jeudi 9 juin 2011

Lettre à Gaza la douleur.

publié le jeudi 9 juin 2011
Serge Krosvak

 
Contre la guerre et la barbarie récurrentes au long de l’histoire, pas à pas les humains ont imaginé de la justice et du droit. Ils ont imaginé qu’il fallait sortir de la politique de la force et de l’oppression pour progresser vers une justice.
Hommes, femmes, enfants, je pense à vous dans votre enfermement, dans votre souffrance. De loin, de très loin, j’entends ces bombes qui font de vous des martyrs. Je sais ces enfants qui meurent, ces corps qui carbonisent sous le phosphore. Et cette injustice, cette insupportable injustice dans le silence volontaire de ce monde.
Je suis juif, et ce que je sais me déchire le cœur. Je suis juif d’une autre âme que ceux qui envoient leurs enfants vous opprimer, vous spolier. Bien sûr, c’est dans votre chair que vous souffrez et moi simplement dans mon âme. Bien sûr, je n’ai que mes mots à vous offrir et à jeter à la face de vos bourreaux. Et je ne sais si je vous écris pour vous soulager ou pour soulager ma conscience. Puisque je suis juif, c’est en mon nom que l’on vous tue, que mes cousins vous écrasent, vous chassent. Que cette jeunesse est faite soldatesque. A vous qui subissez tant de cruauté j’éprouve le désir de vous livrer mon histoire, cette histoire qui aujourd’hui mène à votre souffrance et qui pourtant fut un cri d’humanité à ses racines. Je vous livre cette histoire pour que cette expérience douloureuse devienne la richesse de tous, une force de résistance contre les haines qui montent. Pour que la paix profonde revienne à l’horizon.
C’est une longue, très longue histoire, faite de minorité en des temps où ce qui unissait les hommes n’était pas la citoyenneté mais l’origine. En ce temps encore peu lointain, il y avait des ghettos, des stetl’ et des pogroms. En ces temps peu lointains, à chaque crise les colères étaient tournées vers les juifs pour servir d’exutoire. Et cela a duré, duré... Jusqu’à ce que s’invente l’idée de république et d’égalité.
Mais la facile recette antisémite servira encore et toujours, pour désigner un coupable à la défaite, pour camoufler les échecs sociaux d’un pays parti à l’assaut du ciel, et surtout pour accomplir la folie barbare du nazisme. Et le désespoir a envahi nombre de cœurs juifs. Pas tous. Certains, dont mon père, ont gardé chevillé au corps l’idée d’un monde d’égalité et de respect de tous. L’idée que chacun, fort et fier de son origine, contribue à un progrès d’humanité où tous les humains sont humains. Où la différence ne fait pas guerre mais personnalité. Où le monde se civilise pour sortir de « l’homme loup pour l’homme ».
Il serait injuste de prétendre que ceux qui ont fait le choix du refuge dans un pays, le choix du sionisme, étaient l’exact opposé de ces idéaux humains. Derrière l’idée d’un renfermement entre soi, ethnique, subsistait une volonté d’égalité et de fraternité. Il n’est que de voir les enthousiasmes des kibboutz, les rêves d’un pays fraternel et uni. C’était les premiers temps. Cela ne gomme en rien les actes commis à l’encontre des habitants de Palestine, les injustices et les violences de la Nakba. Cela donne simplement à comprendre et prendre la mesure pour vaincre l’état de guerre. Et je ne sais comment, aujourd’hui, ces sionistes sincères et idéalistes peuvent supporter ces divisions sociales, d’origines et ethniques qui s’étendent en Israël. Et comment supportent-ils ces propos racistes lors de manifestations de groupes israéliens. Et ce ministre aux propos exterminateurs digne de nos pires oppresseurs. Et cet assassinat d’un chef de l’État après une campagne médiatique haineuse. Et ce ghetto Gaza écho de nos souffrances historiques. Et ce refus de reconnaissance de l’État de la Palestine sur les frontières de 67. Et puis ce symbole miroir : nos survivants des camps d’extermination si mal respectés et mis en misère. Quelle trahison des fondateurs ! Comment peuvent ils admettre cela, laisser se perpétrer cette folie sanglante et laisser déraper leur société qui se fascise ?
