler à Israël ce que le monde attend de lui. Vœu pieux en ce début de nouvelle année civile ?
Historienne, dir. d’études à l’EPHE
Publié sur Rue89
http://www.rue89.com/passage-benbas...