UNRWA . Karen Konning Abuzayd, commissaire générale de l’Office de secours et de travaux des Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens, fait le bilan de l’action de cette agence et évoque les obstacles dressés par l’occupation israélienne à son action dans les territoires palestiniens.
Al-ahram hebdo : L’Unrwa célèbre cette année son 60e anniversaire. Quel bilan faites-vous de l’action de l’agence onusienne ?
Karen Konning AbuZayd : La naissance de l’Unrwa est intervenue à un moment défini de l’histoire palestinienne contemporaine, celui de la nakba. Et il aurait été très difficile de trouver une autre institution qui s’identifie autant avec la pensée collective palestinienne. Nous sommes comme deux frères siamois. Nous nous sommes mis aux côtés des Palestiniens au cours des dernières soixante années de dépossession et de privation de leur Etat. Cela nous distingue de tous les acteurs humanitaires et représente notre grande force. Non seulement nous partageons un parcours et une histoire avec les réfugiés, mais également nous employons environ 30 000 d’entre eux. Ce qui fait que notre travail est fortement établi et que nous représentons également une partie des communautés que nous nous sommes engagés à servir.
Je n’aimerais pas, cependant, suggérer que nous soyons associés uniquement aux côtés sombres et à la souffrance de l’expérience palestinienne. J’aimerais que l’on regarde aussi, par exemple, des expériences, telles que celles vécues par les enfants de Gaza, il y a quelques semaines, lorsqu’ils ont battu le record du nombre de cerfs-volants ayant été lancés simultanément dans l’air. Le symbolisme et la beauté de ce fait m’ont profondément touchée. Et je considère que le symbolisme de cet acte exprime de manière beaucoup plus éloquente le travail de développement humain que n’importe quel rapport des Nations-Unies ou chiffre que nous puissions présenter.
— Comment décrivez-vous les conditions de vie et la situation humanitaire dans la bande de Gaza, surtout après la guerre israélienne contre ce territoire en janvier dernier ?
— Le blocus imposé à Gaza est entré dans sa troisième année et nous ne devons pas oublier que celui-ci est l’arrière-plan de la situation que nous avons en ce moment. Et si nous observons plus soigneusement la situation, nous constatons que c’est la première fois de l’histoire humaine qu’un peuple vivant sous l’occupation est soumis à un blocus qui est le plus rigoureux de l’histoire même des relations commerciales.
Les conditions de vie à Gaza sont totalement inacceptables. J’ai vu comment l’impact du blocus a affecté tous les aspects de l’existence humaine sur le terrain. J’ai été témoin du bouleversement des vies privées, observé la vie publique et l’infrastructure s’éroder lentement. Ces choses sont faciles à détruire mais très difficiles à reconstruire, raison pour laquelle il est difficile de penser à l’avenir avec optimisme. Près de 60 000 foyers ont été endommagés ou détruits au cours des combats à Gaza et bien que nos donateurs nous aient promis et généreusement répondu à nos appels pour la reconstruction de Gaza, sans la levée du blocus pour que le matériel de construction puisse entrer, les personnes resteront confinées dans une vie de destitution abjecte. Et comme je l’ai dit à plusieurs reprises, c’est toujours dans la détresse et le désespoir que l’extrémisme s’empare facilement des esprits.
— Comment l’Unrwa travaille-t-elle sur le terrain ?
— Notre expérience montre que là où nous ne sommes pas confrontés à des obstacles, tels que celui du blocus ou les cruautés de l’occupation, il nous est possible de faire du bon travail. Notre action en Jordanie et en Syrie donne une preuve de cela.
Et je pense que souvent on oublie que nous avons des programmes d’éducation, de santé, de secours et de services sociaux dans tout le Moyen-Orient. Pendant mon mandat en tant que commissaire général, nos programmes ont augmenté. Mais comme je tiens toujours à souligner, notre réelle contribution se fait à travers le capital humain, car notre travail consiste à se concentrer sur le développement humain et non à mener des actions d’urgence.
— Quels sont les principaux obstacles, au travail quotidien de l’agence, créés par l’occupation israélienne ?
— J’ai déjà parlé de ceux produits par le blocus de Gaza, mais aussi en Cisjordanie, bien qu’on puisse soutenir que cette partie des territoires occupés soit plus stable, l’occupation y est tout autant destructive de la normalité de la vie. Avec la présence des centaines d’obstacles physiques, beaucoup d’entre eux sont associés à l’existence et la protection des colonies illégales, la vie normale des Palestiniens est rendue entièrement impossible. En plus de cela, la barrière de séparation, ce qu’on appelle, le mur, sépare les fermiers de leurs terres, les communautés de leurs sources d’eau, divisent les familles et nombreux sont ceux qui sont empêchés de voir leurs êtres chers à Jérusalem à cause de cette barrière. Tous cela sans mentionner l’impossibilité pour beaucoup d’accéder aux lieux saints.
