L’interdiction du groupe Étudiants pour la Justice en Palestine (SJP pour Students for Justice in Palestine)
à l’université Northeastern de Boston le 7 mars, assortie
d’une menace par l’université de mesures disciplinaires contre
certains de ses membres, s’inscrit dans ces sanctions qui
frappent de nombreux groupes d’étudiants qui défendent
les droits des Palestiniens dans tout le pays. Les
attaques, et les formes de sanctions similaires inquiétantes,
semblent entrer dans un effort commun du gouvernement israélien
et du lobby pro-Israël afin de mettre sur liste noire
tous les groupes d’étudiants qui remettent en cause la
version officielle israélienne.
Northeaster a interdit le SJP après la publication par le
groupe, sur les copies du campus, d’avis d’expulsion qui
sont méthodiquement remis aux maisons palestiniennes destinées
à être démolies par les Israéliens. L’avis de suspension de
l’université indique que si le SJP dépose un recours pour sa
réintégration pour l’an prochain, « aucun membre
actuel du bureau exécutif d’Étudiants pour la
Justice en Palestine ne pourra siéger au conseil
d’administration d'ouverture de la nouvelle organisation » et que les représentants de l’organisation devront suivre des « formations » autorisées par l’université.
En 2011, en Californie, dix étudiants qui avaient, à
l’université d’Irvine, perturbé l’intervention de
Michael Oren, alors ambassadeur israélien aux États-Unis, ont
été déclarés coupables, placés en probation informelle et
condamnés à des travaux communautaires. Oren, citoyen israélien
qui, depuis, a été recruté par CNN comme collaborateur, a
demandé au Congrès d’inscrire sur liste noire toutes
celles et ceux qui participent à la campagne de boycotts,
désinvestissement et sanctions (BDS) contre Israël, et d’engager
des poursuites contre celles et ceux qui manifestent
dès qu’apparaissent des officiels israéliens. Quelques
militants de l’université Florida Atlantic ont été exclus de
leurs responsabilités à la direction des étudiants après être
sortis en signe de protestation lors de l’allocution
d’un officier de l’armée israélienne, et ils ont reçu
l’ordre par la direction de l’université de participer à des
séminaires de rééducation élaborés par la Ligue anti-diffamation
(ADL pour Anti-Defamation League). Le groupe
Étudiants pour la Justice en Palestine/Colombie (CSJP) a été
brusquement suspendu au printemps 2011, et il a reçu
l’interdiction de réserver des salles et d’organiser des
initiatives sur le campus. L’administration de l’université,
avant cette interdiction, avait l’habitude d’avertir le groupe
Hillel (organisation juive sur les campus - ndt) du
campus avant toute initiative du CSJP. La suspension a
finalement été levée, après protestation des avocats du CSJP.
Max Geller, étudiant en droit et membre du SJP à
Northeastern, que j’ai réussi à avoir au téléphone à
Boston, a accusé l’université de céder à « des pressions extérieures »,
notamment celles d’un ancien élève, Robert Shillman,
aujourd’hui PDG de la Cognex Corporation, et de l’investisseur
milliardaire Seth Klarman, tous deux partisans de la
droite israélienne.
« Interdire à des étudiants de tenir des
fonctions de direction, de même que des groupes d’étudiants,
simplement parce qu’ils sont engagés dans une manifestation
politique pacifique, est contraire à la mission de
l’université qui est d’instruire les étudiants, » a-t-il déclaré. « Cela retire toute la valeur pédagogique qu’un processus disciplinaire pourrait rechercher ».
« Dans la dernière année, » a poursuivi Geller, « j’ai
reçu des menaces de mort, j’ai été publiquement et
injustement calomnié, et menacé de mesures
disciplinaires. Ceci pour m’être lancé à intervenir sur la
question qui m’inquiète profondément, en tant que juif comme
en tant qu’américain, d’une perspective qui me fait
peur et m’angoisse. »
La réaction de force d’Israël contre ces organisations de
campus est symptomatique de son isolement qui va
croissant, et de sa préoccupation devant un soutien américain
qui s’affaiblit. L’occupation et les confiscations de la terre
palestinienne, depuis des décennies, ainsi que les agressions
militaires massives contre une population sans défense dans
la bande de Gaza, qui ont fait des centaines de morts,
en plus d’une malnutrition qui va s’empirant chez les
enfants palestiniens et d’une pauvreté qui s’aggrave, tout cela a
écarté des sympathisants traditionnels d’Israël, et notamment
de nombreux jeunes Américains de confession juive.
