Khan Younis, bande de Gaza - La guerre dans la bande de Gaza est terminée, mais les quelque 10 000 habitants de Khouza’a n’y croient pas encore. Le bruit des avions de reconnaissance tout proche continue à les faire songer à la mort.
- 30 août 2014 - Amir al-Najjar est dans les bras de sa mère, Sawsan, dans Khuza’a - Photo : Luke Cody
Mohammed n’est pas le seul à se sentir en complète insécurité. Ces jours-ci, c’est un sentiment partagé par tous les habitants de cette ville qui ont préféré retourner dans leurs maisons détruites plutôt que de rester dans des écoles transformées en abri pour réfugiés. Leurs récits sont les mêmes que partout ailleurs dans la bande de Gaza. La destruction massive des habitations par l’armée de l’air israélienne a laissé un lourd fardeau sur les épaules de la ville de Khouza’a.
Al-Monitor a essayé à deux reprises d’entrer dans la ville pendant la guerre, mais les forces israéliennes avaient déclaré la zone interdite, et à quiconque de s’en approcher. L’entrée de la ville ne révèle pas grand-chose au premier abord sur la situation actuelle dans la ville. Al-Monitor a visité le quartier de la famille Najjar.
Debout à côté de quelques réservoirs pour l’eau en cours de réparation, Riad al-Najjar, 42 ans, a déclaré à Al-Monitor : « Ils ont utilisé des explosifs pour démolir des maisons. Nous avons trouvé de la dynamite dans l’herbe. Tout le monde ici connaît les détails de ce qui s’est passé, les noms des martyrs, de leur histoire et d’où ils venaient. Il s’agit d’une nouvelle mémoire sacrée pour la ville ».
Mahmoud al-Najjar, 22 ans, a déclaré à Al-Monitor : « La première fois que nous avons pu entrer dans Khouza’a après avoir quitté la ville suite à l’invasion terrestre, nous avons trouvé à l’entrée une petite fille de 9 ans, dans un fauteuil roulant, et qui avait été tuée. Son corps était en partie décomposé. Non loin d’elle, nous avons trouvé le corps décomposé d’un vieil homme. Ils étaient tous les deux de la famille Abou Rjeily, et il semblait qu’ils essayaient de s’échapper. Dans les maisons démolies, nous avons trouvé les corps de certains des combattants de la résistance. Comme nous voulions les sortir [de sous les décombres], leurs pieds ou les mains se sont détachés... »
Située dans le sud de la bande de Gaza, à l’est de Khan Younis à la frontière avec Israël, Khouza’a était l’une des principales lignes de front pendant la guerre. Bakr al-Najjar, 26 ans, nous a raconté : « L’armée nous a ordonné de sortir, au milieu des bombes et des roquettes qui tombaient sur nous comme la pluie. Ils ont ouvert le feu sur nous. Mon oncle et mon cousin sont morts en face de moi. Nous n’avons pas pu faire demi-tour. Nous avons dû laisser les corps derrière nous. Nous pouvions juste continuer à avancer ».
Human Rights Watch a rapporté le 4 août avoir « fait une enquête sur plusieurs incidents entre les 23 et 25 juillet. Les habitants ont déclaré que les forces israéliennes ont ouvert le feu sur des civils qui essayaient de fuir Khouza’a, alors qu’aucun combattant palestinien n’était présent à ce moment-là, et qu’aucun tir [de fusée] ne s’était produit. »
- Shehada al-Najjar décrit le terrible calvaire vécu par sa famille dans Khuza’a, le 30 août 2014 - Photo : Luc Cody
Alaa al-Najjar, 20 ans, nous a emmenés à la maison de Mohammed Mahmoud al-Najjar, non loin de l’ancienne maison de Fodda. À l’aube du 25 juillet, plus de 80 habitants de la ville avaient trouvé refuge dans son sous-sol quand l’endroit a été bombardé par les forces israéliennes.
Alaa, qui était parmi les réfugiés dans la maison, se souvient : « Tout d’abord, la maison a été touchée par des tirs d’artillerie, après quoi une roquette a été tirée par un avion de reconnaissance. Ensuite, une bombe a été larguée par un avion F-16. » Il ajoute : « Cela s’est produit au milieu des cris des femmes et des enfants. Beaucoup d’entre eux ont été blessés. Deux vieillards ont été tués, Kamel al-Najjar et Salem Kodeih ».
Susan al-Najjar, 37 ans, a déclaré à Al-Monitor : « Mon mari a été blessé dans les bombardements. Notre fils de 6 ans, Mutassim était terrifié, alors nous l’avons pris par la main et nous sommes partis, mais une balle tirée par des soldats israéliens a touché sa tête, sous nos yeux. Je savais que si nous n’avions pas bougé, le reste de mes quatre enfants mourrait aussi. »
Susan continue d’avancer et montre l’endroit où elle et son mari ont abandonné le corps de Mutassim - sur un tas de tuiles et de sable, à l’ombre d’un arbre luxuriant - pour continuer à fuir avec le reste de ses enfants, Aya, Nazmi, Raghad et Zaid.
« Je savais que si je n’ai pas laissé mon fils, nous allions tous être tués, parce que les balles visaient ceux et celles qui sortaient du sous-sol », a déclaré Susan avec des larmes dans ses yeux. « J’ai abandonné mon fils pendant neuf longs jours. Je me demandais toujours s’il avait peur dans l’obscurité, s’il était mangé par des chiens ou s’il avait froid. Je n’ai été un peu soulagée que lorsque nous sommes revenus et l’avons enterré. Ils ne m’ont pas laissé voir son corps décomposé. »
Ahmed al-Najjar, 39 ans, a emmené Al-Monitor à l’intérieur de sa modeste maison et a raconté ce qui s’est passé. Il a dit : « Les forces israéliennes ont pris d’assaut ma maison après avoir détruit à l’explosif le mur du fond. Ils m’ont arrêté, ainsi que 30 autres hommes de la ville. Ils nous ont tous mis dans des véhicules blindés, bandé nos yeux et nous ont ordonné de nous déshabiller. Ils nous ont emmenés dans une zone où nous sommes restés pendant six heures, puis nous avons été emmenés à l’intérieur d’Israël. Je suis resté là pendant quatre jours, au cours desquels j’ai été soumis à des interrogatoires. Nous sommes revenus à travers le passage d’Erez, mais quatre membres de ma famille sont toujours détenus. »
Shehada al-Najjar, 44 ans, a partagé la même expérience que son cousin Ahmed, sauf que lorsque Shehada s’est vu ordonner de monter dans le véhicule blindé, un soldat lui a tiré dessus. Une balle est entrée dans son cou et une autre l’a touché au bras.
Shehadeh a déclaré à Al-Monitor : « Quand le soldat a tiré, l’officier qui nous faisait prisonniers a crié vers lui. J’ai continué à saigner pendant six heures après mon arrestation. Puis ils ont appelé la Croix-Rouge pour me transporter à l’hôpital européen [de Gaza], où les médecins ont été surpris que je sois encore en vie ».
Les témoins de l’horreur de la guerre et des jours terribles dans Khouza’a ont survécu par pur hasard. Leurs blessures seront très longues à cicatriser.
* Asma al-Ghoul est journaliste et écrivain, du camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.