samedi 19 septembre 2009 - 06h:04
Gideon Levy
Ha’aretz
Il y a un nom sur chaque balle, et un responsable pour chaque crime. Le voile de teflon dont Israël s’était recouvert depuis l’opération Plomb durci a été arraché une fois pour toute, et maintenant il va lui falloir affronter les questions difficiles. Il est maintenant superflu de demander si des crimes de guerre ont été commis à Gaza, car la réponse nette et qui fait autorité a déjà été donnée. Aussi la question qui doit être posée maintenant est : Qui est responsable ? Des crimes de guerre ont été commis à Gaza, il s’ensuit qu’il y a des criminels de guerre en liberté parmi nous. Ils doivent en être tenus responsables et punis. Telle est la conclusion rigoureuse qu’il faut tirer du rapport concis des Nations unies.
Depuis presque un an, Israël essaie de soutenir que le sang versé à Gaza n’était que de l’eau. Un rapport suit un autre rapport, avec les mêmes résultats effroyables : un siège, du phosphore blanc, le mal fait à des civils innocents, une infrastructure anéantie : des crimes de guerre, dans tous les rapports sans exception. Après la publication du rapport le plus important et le plus accusateur de tous, celui établi par la Commission conduite par le juge Richard Goldstone, les tentatives d’Israël aujourd’hui pour le discréditer sont ridicules, et les fanfaronnades creuses des porte-parole d’Israël sont pathétiques.
Jusqu’à présent, ils s’étaient focalisés sur les messagers, pas sur leurs messages : le chercheur de Human Rights Watch lui, glane des souvenirs nazis, Briser le Silence c’est du business, et Amnesty International est antisémite. Toute une basse propagande. Cette fois pourtant, le messager est à l’abri de la propagande. Personne ne peut sérieusement prétendre que Goldstone, sioniste actif et convaincu, qui a des liens profonds avec Israël, est un antisémite. Ce serait ridicule.
Même s’il y eut quelques propagandistes à tenter effectivement d’utiliser l’arme de l’antisémitisme contre lui, eux-mêmes connaissaient le ridicule de la chose. Il fallait écouter l’interview émouvant que la fille de Goldstone, Nicole, a donné à Razi Barkai, sur la radio de l’armée, mercredi, pour comprendre qu’en réalité Goldstone aime Israël et est pour lui un véritable ami. Elle a parlé, en hébreu, de la douleur mentale que son père a ressentie et de sa conviction que, s’il n’avait pas été là, le rapport aurait été bien pire. Tous ce qu’il veut, a-t-elle expliqué, c’est un Israël qui soit plus juste.
Nul ne peut douter des compétences juridiques de Goldstone, comme juriste de niveau international avec une réputation irréprochable. L’homme qui a découvert la vérité sur le Rwanda et la Yougoslavie a agi de même pour Gaza. L’ancien procureur en chef du Tribunal pénal international de La Haye n’est pas seulement une autorité juridique, il est aussi une autorité morale ; par conséquent, les reproches portés contre lui ne tiennent pas la route. A la place, on ferait mieux de regarder de plus près l’accusé, et il est temps. Ces responsables, ce sont d’abord et avant tout Ehud Olmert, Ehud Barak et Gabi Ashkenazi. Jusqu’alors et de façon incroyable, aucun d’entre eux n’a payé le moindre prix pour ses méfaits.
Plomb durci a été une agression sans retenue, où une population civile totalement démunie de protection n’a montré quasiment aucun signe de résistance pendant l’opération. Cette agression aurait dû soulever un tollé immédiat en Israël. Elle fut un Sabra et Chatila, perpétré cette fois par nous-mêmes. Mais s’il y eut une tempête de protestations dans le pays après Sabra et Chatila, après Plomb durci, on a décerné des citations.
Il aurait dû suffire de regarder la disparité effroyable dans les victimes - 100 Palestiniens tués pour chaque Israélien - pour secouer la société israélienne tout entière. Il n’y avait nul besoin d’attendre Goldstone pour comprendre que quelque chose d’épouvantable s’était produit entre le David palestinien et le Goliath israélien. Mais les Israéliens ont préféré regarder ailleurs, ou se tenir avec leurs enfants sur les collines autour de Gaza et applaudir à chaque bombe qui faisait son carnage.
Sous couvert de médias engagés, d’analystes et spécialistes criminellement partiaux - qui tous ont empêché les informations de paraître - avec un lavage de cerveau d’une opinion publique sans vigilance, Israël s’est comporté comme si rien n’était arrivé. Goldstone a mis un terme à cela et pour cela, nous devons le remercier. Après, son travail est fini, des mesures concrètes évidentes vont être abordées.
Il aurait mieux valu pour Israël d’avoir eu le courage de changer de cap pendant qu’il était encore temps, et sans attendre Goldstone, d’enquêter véritablement sur la question et non pas ordonner ces investigations grotesques des Forces de défense d’Israël. Il faut faire payer le prix à Olmert et Tzipi Livni de leur décision scandaleuse de ne pas coopérer avec Goldstone, même si à ce point, ça ne sert à rien. Maintenant que le rapport est mis sur la voie du Tribunal pénal international et que des mandats d’arrêt peuvent être délivrés, tout ce qui reste à faire c’est de mettre en place immédiatement une commission d’enquête afin d’éviter la honte à La Haye.
Peut-être que la prochaine fois que nous nous lancerons dans une nouvelle guerre, vaine et misérable, nous prendrons en compte non seulement le nombre de victimes que nous sommes susceptibles d’assumer, mais aussi les dommages politiques lourds que provoquent de telles guerres.
A la veille du Nouvel An juif, Israël devient, et c’est justifié, un pays rejeté et détesté. Nous ne devons l’oublier une seule minute.
17 septembre 2009 - Ha’aretz - traduction : JPP