Quelle horreur jetée sur les sépultures de nos ancêtres, sur la promesse des survivants des camps de la mort.
Amis palestiniens, les camps de la mort nazi font parti de notre culture commune. A dessein, je n’use pas du mot hébreux « Shoah ». Ce crime immense, immonde, n’appartient pas aux seuls juifs, même s’ils en fournirent de loin le plus grand nombre de martyrs. Dans ce crime exceptionnel, l’ordre étatique qui devait protéger les hommes de leurs explosions de violences a fonctionné en démon exterminateur. Cette leçon appartient à tous les humains, pour s’en garantir partout et à l’égard de tous. Les leçons de l’horreur font parti du patrimoine commun de l’humanité. Malgré ce que vous subissez si cruellement et si injustement, je voudrais que nous gardions ensemble cette mémoire. Il serait tout aussi grave et nocif si une division se faisait avec ceux qui le nient et ceux qui se l’accaparent. L’accaparer conduit à en dénier la portée universelle. S’y enfermer est amener à bâtir une vision pathologique du monde où tout être différent est perçu en menace. C’est fournir une victoire posthume aux sauvages nazis.
Amis palestiniens, il m’est venu de vous parler de mon histoire alors qu’initialement je voulais simplement vous faire parvenir un message de courage et d’espoir en l’avenir. Mais que pouvais je dire de votre situation sans que ce soit une compassion ? Que je suis juif et que j’ai déchiré ce voile jeté dessus ma face par des dirigeants nationalistes. Que j’ai dégagé mes yeux des lunettes du racisme et de la haine et que je vois cette honte qui se répète sans fin. Que je sais qu’à Gaza 1 habitant sur 1000 a été massacré lors de « plomb durci », que 5 sur 1000 ont été blessés sans même disposer des moyens de soins suffisants. Je sais que des hommes de plomb, en plus des bombes, vous imposent un blocus jusqu’à la confiture (sans doute faites vous des armes avec), pour écraser votre humanité et faire de vous des asservis.
Amis palestiniens, s’il m’est venu de vous livrer mes sentiments si personnels c’est que je pense à l’avenir. Et dans cet avenir il n’est pas de camp israélien contre palestinien, mais le rassemblement de la justice contre la barbarie. Contre la guerre et la barbarie récurrentes au long de l’histoire, pas à pas les humains ont imaginé de la justice et du droit. Ils ont imaginé qu’il fallait sortir de la politique de la force et de l’oppression pour progresser vers une justice. Ce que vous subissez dans votre chair constitue en plus un déni de 2 siècles de difficiles avancées pour la justice. Le quasi silence international, la paralysie de l’ONU par une hyper puissance, jettent à la poubelle l’espérance constructive d’un monde libéré des guerres et ouvrent toutes grandes les portes des haines déchaînées. Que de désastres s’étalent et s’annoncent sous nos yeux dans une insouciance coupable.
Amis palestiniens, l’unité retrouvée qui se dessine entre vous me redonne espoir. L’avancée de la reconnaissance de votre pays dans les frontières intégrales de 67 ouvre une nouvelle porte pour que la paix arrive. Rien n’est sûr, rien n’est gagné, mais nous n’avons d’autre choix que l’optimisme et le devoir de nous engager tous, de toutes nos petites forces pour qu’elles fassent fleuve. Et que demain, demain enfin, le pays de Palestine vive comme tout pays de cette terre, aux côtés d’un pays d’Israël qui aura su se refonder en donnant à tous ses citoyens l’égalité. Et demain, demain, que justice soit faite et que le tribunal soit réuni pour juger de ceux qui ont décidé de ces guerres, libérant les esprits des rages guerrières.
Amis palestiniens, je fais le rêve du jour où nous célébrerons ensemble tout à la fois les états israélien et palestinien. Je fais le rêve du jour où nous commémorerons tout à la fois les souffrances juives et palestiniennes. Ensemble, un jour, demain, vite, vite, nous et nos enfants envahirons les rues. Ensemble nous y clamerons notre solidarité. Une solidarité pour un peuple oppressé en un quelconque lieu de la planète. Ensemble, nous serons humains parmi les humains.
Pour tout contact : serge_grossvak@yahoo.fr