The Guardian, Martin Linton, dimanche 30 mars 2014
Si Israël est vraiment sérieux en ce qui
concerne la paix, il relâchera Barghouti – le seul homme occupant une
position unique pour négocier un accord
Graphe du dirigeant palestinien emprisonné Marwan Barghouti
à Kalandia, ville de Cisjordanie, entre Jérusalem et Ramallah.
Photographe : Bernat Armangue/AP
La mort de Nelson Mandela nous rappelle que souvent le premier pas
vers la résolution d’un conflit est la libération d’un dirigeant
national qui a l’autorité pour pouvoir unir, négocier et trouver une
solution.
Marwan Barghouti est en prison depuis le 15 avril 2002,
date à laquelle des agents des services de sécurité israéliens,
déguisés en ambulanciers, se sont emparés de lui en plein jour et
l’ont emmené en Israël. En 2004, il a été déclaré coupable de participation à cinq meurtres, ce qu’il nie .
Malgré près de 12 ans derrière les
barreaux, Barghouti reste l’homme politique le plus populaire de
Palestine, capable, selon des sondages récents, de battre soit le
Président Mahmoud Abbas soit son rival du Hamas Ismaïl Haniyeh lors
d’élections à la présidence.
Beaucoup pensent qu’il pourrait sortir de prison, se présenter aux
élections, être élu président, unifier les factions palestiniennes,
négocier un règlement, le soumettre au peuple, obtenir son appui et
ensuite présider à un processus de « vérité et réconciliation » dans
un pays nouvellement indépendant.
Avec la fin de la libération de prisonniers en relation avec les
pourparlers de paix qui doit avoir lieu samedi et la fin des
pourparlers eux-mêmes qui doit intervenir un mois plus tard (le 29
avril), cela serait juste le geste théâtral qui pourrait préserver les
négociations de se terminer par un échec complet. Abbas a proposé de
les prolonger un peu, mais seulement si Barghouti et 12 autres députés étaient libérés.
Même Shimon Peres, quand il était candidat à la présidence,
a déclaré qu’il signerait la grâce de Barghouti. Par la suite, la
Knesset n’a jamais approuvé la grâce de celui-ci en raison de
l’opposition véhémente de ministres, tels que Silvan Shalom, qui
a déclaré : « il est hors de question de libérer un assassin qui a du
sang sur les mains et qui a été dûment condamné par un tribunal. »
Mais si la paix doit arriver un jour, Israël devra reconnaître que
Barghouti était un dirigeant politique et non militaire, qu’il n’a
jamais porté les armes et qu’il s’est toujours opposé à des actions
visant des civils israéliens, tout en défendant le droit des
Palestiniens à la résistance.
Une campagne internationale a été lancée en vue de la libération de Barghouti et des 4227
prisoniers politiques palestiniens qui sont dans les prisons
israéliennes. Elle est soutenue par tous les partis représentés au
Parlement palestinien , le Fatah et le Hamas étant pour une fois unis,
et par l’écrasante majorité des Palestiniens.
La campagne a été lancée dans l’ancienne cellule de Mandela par
Ahmed Kathrada, un homme politique sud-africain chevronné, qui
a lancé la première campagne Libérez Mandela dès les années 60, qui a lui-même été emprisonné et qui a passé 18 ans à Robben Island avec Mandela.
Il sera à Londres la semaine prochaine pour exhorter les députés
britanniques à signer la « déclaration de Robben Island » de soutien
aux prisonniers palestiniens, en même temps que l’Archevêque Desmond
Tutu, l’ancien Premier Ministre d’Irlande John Bruton, la lauréate du
Prix Nobel de la Paix Mairead Corrigan Maguire, la militante
politique Angela Davis et bien d’autres.
Pour les hommes politiques britanniques, il devrait être facile de
comprendre l’argument essentiel en faveur de sa libération. Elle
n’est pas fondée sur le fait qu’il est innocent (même s’il l’est), ou
sur son arrestation illégale (ce qui est quasiment certain), mais
parce qu’il est on ne peut mieux placé pour négocier un accord de paix.
La Grande-Bretagne a emprisonné le Mahatma Gandhi et Jawaharlal Nehru en 1942, mais ils ont libéré Nehru en 1944
et deux ans plus tard il négociait l’indépendance de l’Inde. Il est
devenu le premier Premier Ministre de l’Inde indépendante en 1947.
Au Kenya, Jomo Kenyatta a été mis en prison par les Britanniques en 1952 et libéré en 1961. Un an plus tard les Britanniques négociaient l’indépendance avec lui et en 1963 il est devenu Premier Ministre du Kenya indépendant..
En Afrique du Sud, Mandela a été libéré de prison en 1990
et les mois suivants il négociait l’indépendance avec ses
ravisseurs. Il aura juste fallu quatre ans pour passer de la cellule de
prison au palais de la présidence et l’espoir est que Barghouti, âgé
maintenant de 54 ans, puisse faire de même .
Entre août 2013, un mois après le début des pourparlers et février de cette année , 34 Palestiniens ont été tués et 1535 blessés (dans la même période trois Israéliens sont morts et 53 blessés). En attendant, 10 509
logements dans les colonies illégales ont été approuvés par les
responsables israéliens. Est-il étonnant que les Palestiniens ne
veuillent pas continuer les pourparlers de « paix » ?
Alors que la date-limite du 29 avril
approche, il faudrait que les Israéliens prennent une initiative
audacieuse pour prouver qu’ils s’intéressent à la paix. S’ils libèrent
Barghouti, le monde reconnaîtra qu’ils sont sérieux. S’ils refusent,
beaucoup concluront qu’ils ne le sont pas.
Tous droits réservés.(traduit de l’anglais par Y. Jardin)