Georges Malbrunot
Le Général Abel Pertinax, ancien haut-responsable militaire français, nous décrypte les raisons pour lesquelles Meir Dagan pense qu’une attaque israélienne contre l’Iran serait « la chose la plus stupide (qu’il ait) jamais entendue ».
Meir Dagan, qui a quitté le Mossad en janvier, a qualifié la possibilité d’une frappe aérienne israélienne contre les installations nucléaires iraniennes comme étant « la chose la plus stupide que j’ai jamais entendue ».
La presse a traité cette déclaration de l’ancien espion en chef, faite le 6 mai à l’occasion d’une conférence à l’université Hébraïque de Jérusalem, comme un scoop provocateur de sa part.
Dagan y a en outre expliqué que l’Iran dispose d’une infrastructure nucléaire secrète en parallèle avec des installations civiles, et que l’Agence Internationale à l’Energie Atomique (AIEA) contrôle ces dernières, mais pas les premières.
Une frappe sur ces installations serait « manifestement illégale au regard du droit international », selon Dagan. Recadrons cette affaire.
Début janvier 2011, le Jerusalem Post saluait le départ du Directeur Général du Mossad, le Général (2ème section, c’est-à-dire retiré du service actif) Meir Dagan.
Lors de la cérémonie de passation de pouvoirs à son successeur, le 6 janvier 2011, Meir Dagan estimait qu’une attaque israélienne contre les installations nucléaires de l’Iran était injustifiée à ce stade. Pour lui, elle ne devrait être qu’un ultime recours, jugeant que l’Iran ne se doterait pas d’une capacité nucléaire avant 2015, compte tenu d’une série de retards (dont il connaissait bien les causes). Dans le passé, Dagan avait déjà estimé qu’Israël ne devait lancer une opération militaire contre l’Iran « que si (l’Etat hébreu) avait le couteau sur la gorge ».
Revenons ici aux fondamentaux de la doctrine de défense d’Israël. Le « ʹHa Mossad le ʹMode ʹin ve ʹle ʹTafkidim Meyouchadim » (Institut central de renseignements et d’activités spéciales), pour l’appeler par son vrai nom - plus connu du grand public sous le nom de Mossad (Institut, en hébreu) - est le service de renseignement et d’action extérieurs d’Israël. En France, nous l’appellerions « Service spécial », en ce sens qu’il peut être amené à opérer, pour la recherche d’informations secrètes ou pour des actions de destruction ciblées (matérielles ou humaines) de façon clandestine et en dehors des cadres légaux, lorsque son gouvernement le lui demande.
Philosophiquement, dans cet Etat religieux (Der Judenstaat, l’Etat des Juifs de Théodore Herzl) qu’est Israël, sa raison d’être est sous-tendue par une phrase tirée du Talmud : "Si un homme vient pour te tuer, lève toi plus tôt et tue le en premier ".
Le programme nucléaire militaire secret des Iraniens est considéré par Israël comme une menace majeure contre son existence. Selon la « doctrine Begin », et selon le Talmud, cette menace doit donc être éradiquée.
Pour les services de sécurité israéliens, l’Iran et son programme nucléaire représentent la priorité des priorités parmi les menaces stratégiques pour l’Etat hébreu, avant même le Hezbollah, le Hamas, et la Syrie.
Mais l’ancien chef du Mossad et l’armée israélienne n’avaient pas la même analyse et les mêmes modes d’action à proposer à leurs autorités vis-à-vis de cette menace.
Pour sa part, à l’occasion d’un briefing du conseil des ministres en mars 2009 (présidé alors encore par Ehoud Olmert) le chef du renseignement militaire israélien (Israël Defence Intelligence – IDI - plus connue sous son abréviation AʹMAN, pour Agaf Modiin, Renseignement Militaire), le général de division aérienne (major général) Amos Yadlin, comme le voulait alors son rôle de coordinateur du renseignement (contrairement à une opinion qui veut que ce soit obligatoirement le chef du Mossad) déclarait que l’Iran avait franchi le « seuil technologique » lui permettant de construire une arme nucléaire. C’est-à-dire que Téhéran disposait désormais du savoir-faire, de la matière première et de l’équipement nécessaire pour fabriquer « une » bombe.
Quelques semaines plus tard, mi-juin 2009, après avoir été reconduit à la tête du Mossad par « Bibi » Netanyahu, Meir Dagan affirmait que l’Iran ne disposerait d’une bombe nucléaire qu’en 2014.
Le général Yadlin est un aviateur, pilote de chasse : la race des seigneurs vainqueurs toutes catégories de la suprématie dans les airs et héros des conflits de 1967 et 1973.
Lors de l’opération « OPERA » qui vit un raid aérien israélien détruire le réacteur nucléaire irakien (construit par la France) OSIRAK le 7 juillet 1981, le « petit jeune » de la formation aérienne se dénommait … Amos Yadlin.
Une vaste opération aérienne destinée à détruire – ou tout au moins endommager significativement – les infrastructures du programme nucléaire iranien alimente régulièrement les colonnes des media du monde entier. Il est certain que les plans sont prêts pour une telle frappe avec ou sans l’aide de l’indéfectible allié américain.
Un avertissement avait indirectement été donné par l’armée de l’air israélienne le 6 septembre 2007, en réalisant un raid qui détruisit les installations du site d’Al-Kibar en plein cœur du territoire syrien, soupçonné de cacher un réacteur nucléaire construit avec l’aide de la Corée du Nord.
