Vijay Prashad
CounterPunch
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2002 : "Ceci devrait ouvrir les yeux des autorités et de tous ceux qui ne veulent pas reconnaître l’existence du nazisme et du racisme en Norvège"
Deux jours avant le massacre, le leader du Mouvement de la jeunesse du Parti travailliste, Eskil Pedersen, donnait une interview au Dagbladet, lors d’un rassemblement du mouvement en soutien au boycott contre Israël où il déclarait : "le temps était venu de prendre des mesures plus sévères contre Israël".
Les multiculturalistes marxistes pour le BDS
Assis dans le train Amtrak de New Haven à Washington DC vendredi dernier, j’étais plongé dans le thriller : L’homme dans la vitrine de Kjell Ola Dahl. Les romans policiers de Dahl se passent à Oslo, en Norvège où les remarquables détectives Frank Frølich et Gunnarstranda se confrontent à l’essence du mal moderne. La propriété est souvent au coeur de l’intrigue mais aussi l’histoire inéluctable du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale. Un courageux passé pacifiste en parti incarné par le parti travailliste norvégien a maintenu le pays en dehors de la Première Guerre mondiale. Ses ports et le passage direct vers le minerai de fer de la Suède qu’elle représentait ont attisé la convoitise des nazis et en 1940 les forces nazies ont envahi une Norvège mal protégée.
Pour diriger le pays, les nazis se sont tournés vers Vidkun Quisling (dont le nom incarne la traîtrise), le leader du Nasjonal Samling norvégien, le parti local nazi. C’est l’ère Quisling (pleine de camps de concentration) qui a planté l’arbre du nazisme dans le sol norvégien. Les restes des nazis scandinaves se sont regroupés après la seconde guerre mondiale mais en trop petit nombre pour faire parler d’eux.
La sociale-démocratie scandinave a eu des problèmes dans les années 1980 quand elle a réduit les aides de l’État providence. Les sentiments anti-émigrants et anti-gauche se sont accrus dans des larges portions de la classe laborieuse appauvrie et de la classe moyenne dont les Skinheads constituaient les éléments les plus militants. Ils étaient ce qui restait du renouveau du néo-nazisme des années 1990. C’est pour répondre à ce renouveau que la gauche suédoise a créé en 1995, Expo, un magazine contre le racisme publié par Stieg Larsson. C’est aussi la raison pour laquelle le roman policier et les thrillers scandinaves sont si bons ( de Henning Mankell à Larsson en passant par Jo Nesbø) : ils tirent de magnifiques oeuvres d’art du déni hypocrite de la bourgeoisie de l’existence du nazisme et de la manière dont la droite "modérée" tolère et encourage l’extrême droite.
En Norvège les Skinheads se sont transformés en groupes comme les Boot Boys qui passaient leur temps à arpenter les rues à la recherche des gens qui avaient l’air d’être des immigrants. En 2002, trois Boots Boys ont tué Benjamin Hermansen, un garçon de 15 ans. Quand cela est arrivé, le journal Dagsavisen a écrit : "Ceci devrait ouvrir les yeux des autorités et de tous ceux qui ne veulent pas reconnaître l’existence du nazisme et du racisme en Norvège". Le premier février 2002, 40 000 des 4,4 millions de Norvégiens se sont réunis à Oslo pour manifester contre ce meurtre. Le Premier ministre, Jens Stoltenberg, et le prince héritier, Haakon, étaient présents. Le Centre contre le racisme d’Oslo note qu’à la fin des années 1980, il y a eu dans le pays presque deux mille incidents racistes en parti dus à la rhétorique du parti soi-disant progressiste et bien sûr des sectes nazis.
Mon iphone a sonné et des informations sont arrivées sur la bombe d’Oslo et le massacre de l’île Utøya. Les personnes tuées dans l’île étaient membres de la Ligue des jeunes travailleurs (AUF) qui est liée au Parti travailliste norvégien mais qui s’enracine dans les mouvements socialistes et communistes des années 1920. Le Premier ministre en exercice de la Norvège, Jens Stoltenberg, a été un des leaders de l’AUF. L’Occident a d’abord accusé les djihadistes musulmans de l’attaque. C’est devenu une habitude depuis la bombe de la ville d’Oklahoma en 1995 et Jim Stewart de CBS a dit : "On pense qu’il s’agit d’une attaque de terroristes du Moyen-Orient". C’était en fait plus une attaque du Moyen-Occident que du Moyen-Orient mais la presse américaine ne s’est pas donné la peine de s’excuser auprès des musulmans de notre pays.