L’Unrwa est elle aussi réduite par ce régime de fermeture. Des centaines de membres travaillant pour l’agence ont quotidiennement de sérieuses difficultés pour traverser les barrières afin d’accéder à leur travail. Nos enfants ne peuvent pas souvent aller à l’école et nous faisons face à des problèmes, en particulier dans celle qui sépare la barrière de la ligne verte. A cet endroit, les gens sont terriblement isolés, aussi bien de leurs communautés que de l’accès aux services que nous assurons.
— L’Unrwa fait actuellement face à des problèmes financiers avec la réduction par de nombreux pays de leurs contributions. Comment traitez-vous cette question ?
— Nous avons en effet une crise de liquidité, mais nous avons une stratégie pour essayer d’affronter ce problème, bien qu’au bout du compte, cette stratégie puisse seulement fonctionner si les donateurs tiennent leurs promesses.
Premièrement, il faut dire qu’au cours des trois dernières années, nous avons été engagés dans une profonde réforme de l’agence que nous appelons développement organisationnel. Cela a fait que nous dirigions nos réponses aux nécessiteux d’une manière plus concentrée et cela a simplifié et rendu plus efficace l’approche de l’octroi de l’aide.
En deuxième lieu, nous envisageons l’idée de partenariat d’une manière systématique. Il est devenu clair, pour moi, en tant que commissaire générale, que nos donateurs traditionnels sont arrivés à un point de saturation ; pour cette raison, nous devons chercher de nouveaux partenaires et de nouvelles manières d’aborder la question des fonds. Alors nous sommes en train d’envisager l’idée de partenariat avec le secteur privé et élargir notre définition de contributions, pour que celles-ci puissent inclure des donations en espèces, mais aussi en tant que services.
Ceci dit, notre situation économique est de plus en plus délicate, avec les demandes croissantes des besoins des réfugiés, qui ne sont pas accompagnées par une augmentation des contributions des donateurs. Et des coupes encore plus importantes seront inévitables à moins que les donateurs nous viennent en aide.
— De nombreuses voix se lèvent constamment en Israël pour accuser l’Unrwa d’être responsable de la pérennisation du problème des réfugiés palestiniens. Qu’en dites-vous ?
— Je me sens blasée et j’ai une sensation de déjà-vu lorsque j’entends ce genre de commentaires et ressens qu’ils deviennent de plus en plus irrationnels à chaque répétition. Est-ce que ces gens pensent vraiment que les réfugiés palestiniens disparaîtraient par magie au cas où l’Unrwa cesserait d’exister et que le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) assumait cette responsabilité ? Si nous disparaissions, les réfugiés auraient à choisir entre les trois options disponibles à l’ensemble des réfugiés du monde : s’installer là où ils se trouvent, aller à un pays tiers ou rentrer dans leur pays d’origine. Le problème des Palestiniens c’est qu’ils n’ont pas un Etat où retourner ou aller.
En réalité ce qui fait que le problème des réfugiés palestiniens continue d’exister c’est l’absence d’un règlement politique. Et je répète constamment aux négociateurs de paix qu’il ne faut pas mettre la question des réfugiés dans le tiroir et la classer comme une question intraitable du statut final. Cette question doit être centrale dans les efforts de paix.
— Vous vous approchez de la fin de votre mandat, après dix ans passés à la tête de l’Unrwa. Quelle leçon tirez-vous de votre action ?
— Au moment où je m’approche de mes derniers mois à la tête de cette agence, je me sens profondément gratifiée par la reconnaissance que l’Unrwa est en train de recevoir. Et cela spécialement au moment où l’agence commémore son 60e anniversaire. Dans quelques semaines, l’Assemblée générale des Nations-Unies accueillera une session spéciale de haut niveau pour rendre hommage au travail de l’Unrwa au cours des soixante dernières années. Plus de 100 gouvernements nous ont indiqué qu’ils profiteraient de cette occasion pour exprimer solennellement leur appréciation pour notre contribution et pour le fait que l’Unrwa est devenue un acteur fondamental pour la paix.
Je suis remplie de fierté, non pas parce que je suis la commissaire générale sortante, mais plutôt pour les centaines des mes collègues, tout comme pour les réfugiés. Je crois qu’il existe une conscience croissante que l’Unrwa n’est pas une partie du problème, mais plutôt une partie intrinsèque et incontournable de la solution.
Propos recueillis par Randa Achmawi