Israël, dans le même temps, est devenu un paria dans la
communauté mondiale. S’il devait perdre le soutien états-unien,
qu’il achète pour une grande part avec les contributions d’une
campagne politique passant par des organisations comme
l’AIPAC (Comité américain pour les affaires publiques
israéliennes), Israël irait à vau-l’eau. Il y a de plus en plus
de banques et autres sociétés, spécialement dans l’Union
européenne, qui rejoignent le mouvement de boycott, qui
refusent de commercer avec les entreprises israéliennes
dans les territoires occupés. Le Premier ministre israélien,
Benjamin Netanyahu, s’est exprimé devant l’AIPAC le 4 mars, et
de façon étonnante, il a consacré une grande partie de son
discours à attaquer le mouvement BDS naissant, et dont
l’acronyme selon lui signifie, « Bigotry, Dishonesty and Shame » (fanatisme, malhonnêteté et honte). Il a demandé à ce que les sympathisants de BDS « soient traités exactement comme nous traitons n’importe quel antisémite et fanatique ». Il a mis en garde car des gens « naïfs et ignorants » sont recrutés comme « des compagnons de routes crédules » dans une campagne antisémite.
Les dirigeants israéliens tentent aussi apparemment
d’infiltrer le mouvement BDS et se servent de
subterfuges pour le relier à l’extrémisme islamique, selon le Times
de Londres. Le gouvernement israélien fait pression
dans le sens de projets de loi de censure,
antidémocratiques, dans les instances législatives des États de
New York, du Maryland et de l’Illinois, lois qui infligeraient
des sanctions financières aux organisations
universitaires qui boycottent les institutions israéliennes.
Pendant ce temps, les États-Unis et d’autres, avec enthousiasme,
imposent des sanctions à la Russie pour une occupation
bien moins draconienne que le long mépris d’Israël pour
le droit international.
Les classes d’endoctrinement de l’ADL pour les militants
universitaires ne sont, d’après ceux qui ont été tenus de les
suivre, que des tentatives pitoyables d’assimiler toute
critique d’Israël à de l’antisémitisme.
« Moi et deux autres membres du SJP avons été contraints de participer aux cours de "formation à la diversité"
sous le parrainage de l’ADL, à défaut nous aurions été accusés
de violer les conditions de notre probation et de ce fait,
nous aurions été suspendus et/ou expulsés, » a
dit Nadine Aly, étudiante militante de Florida Atlantique qui,
avec d’autres militants, a quitté, en signe de protestation, une
conférence donnée à l’université par un officier de
l’armée israélienne, le colonel Bentzi Gruber, lequel officier a
contribué à l’élaboration des règles dans l’engagement pour
l’opération Plomb durci, cette agression atroce contre Gaza
fin 2008 début 2009. J’ai pu la contacter par téléphone sur
le campus de Florida. « L’idée même que
l’administration insinue que c’est raciste de critiquer la
politique israélienne est ridicule. Nous avons été
mis en "probation pour une durée indéterminée", avec
l’interdiction de remplir des fonctions de direction dans
toutes les organisations d’étudiants reconnues, notamment au
conseil des étudiants, à l’université, jusqu’à
l’obtention de notre diplôme. J’ai été exclue de ma
fonction de présidente du SJP, de même que de celle de
sénatrice étudiant, et l’ancienne vice-présidente du SJP a
perdu son poste de représentante de la Maison des
étudiants. C’est une honte que cette université et beaucoup
d’autres cèdent à la pression du lobby sioniste et de riches
donateurs sionistes, quand elles devraient protéger
les droits de leurs étudiants. »
La persécution d’universitaires, tels que Joseph Massad et
Norman Finkelstein, qui remettent en cause la version
israélienne officielle a longtemps été une caractéristique de
l’intervention israélienne dans la vie universitaire américaine.
Et l’empressement des présidents d’université à dénoncer
l’Association des études américaines qui a appelé à un
boycott universitaire d’Israël est une fenêtre ouverte
sur la faim insatiable de l’argent qui semble mener la politique
universitaire. L’effort actuel pour arrêter les groupes
d’étudiants, cependant, porte la censure et les ingérences
israéliennes traditionnelles à un autre niveau. Israël cherche
maintenant à museler ouvertement la liberté d’expression sur les
campus des facultés américaines – toutes celles où des
groupes d’étudiants se sont résolument engagés dans des
manifestations non violentes –, et il s’est assuré le concours
d’élites libérales décadentes et d’administrateurs de facultés,
comme une police de la pensée.