Les premières informations du New York Times suggéraient que le terroriste d’Oslo était un djihadiste (le professeur Will McCants a envoyé un Tweet pour dire que c’était Ansar al-Jihad al-Alami, ce que le Times a répété en ajoutant plus tard que "le groupe était inconnu auparavant et pourrait même ne pas exister". Quand le brouillard de l’islamophobie s’est partiellement levé et que la police norvégienne a pu s’exprimer, elle a révélé que l’assassin était en réalité Anders Behring Breivik, un nazi qui aurait très bien pu être le héros d’un roman de Dahl.
Quelques heures plus tard, le manifeste de Breivik est apparu sur divers sites Web. Dans son manifeste il fulminait contre les "marxistes-multiculturalistes". C’est devenu un refrain familier chez les défenseurs de la forteresse Europe : ils veulent protéger leur continent de la reconquête des Maures. Ils haïssent en particulier les immigrants et l’Islam. Mais ils ne sont pas des sociopathes marginaux. Leurs opinions s’enracinent dans le courant central du conservatisme européen. En octobre de l’année dernière la chancelière allemande Angela Merkel a dit que le multiculturalisme "avait complètement échoué". Il fallait intégrer de force les immigrants dans la culture germanique et si ce n’était pas possible il ne fallait plus les laisser entrer en Allemagne.
En février de cette année, l’Anglais, Cameron, et le Français Sarkozy ont emboîté le pas à Merkel. Cameron a critiqué "la doctrine d’état du multiculturalisme" qui encourage les immigrants à "vivre séparément, à l’écart les uns des autres et du courant principal." Le Français Sarkozy a fait un discours amer contre le multiculturalisme et a dit aux parlementaires membres de son parti "Union pour un Mouvement Populaire" qu’il voulait des lois pour contenir l’Islam. Pour des raisons électorales, Sarkozy voulait contrecarrer la popularité croissante du Front national de Marine le Pen. "Nous avons eu un débat sur la burka" a-t-il dit "maintenant nous devons avoir un débat sur les prédicateurs de rue". Il s’agit moins d’un débat que d’une campagne au vitriol contre l’Islam et contre ceux qui ont l’air d’être musulmans.
Le conservatisme européen a adopté une position intransigeante contre les migrants africains et asiatiques. Il n’y a pas grand chose qui sépare ces leaders raffinés de ceux qui les ont précédés (c’est à dire Enoch Powell et son discours de 1968 sur "les rivières de sang") et les néo-nazis (comme Breivik). Cette branche conservatrice hait la différence et la diversité et promeut la culture unique dans la vie sociale. Elle ne peut pas comprendre que les êtres humains sont capables de vivre en harmonie avec des personnes différentes d’eux. Elle attribue les problèmes de la société aux différences. Pour elle il est inimaginable d’en rendre responsable la hiérarchie des pouvoir, de la propriété et des classes sociales, qui empêche pourtant les gens normaux de s’entendre normalement.
Quand Breivik écrit que les "Européens de souche" commettent "un suicide culturel" en accueillant des immigrants, il manifeste l’ignorance typique des nazis - qui n’ont aucune idée des longs siècles d’interaction entre les continents, ni des mécanismes de l’idéologie coloniale qui ont perpétué ces interactions dans un contexte toxique de racisme croissant, ni de l’importance qu’a pris la vie sociale polyculturelle dans la vie des peuples d’Europe dans l’histoire récente. Quand on regarde les nouvelles de la télévision d’Utøya on s’aperçoit que parmi les jeunes travaillistes il y a des enfants d’immigrants du Shri Lanka et d’Afrique du nord. Leur Norvège n’est pas la Norvège de Breikvik.
Le BDS
le 20 juillet, quelques jours avant la tuerie, le leader de l’AUF, Eskil Pederson, a donné un interview au tabloïde Dagbladet. L’AUF avait organisé un rallye en faveur du boycott d’Israël dans l’île d’Utøya et il avait affermi sa position par rapport à la campagne du BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions). Pederson a dit au tabloïde qu’il croyait que "le temps était venu de prendre des mesures plus sévères contre Israël." Il voulait que le ministre norvégien des Affaires étrangères mette en place un boycott économique contre Israël. "Nous les jeunes travaillistes imposeront un embargo économique unilatéral à Israël du côté norvégien."
25 juillet 2011 - CounterPunch - traduction : Dominique Muselet