La
demande d’adhésion de la Palestine en tant qu’Etat membre
des Nations-Unies est désormais entre les mains de la
commission des admissions, qui doit faire une recommandation
au Conseil de sécurité. Mais l’on sait d’ores et déjà que
l’admission de la Palestine ne passera pas à l’exécutif
onusien : soit l’Autorité palestinienne ne parviendra pas à
réunir les neuf voix nécessaires, sur un ensemble de 15 voix
que compte le Conseil, en raison des pressions américaines
et israéliennes. Soit les Etats-Unis, en cas de majorité en
faveur de l’adhésion de la Palestine, useront de leur droit
de veto pour bloquer la demande. Dans les deux cas,
l’Autorité palestinienne devrait se tourner vers l’Assemblée
générale où elle jouit d’une majorité confortable pour
réclamer l’amélioration de son statut d’« observateur » à
celui d’« Etat non-membre », à l’instar du Vatican
aujourd’hui ou, jadis, de la Suisse, de l’Allemagne de
l’Ouest ou de la Corée du Sud.
Certains se sont demandé pourquoi
l’Autorité palestinienne ne s’est pas adressée directement à
l’Assemblée générale puisqu’elle savait que sa demande
d’admission était vouée à l’échec au Conseil de sécurité et,
en plus, provoquera une dangereuse divergence avec
Washington. Le Congrès américain a menacé de couper l’aide
américaine de 500 millions de dollars annuels aux
Palestiniens s’ils persistaient à vouloir saisir le Conseil
de sécurité. La Chambre des députés a déjà élaboré un projet
de loi en ce sens.
Deux raisons majeures expliquent la démarche palestinienne.
La première est de forcer les Etats-Unis à faire une
proposition sérieuse pour débloquer l’impasse que connaît le
processus de paix, en panne depuis septembre dernier.
L’Autorité palestinienne sait que les Etats-Unis cherchent à
tout prix à éviter l’usage de leur droit de veto, car cela
marquera leur isolement croissant, avec Israël, au sein de
la communauté internationale, au sujet de la question
palestinienne. Plus important, un tel veto les placera en
porte-à-faux dans un monde arabe en pleine ébullition
populaire où ils perdent du terrain à la faveur du «
printemps arabe », en raison notamment de leur soutien
indéfectible à l’Etat hébreu.
Lorsque le président Barack
Obama a voulu, au début de son
mandat, redorer le blason de son pays dans le monde arabe et
islamique, il s’est rendu au Caire en juin 2009, où il a
prononcé un discours dans lequel il a prôné, entre autres,
l’établissement d’un Etat palestinien indépendant et l’arrêt
de la colonisation israélienne. Son opposition aujourd’hui à
la reconnaissance d’un Etat palestinien par l’Onu contredit
sa position solennellement annoncée au Caire. Elle contraste
surtout avec la faiblesse de la position américaine face à
la poursuite de la colonisation israélienne.
Quatre jours à peine après l’appel lancé le 23 septembre par
le Quartette international sur le Proche-Orient (Etats-Unis,
Russie, Union européenne, Onu) pour une reprise des
négociations de paix — et qui était destiné à dissuader les
Palestiniens de continuer dans leur quête d’une admission à
l’Onu, Israël a annoncé la construction de 1 100 nouveaux
logements juifs à Jérusalem-Est, là où les
Palestiniens veulent faire la capitale de leur futur Etat.
C’était une façon de dire qu’Israël ne ferait pas la moindre
concession pour une reprise des pourparlers, au grand dam de
leur allié américain qui, une fois de plus, a fait preuve
d’une impuissance totale face au lobby pro-israélien, à un
an des présidentielles.
La deuxième raison de la démarche palestinienne a trait aux
difficultés que rencontre le président Mahmoud
Abbass auprès de son opinion
publique. Abou-Mazen, qui prône
la voie de la négociation et récuse la lutte armée face à
Israël, a vu sa popularité et sa crédibilité dégringoler,
car sa stratégie n’a jusqu’ici rien rapporté. Menacé par le
Hamas, qui contrôle la bande de Gaza depuis juin 2007,
Abbass devait prendre une mesure
courageuse pour reprendre l’initiative. En tenant tête aux
Etats-Unis à l’Onu, le président palestinien a gagné en
stature et en crédit dans les territoires palestiniens. Pour
la première fois, il a tourné le dos aux négociations avec
Israël et a défié les Etats-Unis sur une question majeure.
Un tel changement de politique était d’autant plus urgent
que le « printemps arabe » rendait de plus en plus dangereux
pour la direction palestinienne d’accepter la poursuite du
statu quo.
Au-delà de ces considérations expliquant la démarche
palestinienne, l’objectif stratégique de l’Autorité
d’autonomie est de se voir conférer le statut d’« Etat » —
quoique non-membre — de l’Onu. Ce qui ouvrira aux
Palestiniens la porte d’un nouveau front de lutte, juridique
cette fois, pour recouvrer leurs droits. Si l’Assemblée
générale reconnaît la Palestine en tant qu’Etat (une
majorité aux deux tiers suffira), cela lui permettra
d’adhérer à d’autres organisations internationales, où elle
peut faire avancer ses intérêts et défendre sa cause.
La Cour Pénale Internationale (CPI) est d’une importance
particulière dans ce sens, car elle permettrait à l’Autorité
palestinienne de livrer une bataille juridique à l’Etat
juif, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
L’Autorité palestinienne avait déjà sollicité la CPI en
octobre 2009 contre les responsables israéliens, auteurs de
l’agression meurtrière contre la bande de Gaza en décembre
2008-janvier 2009. Mais les juges de la CPI n’ont jamais
statué afin de déterminer si l’« entité palestinienne »
avait effectivement le pouvoir de saisir la Cour.
La reconnaissance du statut d’« Etat » à la Palestine
pourrait, en revanche, modifier radicalement cet état de
fait et influencer grandement la décision des juges à
l’avenir. Et c’est ce que craignent les responsables
israéliens. Ils ont averti que cette « guerre juridique »
pourrait isoler davantage Israël sur la scène internationale
et empêcher ses responsables politiques et militaires de
voyager librement à l’étranger, sous peine d’être arrêter
pour crimes de guerre. Car même si l’Etat hébreu n’est pas
signataire du traité de Rome instituant la CPI, les 117
Etats membres sont tenus à lui livrer les accusés. Des
responsables militaires israéliens, qui avaient participé à
l’agression contre la bande de Gaza, avaient annulé leurs
déplacements en Grande-Bretagne et en Espagne, de peur
d’être arrêtés pour crimes de guerre. Le premier ministre
Benyamin Netanyahu a également fait récemment part de ses
craintes de voir les Palestiniens accuser les colons
israéliens de violer la Convention de Genève, une convention
qui interdit les déplacements forcés des populations.
Il ne faut cependant pas accorder trop d’importance à cette
bataille juridique contre Israël, dont la CPI serait le
théâtre. Les procédures de saisine de la Cour contiennent
suffisamment d’obstacles qui sont susceptibles de faire
avorter les démarches palestiniennes. En outre, la CPI est
une instance internationale aussi bien politique que
juridique, où les considérations de politique internationale
jouent un rôle considérable. Mais cette réalité n’enlève
rien à la justesse de la démarche palestinienne à l’Onu,
dont la force majeure est d’agir dans le respect du droit et
de la légalité internationale.