L’incapacité des universitaires à défendre le droit de ces
groupes d’étudiants à exprimer des opinions dissidentes
et à s’engager dans un militantisme politique montre à
quel point la plupart des universitaires aujourd’hui sont
devenus hors sujet. Où sont dans cette lutte les professeurs de
morale, de religion et de philosophie rappelant aux
étudiants le droit de tous à une vie digne, exempte
d’oppression ? Où sont les professeurs d’études du Moyen-Orient
expliquant les conséquences historiques de la confiscation
violente par Israël de la terre palestinienne ? Où sont
les professeurs de journalisme défendant le droit des
dissidents et des victimes à une audience équitable dans la
presse ? Où sont les professeurs d’études sur l’homosexualité et
le sexisme, d’études afro-américaines, sur les
Amérindiens ou les Chicanos, agissant pour protéger la
voix et la dignité des marginalisés et des opprimés ?
Cette agression ne s’arrêtera pas à des groupes comme les
Étudiants pour la Justice en Palestine. Le refus
d’entendre les cris du peuple palestinien, surtout de ces
un million et demi de Palestiniens – 60 % étant des enfants –
qui se trouvent piégés par l’armée israélienne dans Gaza, ce
refus s’intègre dans une campagne plus vaste d’agents de
la droite, tels Lynne Cheney et des milliardaires comme
les frères Koch, pour faire disparaître tous les programmes et
disciplines universitaires qui donnent la parole aux
marginalisés, spécialement à ceux qui ne sont ni
privilégiés ni blancs. Les Latinos, les Afro-américains, les
féministes, ceux qui étudient sur l’homosexualité et le sexisme
sont soumis aussi à cette pression. En application d’une
loi signée par la gouverneure républicaine Jan Brewer,
les livres des grands auteurs chicanos ont été interdits
dans les écoles publiques à Tucson et ailleurs en Arizona, au
motif que de telles études ethniques encourageaient « un ressentiment envers une race ou un peuple
». C’est le même langage que celui utilisé par
l’ambassadeur Oren pour justifier son appel à des
poursuites pénales contre les militants BDS – ceux qu’ils
prétendent être des « fanatiques ». Le
néo-conservatisme qui enserre Israël a sa contrepartie toxique
au sein de la culture américaine. Et si d’autres groupes
marginalisés dans les universités gardent le silence
pendant que les militants de la solidarité avec la Palestine
sont persécutés sur les campus, ils trouveront moins d’alliés
lorsque ces forces de droite s’occuperont d’eux. Et
elles vont s’en occuper.
Celles et ceux d’entre nous qui dénonçons la souffrance
provoquée par Israël et ses crimes de guerre contre les
Palestiniens, et qui soutenons le mouvement BDS, sommes
accoutumés à ces campagnes diffamatoires scabreuses israélienne.
J’ai été à plusieurs reprises qualifié d’antisémite par
le lobby israélien, notamment pour mon livre "La guerre est une force qui nous donne un sens". Certaines de ces voix dissidentes, comme celle de Max Blumenthal qui a écrit "Goliath : peur et répugnance dans le grand Israël",
l’un des meilleurs témoignages sur l’Israël
contemporain, sont des voix juives que ne semblent pas perturber
les propagandistes israéliens de droite qui voient dans toute
divergence avec la ligne gouvernementale israélienne une
forme d’hérésie religieuse.
