jeudi 2 juillet 2009

Le Christ et l’occupation

mercredi 1er juillet 2009 - 09h:01

Mohamed Salmawy - Al Ahram/hebdo



(JPG)Je suis revenu en arrière plus de 2000 ans, alors que je me trouvais à l’endroit où saint Jean-Baptiste avait baptisé le Christ dans les eaux sacrées du Jourdain. Au cours d’une récente visite en Jordanie, je me suis dirigé vers la région de la mer Morte pour voir ce qui restait de ce fleuve évoqué dans la Bible.

Jean-baptiste a baptisé Jésus, dont le Ciel avait fait don, avec les eaux limpides du Jourdain. En effet, Jésus avait pour mission de changer la face de la terre, après quoi son âme devrait remonter à nouveau au ciel alors qu’il avait à peine dépassé la trentaine.

Dans une précédente visite, qui remonte à plus de 15 ans, j’avais vu les eaux du fleuve qui s’étaient rétractées parce qu’on les pompait de manière régulière vers Israël pour finir par devenir un petit lac semblable aux ramifications de fleuves.

Au cours de cette visite, j’ai remarqué que le lac s’était rétréci davantage, entraînant une baisse du niveau de l’eau. L’espace entre ses deux rives s’était rétréci à tel point que l’on ne voyait plus le fleuve, sauf si l’on regardait en dessous du niveau de la terre.

Cependant, si l’on lève le regard vers le haut en direction de l’autre rive du fleuve, on aperçoit le drapeau israélien brandissant avec défi et insolence au-dessus d’un point de passage militaire, pour nous rappeler que l’occupation abjecte a dépassé plus de 60 ans, âge de la retraite pour les êtres humains. Une occupation qui peut vraisemblablement perdurer si personne ne tente de lever ce lourd fardeau qui pèse sur cette terre bienveillante.

Je me suis détourné de cette scène sinistre vers le bord du fleuve pour voir ses eaux couler dans son cours historique. Mais je n’ai trouvé que des eaux stagnantes. Comme si le pouls de ses petites vagues successives s’était arrêté tristement à cause de ce qui lui est advenu ou, plus probablement, de ce qui est advenu à l’homme arabe qui habite voilà plus de 60 ans sur ses deux rives est et ouest.

A l’instant même où je suis parvenu au point le plus proche de la rive d’eau stagnante, mon portable a sonné et j’y ai trouvé un message de salutation du réseau auquel je venais d’être connecté, me disant en toute insolence : « Bienvenue à Israël ... Le réseau de communication israélien vous souhaite la bienvenue, vous pouvez faire vos appels comme à votre habitude, mais le tarif international y sera appliqué ! ».

J’ai rapidement fait marche-arrière de l’endroit où je me tenais debout et j’ai fermé le portable que j’ai failli jeter dans ce qui restait des eaux du fleuve. La scène du point de passage militaire sur lequel était brandi le drapeau israélien était suffisante pour susciter mon indignation et je n’avais pas besoin de recevoir de message sur mon portable pour me dire que je me trouvais en Israël.

Un ami originaire du pays a remarqué l’effroi qui se dessinait sur mon visage et m’en a demandé la raison. Je lui ai dit : C’est un message qui a fait fausse route. Il ne m’était certainement pas envoyé. Et lorsque je lui ai lu le contenu, il m’a dit : « C’est normal. Ne savez-vous pas que l’expansion colonialiste est le moteur n°1 des Israéliens ? ».

J’ai rétorqué : Mais je suis ici debout sur une terre arabe et non pas israélienne ...

- Et la Cisjordanie qui est devant nous où se trouve le drapeau israélien est une terre arabe également. Que devient-elle maintenant ? Israël l’a engloutie dans son expansion illimitée, comme il avait englouti l’eau de ce triste fleuve. Vous avez reçu ce message parce que vous vous êtes un peu approché de la rive du fleuve, ce qui a amené l’occupation israélienne à entrer en contact avec vous car elle considère cette parcelle de terre comme sa propriété.

- Eloignons-nous donc de ce lieu qui ne fait que susciter nos afflictions. L’eau qui coule entre les deux rives a disparu à tel point qu’elle nous est quasiment invisible. Le Jourdain, lié à une longue histoire, n’a plus d’existence aujourd’hui. Cette Terre Sainte, qui a pris dans son étreinte la plus importante opération de purification dans l’histoire de l’humanité, est devenue dans notre époque actuelle un symbole d’occupation, de spoliation de l’eau, de violation de l’Histoire et de défiguration des aspects géographiques qui ont duré des centaines d’années.

(JPG)J’ai donné le dos à cette scène mélancolique et me suis dirigé vers l’emplacement de l’église Saint-Jean édifiée à l’endroit où le Christ a été baptisé dans les eaux du Jourdain.

J’avais lu certains écrits rédigés par des saints sur ce lieu, considéré comme l’un des plus sacrés de l’histoire chrétienne. Je me suis rappelé ce qu’a écrit Théodose en 530 après J.-C. disant qu’ « à 5 miles loin du nord de la mer Morte, dans ce lieu où le Christ a été baptisé, il y a une colonne sur laquelle est fixée une croix en métal. Il y a également l’église Saint-Jean, édifiée par l’empereur Anastase.

C’est une église édifiée au-dessus de larges chambres pour être à l’abri de la crue du Jourdain ».

Saint Antonin de Piacenza a écrit en 570 après J.-C. : « Sur la rive du Jourdain où le Christ a été baptisé, au bord de l’eau, il y a des marches menant au cours du fleuve ».

Quant au Français Arculfus, il a écrit en 670 après J.-C. décrivant ce lieu : « Sur la rive du fleuve, il y a une petite église carrée édifiée au-dessus de 4 coupoles en pierre pour que l’eau du fleuve coule en dessous ».

L’ami m’a amené au lieu où se trouve l’église Saint-Jean dans laquelle les gens du Ve au XIIe siècles priaient. C’est-à-dire à l’époque de l’islam. Cette église a été découverte récemment dans ce lieu qui s’est transformé en forêt après l’occupation de la Cisjordanie et l’entrée des forces militaires, peu soucieuses de son histoire ancienne. Elle a été le lieu où s’est déroulée l’une des scènes les plus sacrées du christianisme. Un lieu qui est resté la destination de l’humanité entière, dans lequel les gens s’y purifiaient jusqu’au temps de l’occupation.

Je me suis arrêté longtemps devant la mosaïque représentant la carte géographique des territoires sacrés autour du cours du fleuve, probablement dans le même endroit où nous nous trouvions. De l’autre côté du fleuve, il y avait les vestiges de l’église. Cette carte était ornée de motifs de certains animaux que l’on retrouve dans les champs des alentours. Il y a également le symbole du poisson, autre expression du baptême. Comme le poisson qui ne peut vivre en dehors de l’eau, le chrétien croyant ne peut pas vivre sans les eaux du baptême et c’est le sens de cette interprétation.

La carte comprend également un motif représentant une belle gazelle pourchassée par un lion. C’était Hérode, le tyrannique roi des juifs, qui pourchassait saint Jean-Baptiste.

Quant aux poissons, ils étaient sur le point de disparaître dans ce lieu où l’eau n’existe quasiment plus. Les forces du mal, elles, existent toujours dans notre monde pourchassant le bien, le vrai et le beau. La preuve de cela n’étant autre que ce lieu, et ce qui en est advenu depuis que sa pure histoire ancienne a été profanée par les militaires de l’occupation.

All-Ahram/hebdo - Semaine du 1 au 7 juillet 2009, numéro 773 (Opinion)