Dans la tradition du raid sur Osirak, Amos Yadlin était à la tête de l’IDI. Aʹman et Mossad avaient travaillé main dans la main dans la préparation de cette opération totalement réussie.
Amos Yadlin a quitté son poste et l’uniforme à la fin de 2010. Il ne s’est plus prononcé sur le dossier du nucléaire iranien depuis, malgré des interventions publiques, y compris à l’étranger, devoir de réserve oblige.
Pour ce programme nucléaire clandestin, que disent les experts ? Le 6 juin, Yukiya Amano, le directeur général directeur général de l’Agence Internationale à l’Energie Atomique (AIEA) a déclaré devant le Conseil des gouverneurs de l’agence que cette dernière avait eu connaissance de nouveaux indices relatifs à des activités - passées ou actuelles - non révélées, pouvant laisser supposer une dimension militaire aux activités nucléaires de l’Iran (l’AIEA n’a jamais relevé en Iran de détournement de matières nucléaires à des fins militaires, comme le soulignent six anciens ambassadeurs européens dans ce pays – dont François Nicoullaud pour la France – dans une tribune publiée le 9 juin par « Le Monde »).
En plus de fournir de nouveaux détails sur ce programme d’armement sur la base de ses propres informations (mais s’appuyant aussi sur les évaluations des services de renseignement de certains Etas occidentaux), elle confirme ses déclarations déjà émises dans un même rapport de septembre 2010, selon lequel « ces activités se sont poursuivies au-delà de 2004 ».
Pourquoi cette date ? Parce que les révélations des services américains, en pointe sur ce sujet, ont varié dans le temps.
A preuve cette « évaluation » de novembre 2007 des intentions et des capacités nucléaires de l’Iran de la part du Conseil National du Renseignement (National Intelligence Council, qui fédère dans ses travaux les contributions des 16 services des Etats-Unis d’Amérique sous la coordination du Director of National Intelligence, DNI).
Dans un « National Intelligence Estimate » (NIE) - travail à la fois d’évaluation mais aussi de prospective pour son gouvernement - la communauté américaine du renseignement estimait que l’Iran avait stoppé son programme militaire secret à l’automne 2003 et ne l’avait pas repris au moment de mettre sous presse le NIE.
Aujourd’hui, de telles assertions sont remises en cause par beaucoup d’experts. Mais il n’y a pas eu non plus de nouveau NIE sur ce sujet depuis, et le DNI actuel, James Clapper, ne fait que déclarer que l’Iran « garde l’option ouverte » d’un programme militaire secret.
La déclaration évoquée ci-dessus d’Amos Yadlin à la veille de l’entrée en fonction du nouveau cabinet dirigé par Benjamin Netanyahu pouvait paraître alors comme une volonté de la part des militaires de contrer ouvertement l’analyse du patron du chef du Mossad : si le général aviateur-espion estimait pour sa part qu’il était illusoire de considérer que des opérations de sabotage puissent réellement in fine gêner l’Iran, selon la lettre confidentielle « Intelligence On Line » Amos Yadlin estimait tout de même parallèlement en mars 2009 – à l’unisson d’Efraim Halevy, le prédécesseur de Meir Dagan qui continue à militer publiquement en ce sens - que « la seule stratégie tenable était de forcer ce pays à concentrer de lui-même ses efforts en matière d’ingénierie nucléaire dans une optique pacifique ».
Mis en défaut par les militaires alors qu’il était encore en fonction, Meir Dagan a défendu malgré tout l’idée que le programme nucléaire iranien pouvait être considérablement ralenti par des opérations de sabotage clandestines.
Il n’a fait que le confirmer devant l’assistance de l’université Hébraïque de Jérusalem le vendredi 6 mai dernier. Pas de scoop donc. Il a souligné au cours de cette intervention que l’Iran a dispersé ses installations nucléaires à différents endroits à travers le pays, ce qui rendrait difficile pour Israël de lancer une attaque efficace. Ce ne sont donc pas selon lui les capacités des forces aériennes israéliennes qui sont en cause, mais plutôt les possibilités de toucher toutes les cibles sensibles et d’obtenir in fine un résultat significatif. En conséquence, attaquer le programme secret de l’Iran serait d’une autre échelle que la frappe de 1981 sur la centrale irakienne d’OSIRAK.
Sur le même sujet, le général Yadlin, lorsqu’il dirigeait l’IDI, avait confié à un militaire occidental qui l’interrogeait sur une telle option en lui rappelant le souvenir de son raid sur Osirak : « That would be something else ! ». Il savait de quoi il parlait.
Après avoir, dans une vie antérieure, commandé le feu et la mitraille, puis dirigé les deux services de renseignement et d’action extérieurs de leur pays, les deux soldats savent bien que l’action des services secrets est plus ciblée, moins dévastatrice, non irrémédiable : à la fois éradiquer les capacités (en devenir) destructrices de l’adversaire, sans attendre que celui-ci en dispose pleinement, et faire comprendre à ce même adversaire – et en passant à tous ceux qui lui sont associés comme à ceux qui auraient l’idée de vouloir l’imiter – qui est le plus fort et que rien ne saurait empêcher ce plus fort d’agir à sa guise. Double stratégie : puissance et influence.
C’est aussi le sens du « plus jamais ça », que Meir Dagan, selon le Jerusalem Post, prononçait devant ses visiteurs en leur montrant au mur de son bureau la photo d’une victime de la Shoah supposée être son grand-père (symbolique ou authentique ?) agenouillé devant deux soldats Nazis.