« Je suis en tournée pour discuter de mon livre, "Goliath", depuis octobre 2013 » m’a dit Blumenthal, avec qui je me suis entretenu au téléphone. « Et
à plusieurs occasions, des groupes lobbyistes et
des activistes favorables à Israël ont tenté de faire pression
sur les organisations pour qu’elles annulent mes rencontres
avant qu’elles n’aient lieu. J’ai été diffamé, traité d’antisémite,
par des étudiants adolescents pro-Israël, par d’éminents
chroniqueurs de magazine, et même par Alan Dershowitz, et
ma famille a été prise à partie dans la presse de droite
simplement parce qu’elle avait organisé une fête du livre pour
moi. Tout le mal absurde que se donnent les
activistes pro-Israël pour empêcher mon journalisme et mes
analyses de toucher un large public illustre parfaitement leur
épuisement et leur pauvreté morale. Tout ce qu’ils y
ont laissé, c’est beaucoup d’argent pour acheter des
politiciens, et une volonté sans limite pour défendre le seul
État d’apartheid nucléarisé au Moyen-Orient. Comme de jeunes
Arabes et musulmans affirment leur présence sur les
campus dans tout le pays et que les Américains juifs sont
écoeurés de l’Israël de Netanyahu, nous pouvons voir que les
forces pro-Israël mènent une lutte de repli. La question
n’est pas de savoir si elles la gagneront ou la
perdront, mais combien de dommages elles peuvent faire encore à
la liberté d’expression avant qu’on les amène à rendre des
comptes devant la justice. »
« Ce serait réconfortant si des intellectuels
libéraux de premier plan approuvaient toutes mes conclusions,
ou approuvaient la légitimité de BDS, » a poursuivi Blumenthal. « Mais
la seule attente raisonnable que nous pouvons avoir
venant d’eux, c’est qu’ils élèvent la voix pour défendre
celles et ceux dont les droits à la liberté de s’exprimer et
de s’organiser sont étouffés par des forces
puissantes. Malheureusement, quand ces forces se déploient
pour la défense d’Israël, beaucoup d'intellectuels libéraux
gardent le silence ou, comme dans le cas de Michael
Kazin, Eric Alterman, Cary Nelsont et de la fine
fleur des présidents d’université, ils collaborent activement
avec d’autres élites déterminées à étouffer le militantisme de
solidarité avec la Palestine par tous les moyens
antidémocratiques. »
Les chapitres Hillel, tristement, fonctionnent souvent comme
de simples avant-postes du gouvernement israélien et de
l’AIPAC. Cela est vrai à Northeastern aussi bien que
dans des facultés comme la faculté Barnard et celle de Columbia.
Et les présidents d’université comme Debora Spar, de Barnard,
ne voient aucun mal à accepter des séjours en Israël,
pendant que les étudiants palestiniens doivent risquer
l’emprisonnement, et même la mort, pour venir étudier aux
États-Unis. Le lancement de campagnes de diffamation sur tous
les campus par des maisons soi-disant religieuses est un
sacrilège pour la religion juive. Dans un séminaire,
j’ai suffisamment lu les grands prophètes israélites, dont la
première préoccupation allait vers l’opprimé et le pauvre, pour
savoir qu’on ne les trouverait pas aujourd’hui dans les
centres Hillel, mais plutôt à manifester avec les
militants du SJP.
Les centres de campus Hillel, avec des budgets somptueux et
des immeubles rutilants, sur des campus souvent situés
dans des zones de délabrement urbain, proposent des
évènements, conférences et programmes pour promouvoir la
politique officielle israélienne. Ils organisent des voyages
gratuits en Israël pour les étudiants juifs dans le
cadre du programme « Taglit Birthright », ils fonctionnent
comme une agence de voyages du gouvernement israélien. Pendant
que les étudiants juifs, souvent sans liens familiaux avec
Israël, sont escortés dans ces séjours de propagande
bien orchestrée en Israël, des centaines de milliers de
Palestiniens qui restent confinés dans des camps de réfugiés
sordides ne peuvent rentrer dans leur foyer, alors que leurs
familles y ont vécu pendant des siècles, sur ce qui est
maintenant une terre israélienne.
Pendant des décennies, Israël a pu encadrer le débat sur les
Palestiniens. Mais son contrôle sur le récit touche à sa
fin. Israël perd du terrain, il va s’en prendre
méchamment et sans raison à tous les diseurs de vérité, même si
ce sont des étudiants américains, et même et surtout s’ils sont
juifs. Ce jour viendra, et il viendra plus tôt que ne le
croient Israël et ses laquais vendus, quand tout
l’édifice s’écroulera, quand même les étudiants de Hillel
n’auront plus envie de défendre la dépossession continuelle et
les assassinats aveugles des Palestiniens. Israël, en
faisant taire impitoyablement les autres, risque
maintenant lui-même de se taire.
Chris Hedges donnera une conférence sous le
parrainage du Forum économique politique à l’université
Northeastern, le 25 mars à 18 h, à West Village F, 20, 460
Parker St. à Boston.
Christopher Lynn Hedges (né le 18 septembre 1956 à Saint-Johnsbury, au Vermont) est un journaliste et auteur américain. Ancien correspondant de guerre, il est reconnu pour son analyse de la politique américaine ainsi que de celle du Moyen-Orient1. Il a publié plusieurs livres, dont le plus connu est War Is a Force That Gives Us Meaning (2002).
Traduction : JPP pour l’AURDIP, pour BDS France